Les gens qui dérangent
Vous êtes en train de faire quelque chose et débarque quelqu’un qui qui vous vous fait une demande qui n’a rien à voir avec ce que vous êtes en train de faire. Qui sont ces gens qui dérangent ?
Un repas de paroisse et quelqu’un vient demander si vous pouvez l’aider pour les papiers. Vous êtes en train de faire une permanence pour les papiers, et quelqu’un qui a besoin d’un logement. C’est l’heure de la permanence pour le logements et on vient nous demander s’il y a un cours de français. Qui sont ces gens qui dérangent ?
La paroisse ou la Fraternité de la Mission populaire est concentrée sur son nouveau projet de paroisse ou projet associatif, sur des importants travaux pour lequel il faut trouver des financements… et c’est la guerre en Ukraine, il y a des réfugiés qui arrivent dans votre ville ou votre quartier. Qui sont ces gens qui dérangent ?
Vous organisez un braderie, et un collectif de sans-papiers vient occuper votre fraternité – c’est arrivé au Foyer de Grenelle dans le 15e. Qui sont ces gens qui dérangent ?
Vous avez connu cette situation et nous la vivons aussi souvent à la Mission populaire.
Cet article est signé Stéphane Lavignotte, pasteur exerçant à la Maison Ouverte à Montreuil, et coordinateur à la Mission Populaire Évangélique de France,
Une femme qui dérange
Dans l’évangile selon Matthieu, on nous raconte l’histoire de cette femme qui vient importuner Jésus. Je vous laisse lire le texte ici : Matthieu chapitre 15, versets 21 à 28.
C’est bon ? Vous l’avez lu ? C’est important pour comprendre la suite.
Vous le voyez, Jésus et ses disciples n’ont pas plus de chance que nous. Ils se mettent à l’écart de la foule, des personnes à soigner, des polémiques avec les pharisiens… ils peuvent enfin souffler un peu. Et voilà qu’encore quelqu’un les ennuie. Un peu de tranquillité (enfin !) et quelqu’un se met à leur crier dessus.
C’est vrai c’est fatigant.
Mais alors pourquoi Jésus lui donne-t-il finalement raison en soignant sa fille. Est-ce pour s’en débarrasser plus rapidement ? Est-ce parce qu’elle est tellement insistante que c’est le seul moyen de la faire cesser de les embêter ?
Elle insiste, en effet. Des cris dit le texte. Elle « répond » à Jésus, comme on dit des enfants qui « répondent » à leur enseignant. Mais dans sa réponse, il y a de l’argumentation.
Examinons les arguments
A Jésus qui dit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de les jeter aux petits chiens », elle répond : « Oui, Seigneur, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».
Il y a bien des choses là-dedans.
D’abord, il y a la table bien rangée de nos activités, de notre organisation, de notre planning, de ce que nous avons prévu de faire. Et des perturbateurs viennent y semer le bazar. Le bazar vraiment ? Si on est honnête avec nous-mêmes, ils ne demandent que des miettes de ce bel ordonnancement de notre table. Ils ne veulent pas renverser la table, tout mettre par terre. Ils demandent un peu du temps que nous avions prévu pour ce que nous avions programmé. Un peu de notre attention détournée de ce qui occupe nos pensées. Leur donner un peu d’importance au milieu de tout ce qui nous semble important.
Des miettes de tout ça.
Alors on ne va pas se mentir. Quand on n’a déjà pas beaucoup de temps, d’argent, de charge mentale disponible, on peut trouver que ce « un peu » nous coûte beaucoup, que ces miettes grattent énormément. Et on réagit comme les disciples : « Pour une fois qu’on a réussi être entre nous, ne nous dérange pas ! ». On réagit comme Jésus : « Je ne suis venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël. Ce n’est pas le cœur de notre mission. Ce n’est pas prévu dans le projet de paroisse, le projet associatif de la Fraternité ! ».
Mais alors pourquoi Jésus finalement accepte de la soigner ?
Peut-être parce qu’il réalise que ce « un peu » qui lui est demandé par la femme peut lui apporter beaucoup.
Perdre son temps… pour quoi ?
C’est l’autre chose qu’il y a dans la réponse de la femme. Il n’est venu que pour les brebis perdus de la Maison d’Israël ? La femme lui fait réaliser que lui, fils de Dieu, s’enferme dans l’entre-soi d’une population restreinte. Dans l’entre-soi ethnique.
De la même manière, les disciples ont eux aussi réagit comme cela, parce qu’ils étaient perturbés dans l’entre-soi du groupe. Les disciples et Jésus, entre eux, enfin tranquilles.
Cette petite perturbation, ces miettes qui grattent, ce « un peu » d’attention, d’engagement de leur part, vers l’extérieur de leur groupe, de leur ethnie… voilà ce qui les sort de l’entre soi. L’entre-soi peut être étouffant, ou tout simplement nous priver de découvertes, de richesses, de la joie des surprises de l’imprévu.
La femme les sort de l’entre-soi pour un imprévu d’une richesse autrement plus bénéfique que les quelques miettes qu’elle a glané de la table.
Serions nous là si Jésus n’avait pas rencontré la femme cananéenne ? S’il était resté le messie venu uniquement pour les brebis perdues de la maison d’Israël ? Il serait resté un rabbin exceptionnel mais uniquement dans le judaïsme. Les disciples et leurs descendants ne seraient pas venus jusqu’en Gaule et seraient dans le judaïsme à faire des polémiques avec les pharisiens.
Et nous n’aurions jamais eu sa bonne nouvelle. Il ne serait pas devenu le fils de Dieu pour toute l’humanité, annonçant la vie plus forte que la mort, le Royaume au milieu de nous.
Alors, laissons perturber nos tables, nos vies, « un peu »… ces miettes de perturbations qui nous dérangent mais ouvrent nos vies et nos communautés, qui nous déplacent de nos évidences, de nos projets. Et qui peuvent donner bien des surprises et des richesses auxquelles nous ne nous attendons pas.
Ces choses que le Seigneur nous prépare et nous offre.
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