La femme au parfum

9 avril 2023Lionel Thébaud

Avant de parler de la femme au parfum, je t’invite à lire le récit de l’évangile selon Marc, chapitre 14, les versets 1 à 11. C’est bon ? Tu est prêt·e ? Alors c’est parti !

Un récit détaillé

Notre récit contient beaucoup de précisions.

On sait que nous sommes 2 jours avant la fête de la Pâque et des pains sans levain. Que les chefs des prêtres et les spécialistes des Écritures veulent faire arrêter Jésus et le mettre à mort. Qu’ils ont peur de faire ça pendant la fête parce que le peuple pourrait se soulever. Que Jésus se rend à Béthanie, chez un lépreux appelé Simon. Qu’il est à table.

On sait qu’une femme arrive et brise un flacon d’albâtre rempli d’un parfum qui coûte très cher, qu’on aurait pu vendre plus de 300 pièces d’argent. Nous savons que cette femme a répandu ce parfum sur la tête de Jésus, un peu comme on faisait l’onction des rois. Elle fait ce geste réservé aux prêtres après l’entrée de Jésus à Jérusalem, au chapitre 11, où il se présente assis sur un ânon – c’est ainsi qu’on se représente les rois Juifs – et où la foule l’accueille en étendant des manteaux et des rameaux sur son chemin, en criant « Hosanna ! ».

Bref, il entre accueilli comme un roi au chapitre 11, et il est oint au chapitre 14. Je continue dans les détails qui sont donnés : Jésus interprète autrement le geste de cette femme, il dit qu’elle le oint pour l’embaumer – alors qu’il n’est même pas mort ! En fait, cette femme pose un geste prophétique sur Jésus, sans comprendre la portée de ce geste, bien sûr, comme la plupart des prophètes authentiques. Et les disciples la tourmentent, parce qu’ils ne comprennent pas, eux non plus, la portée de ce geste. Si tu avais été parmi les disciples, tu tu serais indigné·e de la même manière.

Et on nous montre comment Judas – l’un des douze – propose aux grands-prêtres de livrer Jésus contre de l’argent.

La femme ignorée

11 versets, et plein de détails.

Mais il manque un détail de taille : je ne vois nulle part le nom de cette femme au parfum.

Marc ne dit pas qui elle est. Peut-être même qu’il l’ignore. C’est une femme qu’on ignore.

Je reprends le récit, pour que tu sentes la gêne que cette femme occasionne. Jésus est invité chez Simon. Il mange. Il y a ses disciples tout autour. Jésus, qui a été accueilli comme un roi – comme le messie, celui qui va délivrer le peuple de l’oppression romaine ; Jésus, dont on reconnaît une certaine autorité – même si certaines voix religieuses et politiques ont déjà commencé à remettre en question cette autorité ; le chef de bande Jésus mange avec ses sbires chez Simon, et cette femme entre avec un flacon d’albâtre, le brise, et déverse ce parfum très cher sur la tête de Jésus.

Une femme ne peut pas approcher le messie comme ça, sans y avoir été invitée, tu le sais. Il n’y a pas plus inconvenant, c’est même presque insultant ! Et là, devant le malaise de toute la tablée, la femme se retrouve seule, avec son parfum qu’elle étale sur la tête du maître.

Les disciples sont très mal à l’aise : comment l’autorité de Jésus ne sera-t-elle pas remise en question après ça ?

Le dénigrement

Mais les disciples connaissent leur maître, ils savent qu’il accueille les personnes que la société ne désire pas accueillir. Ils savent qu’il a une faiblesse pour les pauvres, les femmes et les enfants, les malades et les fous, les handicapés et les pécheurs. Ils sont indignés, mais ils ne peuvent pas le dire comme ça. Alors ils trouvent un prétexte.

Un prétexte plutôt bon, d’ailleurs : ils veulent le prendre par les sentiments, et ils lui disent que l’argent de ce parfum aurait pu servir pour les pauvres. On connaît cet argument, et il est juste : on dépense tellement d’argent dans des idioties, on pourrait utiliser cet argent plus intelligemment, notamment en pourvoyant aux besoins de ceux qui en manquent. Aimer l’autre, c’est l’aimer concrètement, en l’aidant à traverser la vie. L’argument est bon.

Mais Jésus le rejette.

Il leur répond : « Laissez-là tranquille ». Jésus ne s’adresse pas à la femme, mais il refuse qu’on vienne l’importuner.

Il poursuit en disant : « Ce qu’elle a accompli pour moi est vraiment beau ». Là, il la réhabilite dans son geste d’onction. Il voit là un acte qui est au-dessus de l’argent qu’on donne aux pauvres, c’est assez extraordinaire, quand on y pense. Jésus trouve que ce geste est vraiment beau, parce qu’il pense à sa mort, et il voit dans ce geste l’accomplissement du rituel d’embaumement qu’il n’aura pas.

Un parfum de mort

Oui, Jésus pense à sa mort.

Il y pense depuis un moment déjà.

Il évoque sa mort au chapitre 12, dans la parabole des vignerons ; au chapitre 13 il annonce la destruction du temple (mais un autre évangile nous dit qu’à ce moment-là, il parlait du temple de son corps, donc il parlait de sa mort) ; et il continue au chapitre 14, dans notre récit, en disant que cette femme fait son embaumement avant l’heure. Et il poursuit avec cette parole : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous, et toutes les fois que vous le voudrez, vous pourrez leur faire du bien ; mais moi, vous ne m’aurez pas toujours ».

Vous ne m’aurez pas toujours.

Parce que je vais mourir. Et que cette femme « a fait ce qu’elle a pu : elle a d’avance parfumé mon corps afin de le préparer pour le tombeau ».

Voilà. Jésus arrive à Jérusalem pour vivre sa dernière fête de la Pâque sur terre. Deux jours avant la fête, il reçoit cette onction funéraire. Et après, on mange la Pâque, on assiste au partage du pain et du vin, où Jésus invite ses disciples à prendre le pain, qui symbolise son corps, et à prendre le fruit de la vigne, qui symbolise son sang. Pour se souvenir de lui, de sa vie, de ses gestes, de ses paroles et de sa mort. Ensuite, tu le sais, il va être crucifié. Il va être enlevé à ses disciples. « Vous ne m’aurez pas toujours avec vous ».

Un parfum de vie

Depuis sa mort, les disciples de Jésus, disciples de tous les temps et de tous les âges, ne peuvent plus le toucher, ne peuvent plus l’entendre parler, ils ne peuvent plus manger avec lui, marcher sur ses chemins, se pencher sur son cœur… depuis sa mort, il est inaccessible à nos sens.

C’est bien vrai : « Vous ne m’aurez pas toujours avec vous ».

Mais si jusqu’ici j’ai mis l’accent sur la mort du messie, sa mort a été mise en échec. Il est vraiment mort, mais son histoire ne s’arrête pas là.

Nous traversons la mort du messie avec lui, nous sommes tristes de voir combien la perfidie des êtres humains peut mener à des actes d’une cruauté terrible – et Jésus n’est pas la seule victime de l’injustice. Nous sommes éberlués quand nous voyons de quel degré d’horreur nous sommes capables pour sauver les apparences du pouvoir. Pour paraître.

Mais Dieu déjoue nos plans et enlève nos masques.

Ce messie mort, ce messie dans la tombe, il le relève. Il le sort du tombeau. Personne ne retrouve son corps.

Dans l’évangile selon Marc, il y a Marie de Magdala (qu’en France on appelle Marie-Madeleine), il y a Marie la mère de Jacques, et il y a Salomé qui achètent de l’huile parfumée pour embaumer le corps de Jésus. Mais le dimanche matin, au lever du soleil, quand elles arrivent au tombeau, elles voient que la pierre est déjà roulée et que le corps de Jésus n’y est pas.

Elles ne peuvent pas verser de l’huile sur le corps de Jésus pour accomplir le rituel prévu.

La femme au parfum

La femme de notre récit, l’avait déjà fait, heureusement.

Et quel geste a-t-elle fait pour répandre son parfum sur Jésus ? Elle a brisé l’albâtre – elle a cassé la pierre qui enfermait le parfum précieux. Avec ce geste, elle suggère la pierre qui roule et qui évoque la résurrection. Dans un même acte prophétique, elle annonce sa mort et sa résurrection. Quel récit puissant !

Il y aurait bien des choses à dire encore au sujet de cette femme au parfum. Mais il faut faire des choix, et là je choisis de conclure.

De la mort à la vie

Pâques, c’est l’histoire de la mort et de la résurrection de Jésus le messie.

Mais cette bonne nouvelle du Dieu qui a vaincu la mort, du Dieu qui nous dit : oui, la mort est là, mais vous pouvez la traverser avec moi, car je ne permets pas à la mort d’avoir le dernier mot. Oui, vous pouvez vaincre les puissances de mort qui sont à l’œuvre dans cette existence, et vous pouvez choisir la vie dans chacune de vos actions. Eh bien cette bonne nouvelle, quand nous l’annonçons, quand nous en parlons, Jésus nous invite à nous souvenir d’elle, nous souvenir de cette femme sans nom, qui a versé son parfum sur la tête du messie.

Celle qui a osé franchir les interdits de son époque pour honorer celui qu’elle voyait comme un roi, celle qui a osé faire un geste d’embaumement avant l’heure, celle qui a osé être quelqu’un alors que tout le monde voulait qu’elle ne soit rien.

Et là, ensemble, nous comprenons que ce qui est bon pour Dieu ne correspond pas à nos valeurs (même si on leur colle une étiquette « chrétienne »).

Ce qui est bon pour Dieu, ce n’est pas facile à accepter, même si c’est très beau comme message.

Jésus a dit a ses disciples – et il nous redit aujourd’hui : « Ce qu’elle a accompli pour moi est vraiment beau. Je vous le déclare, c’est la vérité : partout où la bonne nouvelle sera annoncée, dans le monde entier, on racontera, en souvenir d’elle, ce que cette femme a fait ». Jésus la réhabilite aux yeux de tous ceux qui voudraient l’empêcher d’être. Jésus lui donne une place très importante, puisqu’il dit que le souvenir d’elle sera présent tant que nous porterons le témoignage de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

Comments (1)

  • Jean-Michel Ulmann

    11 avril 2023 at 09:22

    Bonjour Lionel et merci pour cette belle et forte prédication. La comparaison du vase brisé laissant le parfum se répandre avec le tombeau vide est lumineuse. J’aimerais l’associer au cantique « Comme un vase d’argile, comme un vase fragile… »
    Fraternellement
    jmu

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