Comment témoigner ? Dialogue avec la Samaritaine…
Il existe des communautés chrétiennes qui insistent sur la nécessité du témoignage. Parfois même jusqu’à nous faire sentir coupables, parce qu’il faut bien l’avouer : nous ne savons pas témoigner. Nous sommes mal à l’aise parce que nous ne voulons pas faire du prosélytisme. Alors, comment témoigner ?
S’il n’existe pas de recettes (et c’est là que ces communautés se trompent : on n’a pas le droit de forcer les gens à témoigner s’ils ne sont pas à l’aise, ET on ne doit pas forcer les gens à entendre un message qui ne les intéresse pas), les récits bibliques peuvent nous inspirer, à condition de prendre le temps de les lire attentivement. Nous verrons notamment dans cet article comme Jésus s’y prend, et de quelle manière il inscrit sa parole dans une relation qui, peu à peu, s’ancre dans la confiance réciproque.
Il s’agit du récit de la Samaritaine, qui se trouve dans l’évangile selon Jean, chapitre 4, versets 1 à 26.
Témoigner malgré l’opinion publique
Voilà une histoire qui devait beaucoup choquer, au premier siècle de notre ère. Jésus se retrouve à discuter avec une personne qui n’aurait jamais dû être remarquée. Je note trois points rédhibitoires :
– c’était une femme,
– elle était samaritaine,
– et ses relations conjugales ne correspondaient pas aux standards.
Alors devant tant de problèmes, pourquoi Jésus est-il allé parler à cette femme, méprisée par la société juive de l’époque ? Il faut croire que Jésus se moquait bien des préjugés et du qu’en dira-t-on…
Dans ce récit, que je vais dérouler à ma façon, Jésus éprouve le désir de dire à cette femme la foi qui l’anime. Mais il ne s’y prend pas n’importe comment. Il n’a rien calculé d’avance, semble-t-il. Simplement, il écoute, il tend des perches, et il va là où la Samaritaine le guide.
Observons donc la « méthode » Jésus.
Comment témoigner ? Première étape
Jésus veut se rendre en Galilée, dans son pays. Pour y aller, il doit passer par un territoire considéré comme impur par la société à laquelle il appartient : la Samarie.
Les relations entre les Juifs et les Samaritains sont compliquées depuis aux moins 700 ans… Je ne vous explique pas l’ambiance ! Si le contexte vous intéresse, je vous mets un lien vers un site plutôt bien fait, qui explique simplement l’histoire de ces deux ennemis légendaires.
En tout cas, pour ce qui concerne Jésus, c’est simplement en vivant sa vie que les occasions de témoigner se présentent. Il doit passer par là, c’est tout. Pas de plan prédéfini, pas de stratégie militaire, non : la vie, simplement.
Pour témoigner de ce qui nous habite, nous pouvons simplement vivre notre vie, là où nous sommes. Pas besoin de se forcer à faire des « trucs » pas naturels.
Comment témoigner ? Deuxième étape
Comme Jésus est fatigué du voyage, il cherche du repos. Il trouve un puits, et il est sûr d’être tranquille : c’est l’heure la plus chaude de la journée.
Ce n’est pas une heure pour puiser de l’eau.
Ce sont les femmes qui font ce travail, mais personne ne vient travailler quand le soleil est à son zénith. D’ailleurs, Jésus veut tellement être tranquille qu’il envoie ses disciples chercher à manger. Je peux presque l’entendre dire : Allez, vous me fatiguez !
Ce qui est étonnant, c’est les coïncidences. Ce puits, c’est le fameux puits de Jacob, qui est un lieu de pèlerinage commun aux Israélites et aux Samaritains.
Un lieu qui permet un dialogue, comme tous les lieux où nous partageons une culture commune.
Pour témoigner, il faut d’abord s’écouter (fatigue, stress, désir, etc.), parce que Dieu nous parle souvent par le moyen de nos besoins réels. De plus, pour témoigner, il est bon de se trouver sur un terrain que nous avons en commun avec notre interlocuteur, notre interlocutrice.
Comment témoigner ? Troisième étape
Une femme vient puiser de l’eau.
Jésus n’avait pas pensé que les femmes les plus en marge de la société ne pouvaient pas se rendre au puits en compagnie des femmes respectables, c’est-à-dire à l’heure où il est moins pénible de travailler. Quand on est un paria, on évite la compagnie des gens qui vont nous cracher à la figure. Le travail ordinaire est plus difficile pour les exclu·e·s.
Quoi qu’il en soit, ça tombe bien, Jésus a soif. Il voit là une opportunité. Il lui demande de lui donner à boire.
« Comment oses-tu me demander à boire, à moi, une Samaritaine ! » Elle est surprise de voir un Juif s’adresser à elle.
Cette parole, qui renvoie à un vieux conflit ethnique, est le témoin d’une amertume : elle souffre de la situation qui oppose les deux peuples. Elle aspire à autre chose. Elle désire la paix.
Quelle que soit notre situation, nous pouvons choisir de prendre les événements qui arrivent comme une occasion d’engager la discussion, sans rejeter personne, même quand les gens sont rejetés par la société. Créer la surprise est un atout. Il convient d’ouvrir bien grand ses oreilles pour entendre ce qui est dit dans la surprise.
Comment témoigner ? Quatrième étape
Jésus perçoit que la Samaritaine aspire à la paix entre les peuples. Il profite de l’occasion pour orienter la conversation vers un autre genre de paix (la paix intérieure) : il lui dit que c’est plutôt à elle de lui demander l’eau vive qui apaise vraiment.
L’âme de cette femme a soif, et Jésus le sent.
C’est comme s’il lui disait : Le conflit ethnique est un problème et tu en souffres, mais il y a quelque chose de plus fondamental à découvrir… ton identité est en Dieu. C’est lui, la source de ton être.
Et la Samaritaine ne comprend pas où Jésus veut en venir. Elle reste dans le concret de sa vie. Elle lui demande où est son seau pour qu’il aille puiser de cette eau. Bien évidemment, un homme ne fait pas ce genre de travail. J’entends ici l’ironie de cette femme qui ose poser le problème de l’inégalité des sexes.
C’est qu’elle en a entendu des prophètes. Des gens qui parlaient et qui promettaient ce qu’ils ne tiendraient jamais. Des gens qui disaient vouloir changer l’ordre des choses. Mettre fin à l’exploitation. Faire advenir la paix.
Jésus aurait pu la confronter directement. Il aurait pu la mettre devant la bonne théologie et l’écraser de sa supériorité messianique. Mais au lieu de ça, il y va petit à petit, pour l’amener tranquillement à prendre conscience de sa soif spirituelle.
Et il touche le point sensible, car c’est elle qui vient à parler de leurs racines spirituelles communes, en évoquant le puits du patriarche Jacob.
Il faut absolument respecter le cheminement de la personne. Etre sensible et ne pas aller trop vite. Prendre vraiment le temps de la relation, et surtout ne pas insister si la personne n’est pas intéressée par la discussion. Quand vous faites pousser des tomates, vous ne tirez pas sur le plant pour que ça aille plus vite. Faites attention aux êtres à qui vous vous adressez.
Comment témoigner ? Cinquième étape
Alors Jésus l’emmène un peu plus loin, en lui disant que l’eau qu’elle puise chez Jacob est passagère, tandis que la source qu’il lui propose est une source éternelle.
Nous savons bien, nous, de quelle source il parle. Et elle aussi finit par l’entendre, puisqu’elle lui dit : « donne-moi de cette eau », mais sa compréhension semble limitée, car sa demande est de ne plus avoir à puiser ici. Elle tient à rester concrète. Elle répète que sa condition sociale lui fait terriblement mal.
On a beau recevoir une parole qui relève, le concret de nos vies est important. Nos épuisements sont réels. Et croire ne nous arrache pas à notre condition humaine.
Jésus ne nie jamais la réalité des difficultés rencontrées par ses interlocuteurs. Il leur montre l’essentiel, mais il ne nie pas les souffrances et les besoins humains. Il ne leur dit pas, comme on l’entend souvent, que « les choses matérielles ne sont pas importantes ».
C’est faux. Elles sont importantes.
Et pour lui faire comprendre qu’il y a quelque chose de plus que cette eau matérielle, il change de communication.
Soyons sensibles aux conditions de vie des gens qui nous entourent. Ne nions pas la réalité qu’ils vivent, ni le sentiment qu’ils ont. C’est leur réalité, ne les jugeons pas. Si vous vous concentrez sur l’essentiel, vous pouvez délivrer votre message sans relativiser le vécu de l’autre.
Comment témoigner ? Sixième étape
Jésus dit à la Samaritaine qu’il veut parler à son mari.
Il faut le comprendre. Depuis le début elle ne cesse pas de lui opposer les conflits ethniques et aux rapports de soumission qu’elle subit. Elle le ramène sans cesse à leurs différences culturelles, et à la norme sociale très lourde qui pèse sur elle.
Alors pour ouvrir son esprit (à moins que Jésus soit imprégné du patriarcat de son époque, ce qui ne serait pas surprenant), il parle son langage. Tu veux jouer au jeu des normes sociales, alors ok, je ne veux plus te parler : je veux parler à ton mari.
Ici, je ne vois pas le rejet : Jésus s’adapte à son interlocutrice. Il la rejoint dans ce qu’elle dit, et il entend ses angoisses profondes.
Il semble plus probable qu’il soit exaspéré et que la vieille habitude (ne pas parler aux femmes) reprenne le dessus. Mais dans ce cas, elle va dire quelque chose qui va le retourner et le ramener à son objectif premier : témoigner de ce qu’il vit avec Dieu.
Quoi qu’il en soit, regardons ce que dit cette femme samaritaine.
Elle dit, naturellement : je n’ai pas de mari.
Autrement dit : je suis une femme libre et j’entends bien que tu continues de me parler à moi. J’en ai ras le bol de ne pas exister à vos yeux, vous, les mâles juifs.
Là, Jésus comprend qu’il a touché un point sensible. Lui-même est touché, et il perçoit ce qu’a vécu cette femme. Il « sait » qu’elle a eu cinq maris et qu’elle vit avec un homme qui n’est pas son mari.
Vous remarquerez vous-mêmes que Jésus ne porte aucun jugement moral sur la situation conjugale de cette femme.
Si vous faites une erreur dans la manière dont vous parlez à l’autre, ne soyez pas trop dur·e avec vous-même ! Tout le monde fait des erreurs. Mais soyez assez humble pour revenir en arrière et admettre vos torts. L’aveu de vos limites (quand cet aveu est honnête – et les gens sentent quand vous n’êtes pas sincère) est vraiment un témoignage. Encore une fois, entendez comment l’autre vit l’oppression sociale.
Comment témoigner ? Septième étape
Jésus lui démontre qu’il est prophète.
Des fois, quand on parle à quelqu’un, on « sent » des choses. On n’est jamais sûr de ce qu’on sent, c’est pourquoi il faut être très prudent, mais très souvent on se dit « ha ! Je le savais ! ».
Soyons honnête, nous ne le savions pas.
Mais bon, on avait une intuition, et elle s’est révélée exacte. L’autre n’a pas besoin de le savoir : vous n’avez rien à prouver. Mais vous, vous avez besoin de savoir que c’était la chose à dire. C’est un encouragement pour vous, pas pour l’autre.
Quoi qu’il en soit, la Samaritaine, ici, prend conscience d’être face à un prophète de Dieu. Elle revient donc sur le terrain ethnique pour savoir où il faut adorer Dieu. Derrière ce « où » (le mont Garizim ou bien le mont Sion ?), il y a le comment (quel est le bon rite ? Quels sont les bons textes ? Quelles sont les conditions à remplir ?).
Elle ne lâche pas le morceau hein, parce qu’elle souffre de cette discrimination à l’égard des Samaritains.
Alors Jésus décide de répondre à sa question – parce qu’elle est prête. Il affirme que les Juifs ont raison, mais qu’on s’en fout, parce Dieu est à adorer en esprit et en vérité, et pas dans un lieu particulier. Nos divisions ne sont que des questions de sensibilité, mais ce n’est pas ça qui est fondamental.
La fondation, la source, est en Dieu, et nulle part ailleurs.
Quand vous sentez que la personne est prête à entendre ce qui est essentiel, il est temps de relativiser les différences qui discriminent pour aller au coeur du sujet. Ici, c’est l’amour inconditionnel de Dieu qui est mis en avant, et le fait que notre identité n’est pas un frein.
Le but de ce dialogue
Voilà les paroles qui touchent le cœur de la Samaritaine. C’est là qu’elle reconnaît que Jésus est le Messie. Parce que le Messie, ce n’est pas celui qui affirme la supériorité d’une identité sur une autre, c’est celui qui, tout en reconnaissant les identités, montre que l’essentiel se trouve en Dieu.
C’est ce que fait le Saint-Esprit : il unit ce qui est différent. Et voilà que la réponse à la vraie question de la Samaritaine est prononcée.
Vous le voyez, Jésus n’arrive pas avec ses gros sabots en posant son dogme et en expliquant du haut de sa condescendance comment il faut que les choses soient faites pour être bien faites.
Il ne dit pas : voilà ce que disent et font les vrais enfants de Dieu.
Il fait exactement l’inverse.
C’est comme quand on fait un puzzle : on ajoute les pièces à mesure que le dessin prend forme. On ne peut pas aller plus vite que la musique.
Jésus se met au niveau de son interlocutrice, et il se laisse guider par elle pour se dévoiler. Il tire simplement la pelote de laine. Résultat ? La Samaritaine reconnaît Jésus comme le Messie, c’est-à-dire le Christ.
Soyons des témoins respectueux
Quand je lis ce récit, je suis à chaque fois touché par la sensibilité de Jésus, et je me dis que j’aimerais que nous soyons comme lui. Il ne met pas la charrue avant les bœufs. Il respecte les personnes à qui il s’adresse.
Les gens ont besoin qu’on s’intéresse à eux, ils ont besoin d’être en confiance. Les gens sentent si vous vous intéressez à eux ou si vous faites juste « votre job ». Il sentent si vous cochez la case de votre to-do-list. Ou si vous faites les choses pour soulager votre conscience, ou pour assurer votre statut de bon chrétien, de bonne chrétienne.
Jésus se moquait des injonctions sociales. Il se moquait de la pression religieuse. Il est allé vers la personne que tout le monde rejetait et il a dépensé du temps et de l’énergie avec elle. L’histoire ne dit même pas s’il a pu boire son verre d’eau.
Il faut témoigner, certes, mais comment ? Certainement pas en forçant les autres à écouter une parole qui ne les intéresse pas. Pas à la manière de ces mauvais représentants qui vous forcent à signer un ontrat d’achat pour un produit dont vous n’avez même pas besoin. Sauf exception, il n’y a pas de témoignage sans relation.
Comment témoigner ? Comme Jésus !
Donc la méthode de Jésus, c’est d’établir la relation.
Et au cœur de la relation, les gens voient, et ils posent des questions.
Répondre aux questions des gens, voilà ce que c’est que témoigner. Tout simplement.
Vous n’avez pas vous forcer.
Vous n’avez pas à culpabiliser avec des pensées telles que « aujourd’hui je n’ai témoigné de ma foi à personne ».
Vivez, simplement.
Si on vous demande : « vous avez fait quoi dimanche ? » répondez, le plus simplement possible : « je suis allé au temple ». Et si la personne vous pose des questions, répondez. Si elle ne vous en pose pas, ne dites rien. Simplement.
Pour ma part, j’ai remarqué que ne rien dire, c’était souvent un témoignage qui marquait les gens. Parce que quand on ne les force pas, ils se sentent aimés tels qu’ils sont. Et ça tombe bien, parce que l’amour, c’est ce qu’il y a de plus important.
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