Un prêtre catholique se tient à genoux devant l'autel, seul.

Sainteté Vs sacré

4 décembre 2022Lionel Thébaud

Sainteté Vs sacré, qui va gagner ? On confond souvent ce qui est sacré et ce qui est saint, mais la Bible vient trancher la question…

Nous marquons l’Avent par une attente : l’attente de la venue du Seigneur dans nos vies. Il est déjà là, bien sûr, mais nous prenons un temps particulier pour rejouer cette attente, histoire non seulement de nous rappeler ce que Dieu a fait, mais aussi pour nous recalibrer à l’aune de notre relation à Dieu. Posons-nous la question : qu’est-ce qui a changé, depuis que nous vivons avec Dieu ? Je vous invite à méditer cette question en attendant Noël.

Joie et délivrance, pour introduire le sujet

Dans les 10 versets du chapitre 35 du livre d’Esaïe, le prophète annonce la joie et la délivrance de son peuple. Il annonce aussi la vengeance de Dieu sur les ennemis du peuple. Il annonce une abondance et une revitalisation de celles et ceux qui ont été abîmés par la vie, abîmés par l’Exil.

La manière dont il en parle rappelle ce que les évangiles disent des œuvres de Jésus. Et je me demande : mes yeux se sont-ils ouverts ? Mes oreilles se sont-elles ouvertes ? Est-ce que je me suis remis en route, en bondissant comme le boiteux guéri ?

Au fond, la question, c’est est-ce que j’ai été changé par la présence de Dieu dans ma vie ?

Une fois que la vie de Dieu a pénétré en nous, c’est un processus qui se met en route. Ça peut prendre du temps, et le travail qui est commencé ne finira sans doute jamais, mais on peut dire qu’à partir du moment où nous avons ouvert les yeux sur la réalité divine, quelque chose a radicalement changé : avant, nous vivions sans Dieu, mais aujourd’hui nous vivons notre vie sous le regard de Dieu.

Nous ne sommes pas parfaits, mais nous sommes saints, malgré nos erreurs.

La voie sainte

Le texte dit, au verset 8 :

Il y aura là un chemin frayé,
une route,
Qu’on appellera la voie sainte ;
Nul impur n’y passera ;
elle sera pour eux seuls ;
Ceux qui la suivront,
même les insensés,
ne pourront s’égarer

(traduction Louis Segond).

La voie sainte.

Et là, ce qui me travaille, c’est un gros malentendu. Quelle différence y a-t-il entre le saint et le sacré ?

La sainteté

Je reviens rapidement sur la sainteté, parce que j’en ai déjà parlé plusieurs fois et notamment ici.

C’est un rappel, donc – c’est important de rappeler les choses. Être saint, c’est être à part.

Dieu est saint : il est à part, il est le « tout-autre », comme on dit. On ne peut pas le mettre en boîte. Ésaïe a dit, de la part de Dieu : Les cieux sont mon trône et la terre mon marchepied. Quel genre de maison voudriez-vous me bâtir ? Et en quel genre de lieu voulez-vous que je me repose ? Tout ce que vous voyez, je l’ai fait de mes mains, et tout cela existe, vous dis-je. Mais celui sur qui je porte mon regard, c’est le pauvre, le malheureux, celui qui écoute ma parole avec crainte et tremblement. Dieu est vraiment « autre », et donc il est saint.

Dieu nous a sanctifiés, c’est-à-dire qu’il nous a mis à part pour le servir. La sainteté, c’est donc cette mise à part. C’est cette marque dans nos cœurs qui indique que nous appartenons à Dieu. Que nous vivons avec lui.

On dit que la bible est sainte, aussi. Parce que pour nous, c’est un livre à part, un livre qui nous parle de notre relation à Dieu, comme aucun autre livre ne nous en parle.

Je le martèle encore une fois : saint, ça veut dire « à part ». Et c’est pour ça que si tous les fidèles sont des saints, comme le dit la Bible, il n’y a pas un être humain qui soit plus saint qu’un autre. Le pasteur, le curé, le pape, le faiseur de miracles (s’il existe) n’est pas plus saint que toi, qui essaye de vivre ta foi dans ton quotidien, et qui te dépatouilles comme tu peux.

Nous sommes également saints. Parce que Dieu ne fait pas ce genre de différence. Tu es saint·e, parce que tu es en relation avec Dieu, point. Tu n’y peux rien, c’est Dieu qui a fait ça. Il a mis en toi son Esprit : l’Esprit Saint.

Tu as compris qu’une personne sainte était en tous points semblable aux autres personnes, cependant elle a été mise à part pour Dieu. Nous sommes semblables aux autres. Nous vivons avec les autres.

Mais sacré, ça veut dire quoi ?

Le sacré

Le sacré renvoie au caractère intouchable du divin.

Par exemple, on considère parfois qu’un lieu est sacré. Ce lieu serait un endroit où on ne doit pas manger, par exemple, ou dire des gros mots, ou danser, parce qu’il est sacré. Laisser des miettes dans ce lieu serait comme un blasphème.

Le sacré est aussi une mise à part, mais différente du saint. Le saint est mis à part pour servir Dieu, alors que le sacré est mis à part pour le distinguer du profane, c’est-à-dire qu’il est supérieur. Il est intouchable, il n’est pas de la même nature que le reste.

D’ailleurs, pour que quelque chose ou quelqu’un soit sacré, il faut qu’il ait été consacré.

Le sacré n’est pas semblable aux autres, il est très supérieur. Il est incompatible avec la vie normale. C’est pour ça qu’on ne le touche pas.

Comment sait-on si un objet est considéré comme sacré ? Il y a quelques astuces très simples. Par exemple, enlève les bancs du temple (ou de l’église) et remplace-les par des chaises, ou bien par des fauteuils confortables. A la réaction des gens, tu verras que les paroissiens considèrent que les bancs sont sacrés.

Joue du rock’n’roll pendant les cultes et tu entendras des personnes en appeler au retour de la musique sacrée.

Autre exemple, le travail : c’est une chose sacrée pour beaucoup. Au point que Renaud, dans sa relative jeunesse, chantait : « le travail pour lui c’est la chose la plus sacrée, il y touche pas » (dans une reprise de chanson de Fréhel). Il avait raison !

Pour mieux comprendre le sacré : un exemple parlant !

Le sacré induit une distinction de nature. Et ce qui est intéressant, je trouve, c’est d’aller voir la racine grecque qui dit le sacré.

Cette racine, c’est hièros. Comme dans hiéroglyphe (qui est un signe graphique sacré).

Ou bien dans hiérarchie.

Ce mot, composé de hièros, donc, et de arkè, veut dire « commencement, origine » ainsi que « première place ».

La hiérarchie, qui désigne donc la pyramide des supérieurs qui s’élèvent au-dessus des inférieurs, est une organisation du pouvoir sacré. La hiérarchie désigne le supérieur comme étant sacré, intouchable.

C’est dangereux, vous ne trouvez pas ?

Et il nous faut entendre cette parole de Jésus : Vous savez que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent. Il n’en sera pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur (Matthieu 20). Ou encore : les premiers seront les derniers, dans le même chapitre.

En fait, il semble bien que Jésus renverse toutes les valeurs du sacré. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le sacré, c’est la sainteté.

Le sacré serait un besoin humain

Les philosophes et les anthropologues nous disent que l’être humain a besoin de sacré.

La plus ancienne trace du sacré dans l’histoire humaine serait liée à la mort. Est-ce que la vie peut finir comme ça ? Aussi loin qu’on puisse remonter, nos ancêtres ont voulu donner un sens à la mort, et donner à la mort le sens d’un passage vers une autre vie. Ce qui s’exprime par des rituels, et des cérémonies, qui relèvent du sacré.

Ce « besoin de sacré » comme on l’appelle, se retrouverait, d’une manière ou d’une autre, dans toutes les communautés humaines – et parfois aussi chez certains animaux.

Les religions ont été développées pour répondre à ce besoin de sacré. Mais la question qui se pose, quand on voit Jésus n’accorder aucune importance au sacré – c’est : nous, en tant que communauté chrétienne, doit-on encore accorder de l’importance au sacré ?

Doit-on répéter des croyances et des tabous, des rituels et des cérémonies qui perpétuent la séparation entre un sacré et un profane, ou bien sommes-nous appelés à sanctifier tous les domaines de l’existence ?

Désacraliser

Pour finir, je te livre un exemple concret de la question qui me préoccupe : il y a un mois j’ai reçu un message d’une femme qui m’a dit :

« Monsieur le pasteur, je vous appelle parce que depuis qu’untel est mort – c’est vous qui avez fait l’enterrement – personne n’est venu changer les fleurs de la tombe. C’est inadmissible, et je vous demande de bien vouloir passer mettre des fleurs nouvelles, c’est sans doute ce que cette personne aurait souhaité ».

Je n’ai pas rappelé cette dame, qui a l’air très gentille au demeurant, justement parce que je ne vois pas ce que j’ai à faire dans cette histoire.

Mais elle m’a laissé un nouveau message cette semaine, en disant : « Monsieur le pasteur, merci. Les fleurs ont été changées et je pense que c’est vous qui l’avez fait. Vous avez très bien fait, c’est important ».

Je t’assure que je n’y suis pour rien.

Mais on a là l’expression d’un besoin de sacré. Et je ne suis pas sûr que nous soyons appelés à répondre à ce besoin.

Sanctifier

En revanche, nous sommes appelés à regarder chaque occasion comme étant un lieu où la parole de Dieu peut jaillir, pour permettre aux gens de la saisir et de se savoir aimés de Dieu, et mis à part pour le servir. Il faudra d’ailleurs que je pense à rappeler cette dame (note pour plus tard).

Et si c’est vraiment comme ça, alors aucun lieu n’est sacré.

Aucun geste n’est sacré.

Il n’y a que l’amour qui soit le guide de nos paroles et de nos actes, le reste n’a pas d’importance. Ni les codes sociaux, ni les lois, ni les hiérarchies, rien n’a plus d’importance que l’amour. Peut-être, au fond, que l’amour est la seule chose vraiment importante aux yeux de Dieu.

Ou, comme le chante le groupe U2, dans la chanson « One » : « l’amour est un temple, l’amour est une loi supérieure ».

Je t’invite donc, en ce deuxième dimanche de l’Avent, à marcher sur cette route, dessinée par le Seigneur : cette route sainte, sur laquelle marchent tous les saints et toutes les saintes que nous sommes.

Je t’invite à vivre dans le monde, comme l’Esprit de Dieu vit en toi, sans en être séparé, mais avec cette foi qui t’habite, et en cultivant ta relation personnelle avec le Dieu qui vient.

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