La théologie, c’est notre affaire !

5 mars 2023Lionel Thébaud

Raphaël Picon était pasteur de notre Église, professeur de théologie pratique à l’Institut protestant de théologie de Paris, dont il a été le doyen. Il est mort en 2016 des suites d’une maladie. Si je vous parle de lui ce matin, c’est parce qu’il a écrit un tout petit livre qui s’intitule « tous théologiens », et qui fait un point précieux sur ce que c’est, la théologie. Il affirme que la théologie c’est notre affaire.

La théologie, c’est pour les experts

La théologie apparaît pour la plupart des gens comme une discipline complexe, savante et réservée à des spécialistes. Faire de la théologie semble imposer des éléments que tout le monde ne peut pas acquérir : il faudrait une culture importante, être à l’aise dans l’art de manier les concepts, il faudrait une méthode de travail rigoureuse… bref, la théologie serait un truc d’intellos, quoi, des « experts de Dieu ».

Cette conception de la théologie est juste.

En tout cas, si on regarde la théologie académique.

Si vous achetez un commentaire biblique dans la collection d’exégèse des éditions Labor et Fides, vous allez avoir un livre qui va détailler, verset par verset et presque mot par mot, toutes les difficultés et tous les sens que peut avoir le texte, en utilisant des mots en grec ou en hébreu ou dans d’autres langues, que vous ne pourrez pas lire si vous n’avez pas étudié ces langues, et dont l’argumentation pour trouver le sens du passage vous paraîtra obscure, parce que les concepts utilisés par l’auteur vous échapperont.

Ça, c’est des bouquins qui sont a priori écrits pour des théologiens académiques.

Et quand j’entends parler mes collègues pasteurs, beaucoup d’entre eux n’achètent pas (ou plus) ces commentaires, simplement parce que eux non plus, bien qu’ils soient détenteurs d’un master en théologie, ne voient pas leur utilité. Étonnant, non ?

Mais cette théologie académique est importante pour la foi chrétienne car elle permet d’ouvrir la réflexion, et c’est pour cette raison que je passe un peu de temps, pour beaucoup de mes prédications, dans ces commentaires, même si je n’en comprends pas grand-chose.

Cependant nous avons tort de cantonner la théologie à ce qui est académique.

Qu’est-ce que c’est, la théologie ?

Puisque je suis théologien, je vais faire un peu de grec !

Theos = Dieu / Logos = discours.

Est théologique tout ce qui propose une parole concernant Dieu.

Est-ce qu’il vous arrive de penser à qui est Dieu ? Vous arrive-t-il parfois de parler à d’autres de ce que Dieu a fait, ou fait encore ? Est-ce que vous vous imaginez Dieu ? Vous vous demandez comment la Bible peut donner du sens à votre vie ? Si vous avez répondu OUI à au moins une de ces questions, alors vous faites de la théologie.

Et ne croyez pas que votre théologie, ce n’est pas sérieux : c’est très sérieux, et ça a autant de valeur que la théologie académique. Si vous ne faites pas ce travail-là vous-même, toute la théologie académique ne sert absolument à rien. Parce que même si elle n’a pas tout à fait la même valeur que la recherche scientifique, la recherche théologique a pour but de vous donner des outils qui vous permettent de penser votre foi.

L’usage croissant d’engrais dans l’agriculture vient altérer les aliments. Quand la recherche scientifique dit que notre alimentation ne couvre pas nos besoins en magnésium, nous réalisons que pour aller mieux (avoir moins de douleurs, être moins fatigué, etc.) nous devons adapter notre alimentation pour qu’elle réponde mieux à nos besoins. La connaissance a des répercutions pratiques dans votre vie.

C’est pareil pour la recherche théologique : elle nous aide à interpréter Dieu, à mieux comprendre qui il est, et ce qu’il attend de nous. Et en vertu du sacerdoce universel, la bible et son interprétation n’est pas le domaine réservé de quelques uns, mais c’est l’affaire de tous et de toutes.

La réflexion théologique est ouverte à la participation de chacun et chacune d’entre vous. Car c’est vos réflexions et vos expériences spirituelles qui viennent enrichir la théologie académique.

La théologie « invisible »

En vérité, la plupart du temps vous faites de la théologie sans même le savoir. Et ça veut dire que la théologie est présente dans beaucoup d’œuvres culturelles : les romans, les films, la musique, la peinture, etc.

Vous me direz : « oui, on sait, on a déjà vu des tableaux qui représentaient des passages de la Bible, ou nous adorons la musique sacrée ». Là encore, vous ne m’avez pas compris.

Prenez un film très connu, comme… tiens, le Roi Lion, par exemple. Vous vous dites : « un dessin animé, c’est pas sérieux, il va pas nous dire que le Roi Lion c’est théologique ». Ben si.

Je pense notamment à une scène, souvenez-vous :

Simba a une vision, il voit son père (qui est mort, je le rappelle), qui lui dit : « Tu m’as oublié. Tu m’as oublié en oubliant qui tu étais. Regarde en toi Simba. Tu vaux mieux que ce que tu es devenu. Il te faut reprendre ta place dans le cycle de la vie… N’oublie pas qui tu es. Tu es mon fils et c’est toi le roi. N’oublie pas qui tu es. »

Simba ne reçoit aucun reproche de la part de son père, qui n’évoque pas le passé. Son père lui dit d’être courageux et de prendre les responsabilités qui sont liées à son identité : Simba est roi, fils de roi, et il doit se comporter comme un roi, pas comme un sujet soumis aux injonctions de ceux qui veulent l’utiliser pour combler leurs désirs. (Je veux rendre à Césarine ce qui appartient à Césarine, aussi je vous renvoie à ce blog, qui m’a inspiré pour cet exemple.)

Ce moment – mais il y en a d’autres dans le film – me parle de la manière dont un chrétien est appelé à vivre. Nous sommes des fils et des filles de Dieu. Dieu vit en nous, et il nous rappelle qui nous sommes, il nous rappelle que c’est lui qui met dans nos cœurs ce que nous avons à faire, ce n’est pas la pression sociale ou la tradition qui doit nous dicter comment nous comporter. Et si nous relisons la vie de Jésus, nous comprenons que ce message est conforme à l’exemple que nous a laissé notre rabbi préféré. Le père de Simba lui dit : « Il te faut reprendre ta place dans le cycle de la vie… » et notre Père nous dit : « Choisis la vie ». C’est le même message. Le Roi Lion, c’est une œuvre théologique.

Faire de la théologie notre affaire

Faire de la théologie, c’est bien sûr faire du biblique, mais c’est aussi regarder et approfondir ce qui, dans notre culture, nous parle de la foi et fait écho à la foi chrétienne. Et à ce titre, vous l’aurez compris, en raison du sacerdoce universel, toi et lui et elle et nous – individuellement et collectivement – nous sommes appelés à faire de la théologie.

Nous faisons de la théologie quand nous venons écouter une prédication le dimanche matin. Quand nous chantons des cantiques et quand nous prions. Nous faisons de la théologie quand nous participons à des groupes d’étude biblique – même quand il n’y a pas de théologien académique. Nous faisons de la théologie quand nous réfléchissons au sens du monde, à ce que ça implique d’être chrétien dans ce monde, quand nous prenons soin les uns les autres à cause de Dieu, quand nous lisons des livres – lisez des livres de théologie ! Pas forcément des commentaires, hein, il y a des livres profonds et accessibles. Ça fait partie de votre formation chrétienne !, etc.

Un chrétien, une chrétienne ne peut pas ne pas faire de la théologie.

Un chrétien, une chrétienne est obligé de penser sa foi. De dire « je suis d’accord » ou « je ne suis pas d’accord » avec ce que dit la prédication.

L’élitisme et l’appropriation théologique

Avant Luther, dans le monde chrétien, c’est le clergé qui était le seul à avoir l’autorité pour enseigner à tous les autres ce qu’ils devaient croire ou penser. Mais Luther nous a rappelé que « nous sommes absolument tous consacrés prêtres par le baptême ».

Nous avons tous et toutes reçu cette autorité pour enseigner. Ensemble. Parce que c’est à chacun de se déterminer dans sa foi et dans ses pratiques religieuses. Et parce que c’est ensemble que nous faisons de la théologie.

Alors oui, il y a des personnes qui sont formées de manière académique, et c’est important. Ces personnes – et ce ne sont pas seulement les pasteurs – apportent un regard et une ouverture sur les textes qu’on ne peut pas appréhender si l’on n’a pas fait de théologie académique. Mais à l’inverse, toi tu peux apporter une ouverture à l’exégète, en lui parlant de la manière dont tu vis ta foi et dont tu vis le texte.

Je pousserai le bouchon jusqu’à dire que tu n’as pas besoin du théologien pour faire de la théologie. Tu en as besoin pour que, de temps en temps, le théologien vienne déstabiliser tes certitudes. Mais tu n’as pas besoin du théologien pour étudier : ta pensée a de la valeur.

D’ailleurs, si tu étudies au sein d’un groupe, il n’y a pas de raison que tu aies peur d’être à côté de la plaque : en Église, nous avons des libéraux, des évangéliques, des catholiques (et oui), bref nous avons une telle variété d’options théologiques que vos discussions équilibrent les lectures que vous pouvez faire de la Bible.

Il ne faut pas que vous cherchiez un théologien qui vous dise ce que vous devez penser ou croire. Vous n’avez pas besoin d’un guide spirituel. Ou d’un directeur de conscience. Ou d’un professeur. Vous n’avez même pas besoin d’être rassurés sur l’interprétation que vous faites d’un texte. L’envie, peut-être, mais vous n’en avez pas besoin.

Vous avez besoin d’une relation vivante avec le Dieu vivant.

Le bien manger

J’ai l’impression que l’enseignement théologique, c’est comme un plat bien consistant. Bien nourrissant.

Je ne sais pas moi, un cassoulet par exemple.

C’est d’ailleurs un très bon exemple. Le cassoulet, c’est bon. Ça colle au ventre, ça fait du bien. Mais ce n’est pas un repas très équilibré.

Si on en mange un tout petit peu trop, on a mal au bide. C’est écœurant. Et on en mange pendant 12 heures au moins. Et si on mange du cassoulet régulièrement, on va stocker des graisses en quantité. On va grossir, et on va devenir obèse.

Heureusement, la théologie académique c’est une discipline variée. Donc une fois ce sera un cassoulet, une autre fois ce sera de la choucroute, du bœuf bourguignon, mais enfin, à chaque fois c’est quand-même un plat très gras et pas très équilibré. Il faut faire attention à ne pas prendre 100 kilos d’un coup.

Il faut vous poser la question : à quoi ça sert de manger ?

Bien sûr, on se fait du bien quand on mange, mais est-ce que ce plaisir est le but de la nourriture ? Non. Nous mangeons parce que nous avons besoin d’énergie pour agir. Si je ne mange pas – et si je ne mange pas équilibré – je n’ai pas l’énergie nécessaire pour me déplacer, me promener, faire la vaisselle, jouer avec mon chien, éduquer mes enfants, lire, etc.

L’enseignement, je trouve ça très important, évidemment. Mais la question que je vous pose c’est : l’enseignement, ça sert à quoi ?

On se contente souvent d’écouter des enseignements, et on rentre chez soi, on se dit « ah c’était bien, j’ai appris plein de choses », mais on ne met rien en pratique.

On entend : « Dieu t’a pardonné » mais à la maison on continue de se culpabiliser et de culpabiliser les autres.

Ou : «Dieu est généreux » et à la maison, on compte son argent pour épargner encore plus.

On entend : « aime ton prochain comme toi-même » mais on n’appelle pas le paroissien ou la paroissienne qu’on n’a pas vu depuis longtemps parce que… parce qu’on a de bonnes excuses.

Dieu nous appelle à lui faire confiance, mais on continue d’avoir peur de manquer.

Ce qu’on entend, on ne le met pas en pratique, mais on veut encore plus d’enseignements. On veut de la graisse spirituelle. On devient des obèses, parce que c’est comme une drogue. Parce qu’on veut de la connaissance pour briller devant les hommes.

Et Raphaël Picon, ce théologien dont je vous ai parlé au début de cet article, nous livre une pensée claire et limpide, facile à lire et à comprendre, sur ce qu’est vraiment la théologie. Mais peut-être que ce qu’il dit est difficile à accepter pour nous, qui restons dans une attitude de consommateurs, parce que nous sommes des drogués de l’enseignement, qui refusent de mettre en pratique ce qu’ils ont entendu.

Pour finir, je vous invite à faire l’exercice suivant : lisez 2 Pierre 1.3 à 15 et réfléchissez aux liens qui existent entre mon message et le texte biblique. Notez vos idées et votre compréhension du texte dans un carnet, et trouvez quelqu’un avec qui vous pourrez en discuter. Bonne réflexion !


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Comments (2)

  • Bienheureuse Vulnérabilité

    20 mars 2023 at 20:17

    Je découvre votre blog grâce à l’email reçu pour me prévenir du lien qui a été fait sur mon blog, et quelle bonne découverte ! Outre le fait que je suis honorée qu’un de mes écrits ai pu inspirer quelqu’un et reconnaissante pour la source qui a été précisée (au vu de tous les plagiats que l’on connait, c’est chose rare !), je suis très touchée par votre article qui me rejoint beaucoup. Cheminer avec vous quelques minutes aujourd’hui a été une joie dans ma journée. Alors MERCI !

    Signé : Césarine

    1. Lionel Thébaud

      21 mars 2023 at 09:03

      Merci beaucoup pour votre commentaire qui m’a touché ! C’est toujours un plaisir de « relationner » avec des mots qui font sens. Et encore plus avec les personnes qui portent ces mots. Au plaisir 🙂

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