Regarder Marie autrement
L’approche de Noël, pour les communautés protestantes, c’est souvent l’occasion de parler de Marie. Nous sommes parfois embêté·e·s d’en parler : nous ne voulons pas froisser nos ami·e·s catholiques, mais en même temps, nous sommes protestant·e·s et nous avons un rapport autre à Marie. Nous sommes réputé·e·s pour regarder Marie autrement. J’ai d’ailleurs écrit cet article pour expliquer le rapport que les protestants entretiennent avec les saints.
Noël approche, en effet. Halloween n’était pas passé que les décorations de Noël envahissaient déjà les magasins. Des fois je me dis que le commerce abuse et surabuse (si, si, surabuse) et bien que nous soyons de plus en plus nombreux à dénoncer la surenchère commerciale de cette belle fête de Noël, le commerce, lui, s’en fout de ce que nous pensons.
Des textes à interpréter
Avant de commencer notre petit voyage dans le texte, je veux te dire ceci : la Bible ne donne pas un accès direct au personnage historique de Marie. D’aucun personnage, d’ailleurs.
Je veux dire par là que ce texte extraordinaire est fait de récits, qui ont été écrits longtemps après les événements, et qui ont été écrits dans un but théologique. Ils n’ont pas été écrits pour nous dire ce qui s’est réellement passé dans l’histoire de l’humanité, mais pour nous dire quelle est la volonté de Dieu pour les êtres humains.
Pour le dire autrement, il y a des récits, quand tu les lis, tu te dis « hey mais c’est pas possible, ces choses ne peuvent pas arriver dans la vraie vie ». En fait, il faut faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui est réel.
Regarder le réel, entendre le vrai
C’est pas toujours facile parce qu’on confond souvent les deux, mais écoute cette phrase : « Quand j’ai compris la différence entre le vrai et le réel, la lumière s’est faite en moi ». Quand tu prononces cette phrase, essaye de distinguer le vrai du réel.
Si on cherche le réel, est-ce que ça veut dire que quelqu’un a appuyé sur un interrupteur et qu’une ampoule s’est allumée en toi ? Je ne sais pas comment ça se passe en toi, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas d’ampoule à allumer pour donner de la lumière, tu vois ce que je veux dire ? En revanche, ce qui est vrai, c’est que tu as mieux compris.
Cette phrase est vraie, mais elle n’exprime pas la réalité.
Il s’est passé quelque chose : tu as compris, mais en réalité la lumière ne s’est pas allumée. Dans le réel il ne s’est peut-être d’ailleurs pas passé grand-chose. Ah si, le pasteur a dit un truc. Ça c’est réel. Mais c’est tout.
Tu comprends la différence entre le vrai et le réel ? Tu y vois plus clair ? Le vrai dit une vérité, le réel dit les faits, ce qui s’est passé.
Regarder Marie dans les Écritures
Alors comment savoir qui était vraiment Marie, si toutes ces histoires ne sont pas réelles ?
D’abord, il est faux de dire que ces histoires ne sont pas réelles : ce n’est pas ce que j’ai dit. Il y a, dans ces histoires, des éléments qui n’appartiennent pas au réel. Et donc il y a des éléments qui appartiennent au réel.
Il y a des gens dont le métier c’est de chercher dans la Bible ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, au regard des avancées scientifiques. Et on trouve des choses. Mais pour trouver ces choses, il faut faire les études qui vont avec.
Alors toi, tu n’as pas d’autre choix de croire ce que je dis à ce sujet – ou de faire comme la plupart des gens : de douter. Et ce n’est pas très grave. Pourquoi ce n’est pas grave ? Parce que ce qui compte vraiment, c’est la vérité que nous transmet un texte. Si cette vérité te touche, alors elle change ta vie, et ta vision du monde est transformée.
Revenons à nos moutons. Marie, donc.
Marie autrement avec Paul
L’apôtre Paul ne parle pas de Marie dans ses lettres.
Je rappelle que Paul a écrit ces lettres avant que le premier évangile ait été écrit (le premier évangile, c’est Marc, ensuite Matthieu, Luc et Jean – ce n’est pas le même ordre que dans nos bibles). Si Paul ne parle pas de Marie, ça veut sans doute dire que le personnage de Marie n’était pas super important dans les communautés chrétiennes dans lesquelles Paul exerçait le ministère.
Rien ne dit d’ailleurs que Paul connaissait l’histoire de Marie.
Tout ce que Paul dit tient en trois mots : en parlant de Jésus venu pour nous montrer à quel point Dieu nous aimait, il dit qu’il est « né d’une femme ». Tout simplement.
Voilà ce que Paul a à dire de Marie : elle est une femme et elle a enfanté.
Marie autrement dans les évangiles
Pour les évangiles, voici quelques statistiques concernant Marie, la mère de Jésus :
Par exemple, on voit que le 1er évangile à avoir été écrit parle deux fois de Marie. C’est quand les gens s’étonnent, en disant « Jésus n’est-il pas le fils de Marie ? » Et à un autre endroit, Marc raconte que la mère et les frères de Jésus trouvaient que Jésus était devenu fou. Ce à quoi Jésus répond que sa mère, et ses frères, et ses sœurs, ce sont plutôt les personnes qui font la volonté de Dieu.
C’est tout. Marc ne dit rien de plus concernant Marie.
Ah, et peut-être Marc évoque-t-il aussi la mère de Jésus à la croix, au chapitre 15, quand il écrit « Marie la mère de Jacques le Petit », parce qu’on suppose que Jacques était le frère de Jésus – c’est une hypothèse très probable, mais on n’est pas très sûr quand-même.
Donc l’évangile selon Marc parlerait maximum 3 fois de Marie, la mère de Jésus.
Il faut attendre les années 80 pour lire dans Matthieu une autre histoire de Marie.
Dans Matthieu, on a le premier récit de la naissance de Jésus (et on y parle plus de Joseph que de Marie) et il y a l’épisode dans lequel Jésus dit que sa vraie famille, c’est ceux qui font la volonté de Dieu.
C’est Luc qui développe le plus le récit de Marie, dans ses deux premiers chapitres, et il semble inclure sa famille dans le cercle de ceux qui font la volonté de Dieu. Luc est vraiment celui qui raconte Marie sous un angle très favorable, c’est-à-dire en donnant une importance particulière à ce personnage.
L’évangile selon Jean aborde le sujet bien différemment, d’ailleurs il ne dit jamais comment s’appelle la mère de Jésus (il ne lui donne pas le nom de Marie).
Regarder ce que disent ces statistiques
Bref, tout ça pour dire qu’avant la rédaction de Matthieu, Marie est décrite exactement comme Paul la décrit : Marie a mis au monde un enfant, comme n’importe quelle femme qui a donné naissance. Et Paul indique ainsi que Jésus est né comme n’importe quel autre enfant.
Pour nous, cela signifie que Marie est une femme semblable à nous. Et qu’elle n’a rien d’extraordinaire – sauf à considérer que nous sommes tous et toutes extraordinaires. Ce qui est vrai, d’ailleurs.
Alors, comment Marie est-elle présentée dans le 1er chapitre de l’évangile selon Luc ?
Marie dans le premier chapitre de Luc
D’abord, elle est montrée comme une jeune fille qui a la chance de se retrouver enceinte. Une jeune fille, dans l’antiquité, c’est ce qu’on appellerait aujourd’hui une jeune ado, c’est-à-dire une fille qui aurait entre 12 et 16 ans. Quelle chance de tomber enceinte à cet âge-là ! Je suis sûr que tout le monde en rêve.
Bref.
Luc nous présente Marie comme quelqu’un qui se questionne, mais qui accepte son destin.
Plus tard, bien plus tard, on va développer toute une morale de l’humilité à partir de son acceptation servile : on va finir par faire croire qu’une vraie chrétienne, c’est celle qui accepte ce qui lui arrive sans se plaindre, même quand ce qui lui arrive c’est la pire des atrocités. Marie deviendra une figure de la personne qui ne souffre pas de vivre le malheur.
Tu remarqueras que le texte ne dit pas ça, c’est ce que les Églises ont fait dire au texte, et c’est très différent.
Marie dans le Magnificat
Mais il y a un 2ème texte qui est important dans ce 1er chapitre, et c’est le poème qu’on appelle le « Magnificat » : c’est dans l’évangile selon Luc, chapitre 1, versets 46 à 55.
Marie est présentée différemment dans ce texte, et je le trouve très intéressant. Cette prière de Marie est un discours révolutionnaire. On est très loin de la soumission que nous avons observée tout à l’heure.
Voilà une prière très forte, pour quelqu’un qui rêve de voir le royaume de Dieu ! Voilà une belle prière pour quiconque rêve de voir l’égalité entre les êtres humains, pour celles et ceux qui ne veulent plus d’injustices.
Il y a un grand écart entre la jeune fille humble et effacée de tout à l’heure et cette prophétesse qui annonce le renversement de l’ordre du monde, avec ses hiérarchies et ses oppressions sociales.
Cette prière rappelle que Marie est « servante du Seigneur », mais servir Dieu ici n’est plus accepter un destin peu enviable, servir Dieu consiste à annoncer la justice et le renversement des pouvoirs. Dieu renverse la pyramide !
Ces deux visages de Marie sont difficilement conciliables, et tu devras choisir entre Marie la docile et Marie la rebelle.
Marie n’est pas un modèle
Attention toutefois à ne pas faire trop facilement de Marie un modèle.
Elle peut être un exemple pour nous aider dans notre foi, quand nous traversons des périodes un peu particulières, mais elle ne doit pas être un modèle.
Le modèle nous enferme en disant : tu ne dois pas être qui tu es, tu dois être l’autre, tu dois être comme ton modèle. Et si tu es une femme, voilà comment tu dois être.
D’abord il faut que tu sois mère, sinon tu ne seras pas femme (ce qui n’est pas vivable pour toutes les femmes qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas enfanter), et puis il faut que tu sois docile et soumise.
Je sais bien que certaines personnes rêvent de ça : que les femmes soient dociles et soumises. Mais la Bible ne dit pas ça, et je ne crois pas que ce soient des valeurs chrétiennes. Les plus grands personnages bibliques ne sont ni dociles, ni soumis, même quand ce sont des femmes !
Marie : un exemple
Par contre, Marie peut être un exemple.
Elle peut nous inspirer dans notre manière de vivre notre foi. Il y a des moments, dans la vie, où nous devons être dociles, et il y a des moments où nous devons être rebelles.
Il y a des moments où il faut accepter le réel, et des moments où il faut lutter contre le réel. Les personnes qui ont connu la maladie – je parle de maladies importantes ou graves – le savent bien : il y a un temps pour lutter, et souvent aussi un temps pour accepter.
Mais surtout, Marie était une femme comme les autres. Qui n’avait rien de spécial ou d’extraordinaire. Il ne t’est pas demandé d’être une personne extraordinaire : tu peux, comme Marie, servir Dieu avec ce que tu es, avec ce que tu as, tout simplement.
Et c’est ça qui est extraordinaire.
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