L’Écriture seule… pourquoi ?

6 novembre 2022Lionel Thébaud

Le 31 octobre 2022, c’était le 505è anniversaire de la Réformation. L’Écriture seule est l’un des slogans de la Réforme.

Le 31 octobre 1517, donc, Martin Luther adresse une liste de 95 thèses à l’archevêque de Mayence, en Allemagne. Puis il colle ces 95 thèses sur les portes de la chapelle du château de Wittenberg.

On ne saura jamais si cet affichage a réellement eu lieu, mais peu importe : le symbole est fort, et cet acte marquer la naissance de ce qu’on a fini par appeler le protestantisme.

Les thèses de Luther, c’est un écrit qui remet en question bien des dogmes qui étaient véhiculés à l’époque par l’Église catholique romaine, comme les Indulgences, par exemple, ou encore le clergé avec cette place si étrange réservée aux prêtres. Il s’attaque aussi à l’idée du purgatoire, il critique la manière donc l’Église manipule les gens pour obtenir de l’argent, il réaffirme le pardon complet des personnes qui font preuve de repentance…

Les thèses de Luther ébranlent la religion de l’époque, et un mouvement religieux et politique se forme. C’est la Réforme protestante, ce qu’on appelle aussi la Réformation.

Luther a un problème avec la Bible

Trois énormes problèmes, même.

D’abord, la Bible est lue en latin. Donc toutes les personnes qui ne parlent pas le latin ne comprennent rien à la lecture qui est faite de la Bible. Les compatriotes de Luther parlent allemand, ce n’est pas très pratique quand on va à l’église.

Ensuite, l’Église catholique de l’époque interdit (je cite) « aux laïcs d’avoir les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, à l’exception d’un psautier, et des portions de Psaumes contenues dans un bréviaire ». Lire la Bible dans ces conditions est un peu difficile.

Enfin, l’Église catholique est la seule autorisée à interpréter les Écritures, et elle les interprète selon une méthode inaccessible aux personnes qui ne sont pas engagées dans les ordres. Voilà le problème qu’à Luther avec la Bible : son accès à tout un chacun est très difficile.

Bon, après tout, qu’importe ? A quoi bon lire un livre qu’on nous empêche de lire ? Après tout, un livre ne change pas la vie : ce n’est qu’un livre. Et la Bible est un livre tellement vieux qu’on peut se demander qu’elle peut être sa pertinence aujourd’hui. A ce propos, lire l’article que j’ai consacré à cette question.

L’Écriture et le pouvoir

Mais dans une société où le christianisme joue un rôle si important, avoir accès aux textes c’est avoir le pouvoir. Ne pas avoir accès aux textes, c’est subir le pouvoir. Et justement, le pouvoir du clergé sur les fidèles est énorme.

Alors Martin Luther, qui est moine augustinien, propose une traduction allemande de la Bible, pour redonner le pouvoir au peuple allemand. Sa traduction, il la réalise non pas à partir du latin – comme ça a pu se faire avant lui – mais à partir de l’hébreu et du grec.

Révolution !

Bon, cette traduction (et quelques autres actions de rébellion à l’encontre du pouvoir institué) va mettre sa vie en danger, mais ce n’est pas notre sujet.

Et Luther ne fait pas que donner une traduction de la Bible, il nourrit sa traduction de notes et d’introductions pour expliquer le texte. Cette bible est publiée intégralement en 1534. Et comme vous le savez, à l’époque, ça a fait un carton : de son vivant, Luther a publié 17 éditions successives de la Bible, réimprimées 419 fois.

Une Écriture à interpréter

Luther va aussi simplifier l’interprétation de la Bible.

Pour lui, toute la Bible mène droit au Christ, voilà la clef de l’interprétation de la Bible selon Luther.

Avec cette clef de lecture, c’est-à-dire en cherchant le Christ dans le texte, chaque lecteur, chaque lectrice peut retrouver le sens des Écritures : un sens qui est toujours à contre-courant puisqu’il met en lumière le scandale, la folie de la croix.

La folie d’un homme qui réussit sa mission en mourant. La folie d’un dieu qui refuse de manifester sa puissance en laissant son plan échouer. La folie d’un retournement de situation qui fait que c’est en échouant, que l’amour de Dieu triomphe.

Scandale et folie.

Contre-courant.

Bonne nouvelle qui fait mal et est difficile à accepter, mais qui reste une bonne nouvelle, au final.

L’interprétation biblique devient donc, avec Luther, le dégagement d’un sens qui ME parle. Un sens qui vient perturber tout ce qui, en moi, refuse d’obéir à Dieu.

La bonne nouvelle, comme on l’appelle, fait mal, puisqu’elle dénonce l’idolâtrie, l’orgueil, l’autojustification et l’égoïsme…

Mais pour interpréter l’Ecriture…

Pour Luther, il faut quand-même un certain nombre de connaissances pour pouvoir interpréter la Bible : tout le monde peut le faire, à condition d’être formé pour ça. Et il s’agit d’une formation scientifique.

Comme les sciences évoluent avec le temps, il est naturel que la formation qui était nécessaire au temps de Luther ne soit pas la même qu’aujourd’hui. Cette formation ne fait pas appel à des secrets ou à des mystères, mais elle s’appuie sur des argumentations que tout le monde peut comprendre et juger.

Celui ou celle qui interprète ne confisque pas le savoir, mais le partage, et permet aux autres de réfléchir, de choisir et de prendre position en connaissance de cause.

La personne qui prêche ne dit pas ce qu’il faut croire, mais elle donne les outils qui vous permettent de comprendre ce que vous croyez, et pourquoi vous croyez ce que vous croyez.

Elle vous permet aussi, si elle vous convainc, de changer de croyances.

L’Écriture et la Parole de Dieu

Enfin, pour Luther, la Bible n’est pas la Parole de Dieu. Pas telle quelle en tout cas.

Elle ne devient Parole de Dieu que par l’action du Saint-Esprit dans le cœur et dans l’intelligence de la personne qui lit les Écritures.

André Gounelle donne l’image de deux pôles : un pôle externe (ce que disent les Écritures) et un pôle interne (la foi née de la présence et de l’action de l’Esprit). « Dieu s’adresse à nous et nous atteint de deux manières différentes, mais conjointes et interdépendantes. La rencontre de ces deux pôles fait qu’il y a vraiment parole de Dieu ».

Sans l’action du Saint-Esprit, la Bible ne changerait rien à ma vie. Elle serait un livre comme un autre, parce que son message ne me semblerait pas directement adressé. Il ne concernerait pas mon existence.

C’est l’Esprit de Dieu qui nous touche et qui nous convertit, c’est lui qui nous donne le désir de mettre notre vie en conformité avec le message que l’on entend dans nos cœurs quand nous lisons la Bible.

Et c’est pour ça que nous prions, avant de lire la Bible, pendant le culte : nous demandons à Dieu son Esprit, afin qu’il nous permette d’entendre sa Parole dans les Écritures.

Transition

Voilà l’une des révolutions de Martin Luther, sur laquelle je voulais mettre l’accent pour cet anniversaire de la Réformation. Mais ce n’est pas fini.

Se souvenir de nos racines protestantes c’est important, mais si on en restait là, ce ne serait qu’une logique identitaire. Un truc malsain, où nous nous considérerions comme les meilleurs contre les autres. Ce n’est pas très intéressant, et en plus c’est une dynamique maléfique.

Il nous faut donc voir où nous en sommes aujourd’hui, par rapport aux communautés qui nous entourent.

Se référer à l’Écriture

Les catholiques et les orthodoxes se réfèrent eux aussi à la Bible, et ce depuis toujours. Contrairement à ce qui se dit dans notre imaginaire protestant.

Pour les dogmes c’est la bible qui sert de référence à nos cousins. Nous avons « simplement » une grosse différence dans notre manière d’interpréter la Bible.

Pour des catholiques, la Bible sert à fonder les autorités ecclésiastiques, les dogmes et les pratiques religieuses.

En protestantisme, la Bible permet de contester les autorités ecclésiastiques, les doctrines et les rites établis. Parce que la Parole de Dieu nous interpelle et nous bouscule : elle ne nous permet pas de nous reposer sur nos lauriers et de nous conforter dans nos croyances. La Parole pour nous est exigeante, elle veut notre conversion, jour après jour.

Ce sont vraiment deux visions du monde.

Cependant, on trouve beaucoup de catholiques qui lisent la Bible avec l’intention protestante, et beaucoup de protestants qui lisent la Bible avec l’intention catholique. Ce sont des choses à questionner, évidemment.

Le rapport à l’Écriture a changé

Il faut noter tout de même que l’Église catholique a connu un renouveau biblique extraordinaire et que beaucoup de biblistes et exégètes de haut niveau, hommes et femmes, sont aujourd’hui catholiques.

C’est là que des personnes ont travaillé à traduire la Bible de manière œcuménique – c’est la TOB (traduction œcuménique de la Bible), qui fait partie des meilleures traductions qui existent. Bien entendu les orthodoxes et autres branches chrétiennes participent à la traduction de la TOB et vivent un rapport particulier aux Écritures.

Pendant des siècles, les protestants ont développé une culture biblique très forte. Nous avons la réputation d’être des « champions de la Bible », justement parce que nous sommes marqués par cette appropriation des textes. On voit les protestants comme lisant la bible chaque jour, souvent en famille, transmettant ce goût de la lecture de la bible à leurs enfants. Mais ça, c’était avant !

Aujourd’hui, nous ne sommes plus très familiers avec la Bible.

Peut-être que nous pourrions remettre la Bible dans notre quotidien. Peut-être que nous pourrions la présenter aussi dans le quotidien de nos enfants : non pas en les inscrivant au caté, mais en nous impliquant personnellement dans la transmission de nos textes auprès de nos enfants ou de nos petits-enfants.

Tout comme l’école ne fait pas l’essentiel de l’éducation de vos enfants, le caté ne fait pas l’essentiel de la spiritualité de vos enfants. La maison n’est pas le seul lieu, loin s’en faut, mais elle est un lieu très important de transmission.

Mais pourquoi l’Écriture seule ?

Les Saintes Écritures, ce sont des écrits qui portent une vérité qui nous fait grandir. En elles, il y a une force créatrice de vie intérieure, nous dit François Vouga, et du coup, ces écrits ont pris pour nous une valeur d’autorité.

Ces écritures construisent notre confiance et notre espérance. C’est pour ça que nous leur reconnaissons le pouvoir de donner la sagesse, le bonheur et la joie de la folie de l’amour de Dieu, telle qu’elle nous a été révélée par Jésus Christ.

Nous lui reconnaissons le pouvoir de nous ajuster, c’est-à-dire de nous former à une manière de vivre conforme à ce que Dieu demande. Pour que nous soyons préparés et équipés pour bien agir à tous égards.

Ici, il est intéressant de lire la 2ème lettre de Paul à Timothée, au chapitre 3, les versets 15 à 17. Et si donc vous avez lu tout ce que j’ai écrit ci-dessus – je sais que ça fait beaucoup ! – vous comprendrez que la Bible est très importante pour nous, protestants.

Conséquences pratiques

Elle nous permet d’enseigner la vérité, de réfuter l’erreur, de corriger les fautes et de former au service pour Dieu. Elle nous aide à vivre la vie que Dieu veut que nous menions.

Aussi, nous sommes attachés aux enseignements de la Bible, ce livre vieux d’au moins 2000 ans, parce qu’il détient les clés d’une sagesse qui vient confronter toutes les idées politiques, religieuses et idéologiques de tous les siècles.

Parce que ce livre vient systématiquement nous déloger de nos fausses sécurités pour nous encourager à nous rapprocher encore de Dieu.

Il vient débusquer toutes nos idoles – et Dieu sait que nous en avons – pour que notre attention soit portée sur notre prochain bien plus que sur nos principes.

L’Écriture seule, parce qu’en la lisant, nous vibrons à son message lorsque nous le recevons par l’Esprit.

Cette Bible, quand nous la lisons, agit comme une force révolutionnaire en nous, car elle nous détourne de nous-même pour essayer de mettre en œuvre, comme nous pouvons, le Royaume de Dieu sur terre : le Royaume, c’est l’amour, la paix et la joie, par le Saint-Esprit.

Et s’il existe beaucoup de livres que nous apprécions, il n’en est aucun qui nous bouleverse comme la Bible le fait.

Alors : OUI ! L’Écriture seule !


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