Une famille spirituelle ?
L’Église, une famille spirituelle. Dire de l’Église que c’est une famille, c’est difficile. Beaucoup de gens réagissent en disant : « non, l’Église ce n’est pas une famille ». Ils ont raison.
La famille, c’est le sang
Pour celles et ceux qui croient que la famille c’est les liens du sang, c’est-à-dire les liens génétiques, qui font qu’on a des parents, des oncles et des tantes qui appartiennent, de près ou de loin, à la même lignée, ils ont raison : l’Église n’est pas une famille.
Dans mon Église locale, je ne suis en lien avec personne, si je regarde la question de l’hérédité. Personne n’appartient à ce noyau qu’on appelle « la famille ». Et si vous avez, dans votre Église locale, des membres de votre famille, vous faites très bien la différence entre ces gens et les membres de votre paroisse.
Sauf si vous considérez, comme la science le fait, que nous avons quand-même un patrimoine génétique commun.
Sauf si vous considérez, comme la théologie le fait, que nous sommes tous et toutes au bénéfice du sang du Christ (ce qui est une métaphore -ouf !- pour dire les conséquences spirituelles de sa mort sur nos vies).
Mais dans ce cas, l’Église n’est pas plus ma famille que n’importe quelle personne que je croise dans la rue, et ça devient compliqué de dire en quoi l’Église est une famille spécifique. Si l’Église, ce sont les liens du sang, alors l’Église n’est pas une famille.
La famille, c’est les croyances
Pour celles et ceux qui croient que la famille, c’est les valeurs ou bien les idées que nous avons en commun, que la famille serait un groupe au sein duquel nous partageons les mêmes croyances, ils ont raison : l’Église n’est pas une famille.
L’Église est un groupe où nous avons du mal à croire la même chose, à porter le même regard sur le monde, sauf quand un autocrate essaye d’imposer une seule manière de voir et exige de penser comme lui. Et là, quand ça arrive, il vaut mieux quitter le groupe que de se laisser embrigader !
En vérité, un tel groupe, où tout le monde pense pareil et croit pareil, ça n’existe pas. On peut donner l’impression de penser comme les autres, on peut choisir de se taire, mais ça reste dans le domaine des apparences. Au fond, ce n’est pas le cas.
Il y a par exemple des gens qui croient que le pasteur est là pour nous dire quoi croire, quoi penser et quoi faire, et il y a des gens qui croient que le pasteur est l’homme à tout faire de la communauté.
Il y a de tout je vous dis. Les théologien·ne·s travaillent dur pour dire des paroles qui rassemblent, et il faut absolument effectuer ce travail, sans cesse, avec les mots et les notions du jour, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur l’effectivité d’un tel ouvrage : les fidèles resteront à distance de ces paroles, et continueront de croire comme ils croient, tout simplement parce que le croire découle principalement de la relation personnelle que nous entretenons avec Dieu.
Alors si la famille est le lieu des croyances partagées, l’Église ne peut évidemment pas être une famille.
La famille, c’est les amitiés profondes
Enfin, pour celles et ceux qui croient que la famille c’est avoir des relations de qualité avec des gens qu’on apprécie, ils ont raison : l’Église n’est pas une famille.
Dans l’Église locale, nous n’apprécions pas tout le monde. Il y a des gens que nous tolérons (et encore, pas toujours), mais on n’a pas forcément envie de manger avec eux ou de passer la soirée à jouer au tarot ensemble, parce que leur présence ne nous donne pas vraiment envie.
En Église, nous faisons des efforts pour développer des relations fortes et solides, développer la confiance nécessaire pour vivre la foi de la manière la plus accueillante possible, mais… Nous avons tous et toutes nos limites. Il y a des choses que nous ne pouvons pas accepter (du moins pour l’instant, c’est-à-dire là où nous en sommes sur notre chemin).
Il faut savoir reconnaître nos limites et accepter ces choses : essayer de nous rapprocher les uns les autres ne signifie pas forcément y parvenir. Et il y a des personnes desquelles nous ne voulons surtout pas nous approcher. Parce qu’elles nous font peur, parce qu’elles nous font mal ou parce qu’elles nous mettent en difficulté.
C’est normal.
Et à cause de ces choses, l’Église ne peut pas être une famille si c’est la qualité des relations qui la définit.
Trois postures vraies, mais dépassables
Ces trois postures me semblent vraies. J’aimerais pouvoir affirmer qu’elles sont fausses, mais si je regarde honnêtement, je ne vois que du vrai dans ces affirmations. Alors je me demande en quoi l’Église pourrait bien être une famille.
D’abord, je rappelle qu’en théologie, l’Église est une famille spirituelle. Il s’agit donc de définir un groupe particulier qui a des particularités particulières.
Celles et ceux qui croient sont appelés à former un seul corps social. Il faut se rappeler que le mot grec ekklèsia désigne une assemblée politique. C’est le regroupement de personnes qui ont un même projet et qui décident ensemble de la manière dont elles veulent réaliser ce projet. Ce ne sont pas forcément des personnes qui sont d’accord sur beaucoup de choses, mais il y a quelques petites choses sur lesquelles elles sont d’accord. Là, je vous donne mon avis personnel, et peut-être vous aurez des choses à ajouter à ma liste, mais voici ce qui les unit, selon moi.
Ce qui fait le lien dans la famille spirituelle appelée « Église »
1. Ces personnes prétendent toutes avoir le Dieu de Jésus le Christ comme source de leur être. Certaines vont l’appeler Père, d’autre vont l’appeler Mère, ou bien tête, source, origine, etc. Mais l’idée est bien la même : Dieu est la source de l’être, et c’est Dieu qui nous unit en Christ, qui fait de nous des gens reliés par quelque chose d’autre que le simple fait d’être des êtres humains, ou d’être d’accord, ou de s’apprécier. C’est ce que nous exprimons quand, ensemble, nous prions « notre Père ».
2. Ces personnes veulent vivre ensemble quelque chose qui apporte un changement dans leur vie. Quelque chose qui développe en elles l’être nouveau. Elles veulent entendre une parole qui fasse sens, quitte à ce que cette parole leur déplaise, pour orienter leur vie dans une meilleure direction, une direction qui soit meilleure pour elles et pour le collectif. Elles veulent aussi exprimer leur foi d’une manière qui leur fait du bien, et à ce titre l’Église organise sa liturgie et façonne sa culture propre.
3. Ces personnes veulent avoir un impact sur le monde dans lequel elles vivent, en priant et en agissant de manière à ce que le monde entre en résonance avec le royaume de Dieu. A ce titre, l’Église élabore un projet qui lui permette de témoigner de la foi et des implications de la foi dans le quotidien. Car si le Royaume est à venir, l’Église est appelée à en vivre dès aujourd’hui. Elle est un avant-poste du Royaume de Dieu.
Une famille organisée
C’est par facilité, et parce que notre société est très complexe, que nous avons adopté un système qui désigne des représentants et des représentantes de la communauté locale, qu’on appelle le Conseil presbytéral, pour mener à bien l’organisation de l’Église locale.
Mais le fait que nous ayons des personnes pour représenter l’Église ne nous enlève rien de notre volonté et de notre responsabilité à participer au projet de l’Église. Tout comme le fait d’avoir des élus politiques n’enlève rien à notre responsabilité de citoyens et de citoyennes dans le pays dans lequel nous vivons. Nous avons notre partition à jouer, même si nous ne sommes pas membres du conseil.
Il est possible de participer, organiser, proposer des choses à vivre, mettre la main à la pâte, bref, nous pouvons répondre à l’appel particulier que Dieu met sur notre cœur car qui que nous soyons, nous avons notre place dans cette organisation que nous appelons Église, et si nous avons une place, nous avons quelque chose à y faire. Nous ne sommes pas seulement des consommateurs, mais nous sommes aussi des acteurs et des actrices de ce que nous voulons considérer comme une famille.
Nous voulons mettre en œuvre ce que nous pouvons pour participer à la bonne santé de nos relations, à notre croissance spirituelle et à notre impact là où nous sommes.
Pour conclure ce billet
Bref, même si celles et ceux qui ne considèrent pas l’Église comme une famille ont raison, je vous invite, vous, à faire l’effort de la considérer comme votre famille spirituelle, et à y développer les choses que Dieu vous met à cœur.
Le conseil presbytéral de votre paroisse est là pour être à votre écoute, prendre vos idées et les travailler avec vous, de manière à donner une cohérence à ce que nous faisons ensemble. Le tout dans la confiance réciproque et dans l’amour que nous donne celui qui est la source de l’être.
Et si vous croyez avec raison que l’Église n’est pas une famille, je suis sûr que si nous le voulons, nous pouvons tout mettre en œuvre pour devenir une famille, qui soit une famille d’un autre ordre que ce que nous cherchons ordinairement avec la famille (et qui n’est souvent qu’un fantasme de plus). Une famille spirituelle, de frère et de sœurs qui prennent soin les uns des autres, qui écoutent et qui entendent les difficultés et les joies de chacun de ses membres.
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