Les disciples d’Emmaüs

26 mars 2023Lionel Thébaud

Les disciples d’Emmaüs, c’est un récit qu’on ne trouve que dans l’Évangile selon Luc. Tu peux prendre le temps d’aller le lire ici, des versets 13 à 35. Marc au chapitre 16 l’évoque du bout des lèvres en disant que Jésus « se manifesta à deux d’entre eux qui allaient à la campagne » – mais on ne peut pas être sûr qu’il fasse référence à notre récit. La question qui traverse ce texte, pour moi, c’est : comment témoigner du ressuscité ?

Avant d’emprunter ce chemin…

Voici ce qui précède notre récit selon Luc : le premier jour de la semaine, trois jours après la crucifixion, les femmes sont au tombeau (selon Luc, aucune d’elles n’a aperçu Jésus), et deux hommes en habits éclatants leur parlent de la résurrection du Christ. Les femmes vont alors annoncer la résurrection aux Onze (Judas n’est plus là), et Pierre vient vérifier leurs paroles. Les messagers (que Luc appelle d’abord « hommes » et ensuite « anges » – angellos voulant dire précisément « messagers ») annoncent aux femmes que Jésus est ressuscité, accomplissant ainsi leur devoir de témoins. Et les femmes, qui sont exemplaires dans notre récit, prennent le relais de ce témoignage, contrairement à Pierre, qui retourne chez lui sans témoigner.

C’est à cet endroit qu’est inséré le récit qui raconte le chemin d’Emmaüs.

Nous avons là deux disciples que nous ne connaissons pas. Ils ne font pas partie des Onze mais du groupe qui entoure les Onze. L’un d’eux n’est pas nommé, et l’autre est nommé Cléopas, c’est un inconnu. Cléopas, ça veut dire « au père glorieux ». Un disciple qui porte ce nom, c’est un disciple prometteur, c’est clairement un témoin de la gloire du Père. Suis-je un témoin de sa gloire ? Pour sa gloire ? Le texte, qui est un texte intelligent, a ses raisons de garder l’anonymat des disciples. L’incognito permet à chacun et chacune d’entre nous de nous identifier aux disciples : le récit d’Emmaüs est l’histoire banale du chrétien et de la chrétienne lambda.

Le chemin…

Ces deux disciples sont en chemin. Le chemin. Qui mène à Jésus. C’est là aussi un thème récurrent dans les évangiles. La vie de disciple est un chemin, un cheminement.

Et ils cheminent jusqu’à Emmaüs.

Emmaüs, on ne sait pas vraiment où c’est, mais le texte dit que ça se situerait à 2 heures de marche, c’est-à-dire à peu près à onze kilomètres de Jérusalem. C’est sur ce chemin qu’ils rencontrent Jésus, qui fait route avec eux. Les disciples ne sont pas seuls sur le chemin. Jésus est avec eux mais ils ne s’en rendent pas compte. Ils racontent ce qui s’est passé, de leur point de vue. L’échec de leur maître et l’incompréhension. Jésus leur ouvre le sens des Écritures. Au final, ils finissent par prendre un repas qui ressemble à la Cène. Jésus prend le pain, prononce la bénédiction et le rompt. C’est là, lorsqu’il rompt le pain, que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils le reconnaissent.

Et c’est au moment où ils le reconnaissent qu’il disparaît.

Le chemin que je souhaite prendre avec vous maintenant, c’est ce chemin du Dieu absent à la vue. On a beau être disciple, on a beau marcher sur notre chemin de témoins de la résurrection, Dieu ne se montre pas. C’est la foi qui nous motive, c’est elle qui nous donne l’assurance qu’il est là, cette foi nous donne l’espérance que Dieu s’y trouve. Mais aucune expérience ne peut suffire pour démontrer que Dieu y est vraiment présent.

C’est la foi, et la foi seule qui nous donne l’assurance de sa présence. Cette foi ne peut être donnée que par Dieu. Dire aux gens qu’ils doivent croire ce que nous croyons ne sert à rien. Il nous suffira de témoigner de la foi que nous portons.

Le chemin d’Emmaüs : où est Dieu ?

Nous sommes souvent confronté·e·s à ce sentiment que Dieu est absent. Sentiment de solitude, parfois même d’abandon. Nous comprenons très bien ce cri : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Nos projets tombent en morceaux, les gens que nous aimons s’éloignent – parfois à tout jamais -, nous avons des difficultés financières que nous ne savons pas résoudre, nous avons des problèmes au boulot, bref, tant d’occasions de voir que Dieu est absent. Tout ce que nous avons tenu pour certain s’écroule. La réalité nous montre l’absence de Dieu.

Même celles et ceux qui font vraiment confiance à Dieu de tout leur cœur connaissent le malheur.

Il y a une forme vicieuse de la foi. C’est lorsque nous faisons tellement confiance à Dieu que le sens des réalités disparaît. Parfois Dieu est un paravent qui nous permet d’échapper à la réalité. Et comme la réalité s’efforce sans cesse de faire tomber nos illusions, nous nous retrouvons avec des difficultés que nous n’avons pas voulu affronter, en nous disant : « Dieu pourvoira ». Ou encore : « Dieu ne permettra pas que cela arrive ». Alors quand le malheur vient, nous ne sommes pas prêts.

Au lieu de vivre notre vie avec Dieu, nous cherchons à échapper à la vie.

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, il vient avec la remise en question radicale de la foi.

Beaucoup abandonnent en cours de route, et on ne peut pas les en blâmer. La faute reviendrait peut-être à tous ceux et à toutes celles qui les ont encouragé à se réfugier dans l’illusion d’un Dieu qui les préserverait de tout mal. La réalité frappe à la porte, et que voyons-nous ? Que Dieu ne nous a pas préservé.

« Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La réalité, en enlevant brutalement nos illusions, nous enlève du même coup tout espoir. Voilà ce qui habite les disciples qui sont sur le chemin d’Emmaüs.

L’incognito de Dieu

Le texte nous dit que « leurs yeux étaient empêchés de voir ».

Dieu ne cherche pas à se manifester pour nous convaincre. Il ne fait pas d’éclat mais il est là, incognito.

Il agit comme il a toujours agi, il n’a rien changé à la condition des disciples : il ne leur a pas fait de miracle, il n’a pas – d’un claquement de doigts – enlevé leur tristesse ou leur désespoir. Jésus marche avec eux sur ce chemin de doute et de souffrance (quand je marche dans la vallée de l’ombre et de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi…), il discute avec eux, il donne son point de vue sur l’histoire qui s’est passée, et il partage le pain avec eux.

Dans la simplicité des gestes quotidiens d’une banalité exemplaire.

Tellement banal qu’ils sont empêchés de le voir.

C’est quand il rend grâce qu’ils le reconnaissent. Et c’est justement là qu’il part. C’est seulement là qu’ils comprennent que leur cœur brûlait à l’intérieur quand il leur parlait. Avant ils ne s’en rendaient même pas compte.

Et hop !!! Disparu !

Remarquez bien : tant qu’ils ne le reconnaissent pas il est présent, et il disparaît dès qu’ils le reconnaissent.

C’est un signe pour nous : il est là dans notre affliction. Il est là dans notre abandon. Et dès que nous le reconnaissons, nous n’avons plus besoin de lui. Nous pouvons avancer seuls, avec ce qu’il nous a donné. Ou plutôt, avec ce qu’il nous a redonné.

Car en le reconnaissant, nous retrouvons l’espérance. Et cette espérance, c’est ce qui va nous permettre, à notre tour, d’être des témoins à la gloire du Père. C’est l’absence de Dieu qui donne toute sa raison au témoignage.

Les disciples doivent témoigner de la vérité de la présence de Dieu lorsque le réel montre son absence. Mais le disciple ne peut pas être témoin tant qu’il n’a pas eu la révélation de la présence de Dieu à ses côtés.

Cette révélation est personnelle, elle est de l’ordre de l’expérience spirituelle.

Ce n’est pas une foi qui s’enracine dans l’illusion.

Ce n’est pas en se persuadant que Dieu est là que Dieu sera plus (+) là. Ça n’a rien à voir avec la méthode Coué.

Cette conviction n’est pas le fruit de la persuasion, mais le fruit d’une révélation.

Nous ne pouvons pas être témoin si nous n’avons pas eu la révélation de la présence de Dieu. Cela ne dépend pas de nous, mais de Dieu. Car c’est lui, et lui seul, qui se révèle. Et les témoins ne disent pas aux autres ce qu’ils doivent croire, mais ils témoignent de ce qu’ils ont vécu, tout simplement.

« Ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment il s’était fait reconnaître d’eux en rompant le pain. »

Nous sommes les disciples d’Emmaüs

Que pouvons-nous faire d’un tel texte ?

A mon avis, c’est un texte à ruminer longtemps, un peu comme les vaches qui ont quatre estomacs comme pour prendre le temps de bien digérer tout ce qu’elles ingurgitent.

Nous aussi, ruminons ce texte, et examinons ce que veut dire, pour notre vie, être un témoin. Arrêtons de copier les autres. Ou bien de croire comme les autres. Arrêtons de valoriser des soi-disant héros de la foi et de nous ériger des modèles. Mais faisons l’expérience de Dieu.

Prions notre Seigneur de se révéler, de manière à ce que nous puissions être des témoins fidèles.

Fidèles à quoi ? A la révélation de sa présence dans nos vies.

La résurrection, c’est le surgissement de l’être nouveau. C’est aussi le jaillissement d’une vie divine, en nous, qui déborde comme un fleuve d’eau vive. La manière dont ça déborde en toi, ce n’est pas la même manière que chez moi. La vie divine ne s’exprime pas en moi comme elle s’exprime en toi.

La vie divine habite nos existences, qui sont singulières. Je ne peux donc pas te dire ce que tu dois croire, et comment tu dois croire. C’est à toi de faire ce chemin, car il s’agit de ta relation personnelle avec Dieu. Et mon témoignage, je te le donne pour que ça te stimule au témoignage.

Dieu désire que tu sois témoin de ce que tu vis avec lui. Pas de ce que tu aimerais vivre avec lui.

Dieu désire que tu sois témoin de ce que tu vis avec lui.


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