Si Dieu existait, il n’y aurait pas tous ces malheurs !
Si Dieu existait… y aurait-il tout ce mal ? Les accidents, les ouragans, les guerres ? L’existence du malheur n’est-elle pas la preuve qu’il n’y a pas de Dieu ?
Quand on m’a posé cette question – qui n’est pas une question nouvelle – je me suis trouvé bien embêté. Cette question est une question honnête, et j’avoue n’avoir aucune réponse à ce sujet. Je me méfierai, d’ailleurs, de quelqu’un qui prétendrait avoir une réponse.
Toutefois, cette question me fait penser à la foi qui m’habite et à la manière dont elle s’exprime. Et si vous souhaitez savoir comment cette question me fait cheminer, suivez-moi. Que vous soyez d’accord avec moi ou pas n’a pas vraiment d’importance. Mais si mes réflexions peuvent vous aider à cheminer, alors j’en suis heureux.
Les malheurs, selon le psaume 39
Lisons d’abord le psaume 39, versets 1 à 7. Les sept premiers versets du psaume 39 nous plongent directement dans une atmosphère bien spéciale, n’est-ce pas ?
Je suis heureux dans la vie. Dans le passé, ça n’a pas toujours été le cas mais je vous promets qu’aujourd’hui, je me sens bien. Je suis heureux en couple. Je suis heureux d’être le pasteur d’une super communauté.
En fait, le problème n’est pas de savoir si je suis heureux ou non, si nous sommes heureux ou non. Le problème qui me taraude, c’est de savoir si nous sommes capables – malgré notre joie d’être co-citoyens et co-citoyennes des cieux, nous qui participons activement à la dynamique du Royaume de Dieu – savoir si nous sommes capables d’entendre le malheur du monde qui nous entoure.
Capables d’être sensibles, sans que ça vienne gâcher notre joie. Capables d’être joyeux et joyeuses, sans que ça vienne gâcher notre sensibilité.
Et pour évaluer si nous en sommes capables, rien de tel qu’un beau passage comme ce psaume 39. Laissons ce texte nous agacer un peu.
Dieu et les gens qui pleurent
Le psaume 39 est un psaume de supplication. Ça veut dire que le psalmiste se plaint auprès de Dieu.
On n’aime pas la plainte, n’est-ce pas ? « Oh là là, il ne fait que se plaindre, c’est insupportable ». Bienvenue dans le pays des Psaumes.
Le gars qui prie, là, au départ, il parle pour dire à Dieu qu’il se tait. Mais au bout d’un moment, il n’en peut plus, il faut qu’il dise des paroles. Il faut que la plainte monte à la surface. Et alors il dit à Dieu que la vie n’est que souffrance.
« Ma souffrance n’a fait qu’augmenter, chaque soupir était comme une brûlure… fais-moi savoir combien de temps je vais vivre afin que je sache la durée de mon sursis… tu me donnes peu de temps à vivre… la durée de mon existence c’est presque rien… l’être humain n’est qu’un souffle… ce n’est qu’un mirage… ce n’est que du vent… »
On sent la désillusion dans la prière de cet homme. Vous reconnaîtrez peut-être les accents de l’Ecclésiaste : « tout est buée et poursuite du vent ! » Et les passionné·e·s du livre de Job reconnaîtront là aussi l’influence de la littérature de sagesse.
Il faut garder à l’esprit que la plainte, que nous détestons, est le seul moyen que nous avons à notre disposition pour rester en contact avec Dieu dans le temps du malheur.
Ce n’est pas en prétendant que tout va bien alors que tout s’écroule que nous sommes en communion avec Dieu, mais c’est en lui exprimant ce que nous ressentons, de manière authentique. La plainte nous permet aussi de ne pas nous résigner à l’injustice : elle nous tient debout dans l’adversité.
Si Dieu existait, la vie aurait un sens
Le psalmiste ne prétend pas qu’avec Dieu tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Non, avec Dieu, la condition humaine reste la même. Les malheurs sont là. La vie suit son cours. Les gens souffrent, il y a des guerres, des catastrophes naturelles, et il y a des méchants qui font du mal autour d’eux. Dieu ne nous protège pas de ces choses.
Objectivement, la vie semble dépourvue de sens.
D’ailleurs, la vie est futile parce qu’elle est un long processus de dégradation, comme la rouille. Dès sa naissance, l’être humain se détériore et s’achemine vers la tombe.
Le malheur de la mort
La mort nous surprend toujours.
Je trouve surprenant que nous soyons surpris quand quelqu’un meurt jeune. On dit que c’est prématuré. Mais regardez le monde ! La majorité des gens ne meurent-ils pas avant de devenir vieux ?
On croit que c’est normal de vieillir, mais la plupart des humains n’ont pas ce privilège. La mort ne devrait jamais nous étonner : elle est inhérente à la condition humaine.
Pour nous, la mort est injuste.
La souffrance est injuste.
Les catastrophes, les maladies, les guerres et les persécutions sont injustes.
Il existe beaucoup de personnes qui ne sont pas habitées par la foi. Et elles se posent les mêmes questions que moi – peut-être se les posent-ils d’une manière bien plus honnête que moi.
La question qu’elles se posent, souvent, c’est : y a-t-il vraiment un Dieu ? S’il y avait un Dieu, il n’y aurait pas toutes ces souffrances.
Cette question nous déroute, parce que nous ne savons pas quoi répondre. A la limite, même, nous savons qu’elles ont raison. Les êtres humains ne se sont-ils pas fait des dieux justement pour qu’ils nous protègent du malheur ?
Dieu mis en accusation
Il nous est difficile d’admettre que Dieu laisse des gens commettre des crimes atroces et qu’il laisse des ouragans détruire des régions entières avec leurs habitants. Il se doit d’intervenir, au nom de l’amour. Cette question est vielle, très vieille, mais elle a gagné d’intensité après la Shoah.
On peut légitimement se demander ce que Dieu fout. Nous le prions, et il arrive même que des gens qui ne croient pas en lui le prient. Est-ce que Dieu intervient ?
Certains disent que oui. Si c’est le cas, c’est terriblement injuste parce que sa grâce tomberait sur des personnes comme ça, de manière complètement aléatoire, et nous sommes là à nous demander ce que nous avons bien pu faire au bon Dieu pour mériter de ne pas être secourus.
Donc soit Dieu nous ignore, soit il prend plaisir à nous voir souffrir. Ou alors il n’y a pas de Dieu.
Ce raisonnement est logique.
Martin Luther a perdu un fils. Sa femme, Catherine de Bore, lui a demandé : « Où était Dieu quand notre fils est mort ? » Martin Luther a répondu : « Il était exactement au même endroit que quand son propre fils est mort. Il était là, il le regardait, et il pleurait toutes les larmes qu’il avait en réserve ! »
La réponse de Luther me pousse à réfléchir autrement la question de l’intervention de Dieu dans le monde : non pas forcément comme un protecteur, mais comme une force qui souffre avec nous et qui nous relève.
Si Dieu existait, il ne serait pas…
Je crois qu’on attribue à Dieu des attributs qui ne le concernent pas.
On voit Dieu comme étant tout-puissant. L’est-il vraiment ? Si vous lisez votre Bible en cherchant des traces de toute-puissance, je ne suis pas sûr que vous les trouverez.
D’une part, on trouve beaucoup de textes, dans la Bible, d’un Dieu qui n’est pas tout-puissant : il se repent, il se trompe et admet ses erreurs, il lui arrive de ne pas pouvoir faire certaines choses, il se laisse parfois limiter par les actions des êtres humains, etc. L’omnipotence n’est pas un attribut du dieu biblique (mais on peut lire des passages où des hommes affirment que Dieu est tout-puissant. Ça ne veut pas dire qu’il le soit vraiment).
Dieu sait tout. Mais on a des passages dans la Bible où Dieu ne sait pas tout : il entend parler d’une rumeur concernant les gens de Sodome, alors il part en voyage pour aller voir sur place si ce qu’il a entendu est vraiment vrai. Et tant d’autres passages où l’on voit que Dieu ne sait pas. L’omniscience de Dieu n’est pas un concept biblique.
Et Dieu est partout. Ben justement, s’il est partout il n’a pas besoin de se déplacer pour se rendre compte par lui-même, or le Dieu de la Bible n’est pas toujours présent partout en même temps. On ne peut pas enfermer Dieu en le qualifiant d’omniprésent. Ce n’est pas parce que Dieu est puissant, présent et qu’il sait beaucoup de choses qu’il est un « omni ».
Mais ce que je lis dans la Bible, à chaque étape, c’est que Dieu est amour.
L’amour, c’est vraiment la nature de Dieu. L’amour vrai ne vient pas empêcher l’autre de vivre sa vie. Il refuse de faire de l’autre une marionnette. Et surtout, il ne le protège pas des conséquences de ses actes.
Dieu veut faire de nous des être responsables. Nous agissons, et nos actions ont des conséquences. Souvent des conséquences, d’ailleurs, que nous n’avions pas prévues. C’est pourquoi il est si important de travailler dès aujourd’hui pour rendre ce monde un peu plus vivable, pour qu’il y ait plus de justice, plus de paix, plus de santé, et pour que personne ne soit oublié.
Parce que s’il y a des événements pour lesquels nous sommes impuissants (nous ne contrôlons pas les tempêtes ou les tremblements de terre, nous n’avons aucune prise sur les guerres), nous avons un pouvoir, c’est le pouvoir de venir au secours des autres. Le pouvoir de relever les personnes qui sont dans la détresse. Le pouvoir de redonner le sourire et le pouvoir de donner de l’amour.
L’amour comme preuve de l’existence de Dieu
Dieu ne peut pas exister à cause du malheur du monde… Face à cette remarque, je me dis au contraire que s’il n’y avait pas un Dieu, on ne verrait pas la trace de l’amour.
Il n’y aurait pas de solidarité.
Il n’y aurait que le chacun pour soi.
Dieu est en chacun des êtres humains que vous croisez, et je suis persuadé que si nous sommes capables d’aimer, c’est bien parce que nous portons son image en nous.
Les catastrophes restent terribles et inexpliquées. Elles laisseront toujours un profond sentiment d’injustice. Mais nous pouvons nous lever contre les injustices et nous organiser pour en réduire les effets dévastateurs.
Au fond, peu m’importe que mon collègue ou ma voisine ne soit pas en capacité de croire en Dieu. Ses arguments sont de bons arguments. Mais ça ne remet pas en question la foi qui m’habite.
Et surtout, la foi de l’autre n’est pas mon affaire.
Mon affaire, c’est d’essayer de vivre le plus possible en cohérence avec cette foi qui est en moi. Ce sera un témoignage suffisant de la présence de Dieu dans ma vie. Ce sera une manière de résister à l’absurde, à la violence et à la haine. Une manière de résister au mal qui habite notre monde. Une manière de démontrer que Dieu est amour, et qu’il habite en moi.
C’est ce que les témoins de la Bible nous ont promis, et j’y crois.
Acceptons de ne pas pouvoir répondre à cette question, et continuons de vivre de sa grâce. Cette grâce que nous recevons, et que nous distribuons.
En savoir plus sur Chemins Libres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Comments (3)
NICOLE LETOURNEUR
29 juillet 2022 at 17:25
Je vous suis tout à fait.
Et puis en ce qui concerne le psaume 39 , j’en reviens à notre récente conversation : il faut écouter l’interprétation bouleversante qu’en fait Brahms dans le N° 3 de son Requiem allemand, particulièrement avec le « we nichts » (comme rien) qui ponctue dramatiquement la fin d’une phrase musicale…
Nicole
Marie Maignan
5 septembre 2022 at 22:50
Merci pour votre approche. Elle est pertinente.
Les souffrances vécues par chacun sont incontournables, elles sont liées à la vie, au vivant.
Une graine passe par des tribulations pour s’accomplir en une fleur, pour exprimer le meilleur d’elle.
Le sens de notre vie est aussi un accomplissement, une « transfiguration ». Christ est le chemin pour sortir des ténèbres vers la lumière.. Dieu crée la vie, le mouvement, les transformations. Il est présent.
La présence d’un démon, d’un Satan conduisant les humains dans les souffrances, dans des actions perverses.. ou celle d’un Dieu vengeur lançant des punitions sur terre, me semble obsolète, malsain, culpabilisant. Le soleil réchauffe les bons comme les méchants., rappelle Jésus.
La Création n’est pas terminée, un chaos originel continue à se transformer avec chacun de nous.
JOELLEALMERAS
7 septembre 2022 at 12:18
votre commentaire fait suite à une conversation que j’ai pu entamer avec un ancien témoin de Jéhovah.
il parlait du Dieu du Premier Testament, tout puissant et pourtant toutes les questions que vous avez soulevées le taraudaient.
Avec l’icone de la Trinité sous les yeux, j’ai seulement pu lui dire que la toute puissance de Dieu est une toute puissance d’amour, l’amour du Christ en croix et qui dit « Père, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font ». La toute puissance de Dieu, j’en suis convaincue, c’est bien celle de l’amour.
je vais faire suivre votre commentaire, parfait pour faire suite à notre conversation.
Je suis toujours assez en symbiose avec vos commentaires. Béni soit Dieu !