Une aide semblable à lui
Le premier être humain est seul, et Dieu veut lui donner un peu de compagnie. « Une aide semblable à lui », lit-on dans bien des traductions. Quelqu’un qui lui corresponde, comme un vis-à-vis. J’ai modifié cet article, suite aux remarques du talmudiste Hervé-Elie Bokobza, que je remercie pour son œil attentif. Ces modifications seront en couleur dans le texte.
Explorons un peu quel était le projet de Dieu, tel qu’il est décrit dans le tout début du livre de la Genèse. Tout en lisant ce texte, vous pouvez écouter ma douce voix en cliquant ici, car vous avez sous les yeux la transcription d’une émission radiophonique que j’ai enregistrée sur Radio Grand Ciel.
Dans la Genèse, nous trouvons deux récits qui racontent comment Dieu a créé l’univers. Le premier récit se trouve dans Genèse 1, et c’est là qu’on nous parle de la succession des 7 jours. Le deuxième récit de la création se trouve en Genèse 2, et comporte quelques différences avec le premier récit.
Par exemple, dans Genèse 2, on nous dit que l’être humain n’est pas créé mâle et femelle. Ce texte ne dit rien du sexe du premier être humain. Ça veut dire que ce n’est pas ça qui est important dans ce récit.
Ce texte dit aussi que l’être humain a été créé avant la végétation et avant les autres animaux, ce qui s’oppose à ce qu’on peut lire dans Genèse 1.
Mais ce qui retient mon attention, aujourd’hui, c’est le verset qui dit : « Il n’est pas bon que l’être humain soit seul. Je vais lui faire un vis-à-vis qui lui corresponde, capable de le secourir. »
Seul au monde
Dans ce récit, il semble que Dieu ait oublié de tout prévoir.
Dieu créée l’être humain et il se rend compte que celui-ci s’ennuie à mourir. Il est seul. Et être seul, ça nous rend malade.
Alors Dieu a une idée géniale. Il va faire pour l’être humain un vis-à-vis qui lui corresponde. Un être capable de le secourir. L’hébreu dit littéralement : « une aide providentielle, contre lui. »
Une aide providentielle, ce n’est pas rien : c’est exactement ainsi que la Bible qualifie les réponses que Dieu donne à nos prières. Quand Dieu agit dans le monde, il est décrit avec ce mot qui dit « aide providentielle ». Ça veut dire que l’être que va créer Dieu, ce ne sera pas un esclave, ce ne sera pas un servant, ce ne sera pas un larbin. Ce sera un être qui va répondre de manière miraculeuse aux besoins de l’être humain. Et ce besoin, c’est d’avoir une compagnie.
Une compagnie qui nous ressemble, qui est de la même nature que nous.
Un être à aimer, et qu’on aime aussi.
Un être avec lequel il va y avoir un échange relationnel fort, un attachement qui va faire du bien.
Dieu a un projet relationnel incroyable : il veut que l’être humain jouisse du plaisir de la compagnie d’un autre être, parce qu’il veut que l’être humain soit heureux. Voilà un texte qui me procure beaucoup de plaisir, parce que j’apprends que Dieu se soucie de mes besoins profonds, et qu’il cherche une solution pour y répondre.
Et là, maintenant, vous savez ce qui va se passer. Vous savez quel est cet être que Dieu va créer pour répondre aux besoins profonds de l’être humain.
Création de l’être humain – acte 2
Dieu se prépare à créer un être qui va tenir compagnie à l’être humain. Après avoir constaté qu’il n’est pas bon que l’être humain soit seul, que fait Dieu ? « Avec de la terre, le Seigneur façonna quantité d’animaux sauvages et d’oiseaux. »
Notez bien, pour combler le désir de ne plus être seul, Dieu fait les animaux.
Ce qui nous choque, puisque nous pensons à la création de Eve, la première femme ! Eh bien non, ce n’était pas la pensée de Dieu.
C’est à partir de la terre que Dieu fait les animaux, comme l’être humain, exactement. Le deuxième récit de la création présente l’être humain et les animaux comme étant tirés tous deux de la même matière. Ils ont donc suffisamment de points communs pour que leurs besoins profonds se rejoignent. Une aide providentielle, « semblable à lui », disent quelques traductions (mais nous verrons plus loin ce qu’il en est de cette expression).
Ce texte n’envisage pas les relations sexuelles. On parle là du besoin profond d’aimer et d’être aimé, on parle de se soutenir dans les difficultés, on parle de prendre soin de l’autre.
L’être humain nomme les animaux, mais il ne trouve pas chaussure à son pied. Parce que cet être humain ne désire pas se contenter de l’amitié, de l’affection partagée. Il a notamment en lui un désir de sexualité et un désir d’enfanter. Et sans doute veut-il aussi se reconnaître dans l’autre.
Ce que Dieu n’avait pas prévu, il va l’incorporer à son projet. Dieu ne s’oppose pas aux projets d’amour, même si Dieu n’avait pas imaginé ces projets.
Avec Dieu, nous pouvons négocier : Dieu est souple pour toutes les choses qui ne vont pas à l’encontre de l’amour.
Donc voilà, les autres animaux, ça ne convient pas à l’être humain, parce que l’être humain veut mieux que ça. Parce qu’il désire plus que l’amitié. Dieu a encore échoué, mais il ne semble pas frustré.
Création de l’être humain – acte 3
Après avoir créé les animaux, Dieu fait quelque chose de nouveau : au lieu de prendre de la terre, il prend un côté de l’être humain et fait une femme.
A partir de ce moment, l’être humain n’est plus un générique, il est sexué. Mâle et femelle. Dieu a inclus la différence dans le désir de similitude qu’avait l’être humain.
Aujourd’hui, c’est le lien entre les humains et les autres animaux qui retient mon attention.
Dès le début de la Bible, on indique combien les relations avec les autres êtres vivants doivent être respectueuses, pleines d’attention bienveillante. La nature est dangereuse, c’est vrai qu’il y a des animaux féroces, des animaux qui nous pourrissent la vie, mais nous devons rechercher le bien des êtres vivants dans leur globalité. Voilà le vrai projet de Dieu.
Les animaux peuvent répondre à nos besoins affectifs, émotionnels et relationnels. Mais ils ne peuvent pas répondre à tous nos besoins affectifs. C’est pourquoi nous ne devons pas délaisser les communautés humaines.
Les animaux sont vus par la Bible comme des êtres proches de nous, ils viennent répondre à nos besoins de manière divine. Il me semble donc étrange que l’on continue de séparer les animaux et les êtres humains : l’être humain est un animal ! Les textes le disent depuis au moins 2600 ans ! Comment la théologie a-t-elle pu effacer notre appartenance au règne animal ? Prétendre que l’être humain n’était pas un animal ?
Un problème de traduction
« Une aide contre lui ». Voilà un problème de traduction intéressant. Pourquoi ?
D’abord parce que l’élément « contre lui » peut poser question. Comment puis-je être contre quelqu’un si je viens l’aider ? Dans notre Occident du 21è siècle, nous imaginons qu’être contre quelqu’un, c’est être en conflit avec lui. Or, il faudrait semble-t-il plutôt entendre ici le « contre » comme un « non identique » ou « non similaire ». Ce « contre » marque la différence, mieux : la différenciation. Et dans cette revendication de la différence, j’entends que quand on aide, on se place « tout contre ».
C’est ça, sans doute, être un vis-à-vis : un visage qui reflète un autre visage.
Ensuite parce que de nombreuses traductions de la Bible portent non pas « une aide contre lui », mais « une aide semblable à lui », ce qui manifestement est un problème, puisque l’hébreu, ezer kenegdo, signifie bien « une aide contre lui ». D’où vient ce « semblable à lui » ?
Semblable à lui ?
L’hypothèse que j’avance (mais des personnes mieux qualifiées que moi pourraient approfondir cette question) c’est que la traduction grecque de la Bible, qu’on appelle « la traduction des Septante », induirait ce glissement de sens. En effet, le grec traduit : « boèthon kat’auton« , ce qui peut signifier « une aide contre lui » ainsi que « une aide conformément à lui », ou « de la même façon que lui ». Le « semblable » est en train de montrer le bout de son nez.
Mais ce n’est pas suffisant, selon moi.
Pour bien parfaire le glissement, il faut plus qu’une traduction : il faut une idée. Et cette idée, c’est que le texte de la Genèse établit un rapprochement trop grand entre les êtres humains et les autres animaux. Dans une idéologie qui voudrait que l’être humain soit le joyau de la création, un être qui domine et qui gouverne la Nature avec une main tyrannique, il est dangereux de marquer la proximité animale qui nous rassemble… Aussi, resserrer les liens du semblable avec le nouvel être créé pour l’occasion, c’est une sacrée aubaine pour asseoir une toute-puissance à l’égard des autres êtres vivants.
Et il y a un verset qui pourrait justifier cette « similitude ». Quand la femme est créée, l’homme s’écrie : « Voici celle qui est os de mes os, chair de ma chair. Celle-ci sera appelée femme parce qu’elle a été prise de la chair même de l’homme ». Il y aurait beaucoup à dire sur cette phrase, mais contentons-nous – pour rester dans notre sujet – de préciser qu’en hébreu, Adam désigne l’être humain (générique, non sexué, jusqu’à ce moment où ce deuxième être humain est créé), et que homme se dit Ish et femme se dit Ishah.
Au moment où l’autre humain est créé, il y a sexuation en Ish et Ishah, et c’est pourquoi on dit : « elle sera appelée femme car elle a été tirée de l’homme ». C’est la proximité des deux termes, qu’on ne peut pas entendre en français, qui explique ce cri du mâle en joie.
De cette origine (« os de mes os, chair de ma chair ») au « semblable à lui », il n’y a qu’un pas, que l’idéologie suprémaciste n’a pas hésité à franchir. Soumettant, au passage, les femmes, en considérant qu’une « aide » était forcément une subalterne (alors qu’on ne peut aider quelqu’un que si on a des compétences supérieures à ce dernier). Mais ce n’est pas notre sujet, je vous l’ai déjà dit, bon !
Les animaux de compagnie
Aujourd’hui, beaucoup de gens sont indignés quand ils voient qu’il y a de plus en plus d’animaux de compagnie. Ils pensent qu’on ferait mieux de s’occuper des humains. Ils se disent aussi que c’est de la bêtise sentimentale, que les humains sont tellement au-dessus du règne animal qu’il est indigne d’humaniser les autres animaux.
Juridiquement, l’animal commence à avoir des droits. On commence à faire attention à la manière dont on nourrit nos animaux de compagnie : on fait attention à leur alimentation, parce qu’on n’a pas envie qu’ils développent des maladies ou des intolérances. Nos contemporains se posent la question du bien-être animal, et pas juste en terme de caresses ou de ventre plein. On veut que nos compagnons soient heureux.
Ça me réjouit, parce que nous sommes en train de prendre conscience que c’est le projet de Dieu depuis le début. Nous sommes en train de mettre en œuvre cette vieille prière, qui dit : « que ta volonté soit faite » !
Je remarque que les personnes qui préfèrent qu’on prenne soin des humains sont souvent celles qui ne font pas grand-chose pour venir en aide à leurs semblables. Alors que les personnes qui font du bien aux animaux sont souvent les personnes les plus généreuses envers les humains.
Ça me fait penser à cette phrase de Gandhi : « On peut juger de la grandeur d’une nation et ses progrès moraux par la façon dont elle traite les animaux. »
Un rapport sain et équilibré avec les autres animaux est souhaité par ce Dieu qui façonne nos vies, lui qui a désiré que nous soyons de bons compagnons pour les autres animaux.
Il va falloir que nous changions de comportement, si nous voulons vraiment faire la volonté de Dieu.
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