Peut-on vraiment aimer Dieu ?
Avant de parler de ce que pourrait signifier « aimer Dieu », faisons un petit point sur le livre du Deutéronome, qui est un des textes qui nous demander d’aimer Dieu, justement.
Le livre du Deutéronome
En hébreu, ce livre porte le joli nom de D’VARIM : Paroles, au pluriel. En grec, il s’appelle DEUTERONOMION : seconde loi. Depuis longtemps maintenant il occupe la cinquième place dans les livres bibliques : c’est le dernier livre de la Torah.
Le Deutéronome, en quelque sorte, fait une relecture des épisodes les plus marquants des 3 livres qui précèdent, à savoir : Exode, Lévitique et Nombres.
Et la première question que tu vas poser, je le sens, c’est : les épisodes les plus marquants, oui, mais pour qui ? Car tu le sais, en fonction de qui écrit, l’accent n’est pas mis sur les mêmes événements.
Dans le Deutéronome, on a par exemple le récit du don du Décalogue sur le Sinaï, la mise en place des Juges, et l’épisode du veau d’or. On y trouve un code de lois qui est sensiblement différent de celui donné dans Exode et Lévitique, et nous avons l’établissement de l’alliance entre Dieu et son peuple, avec des bénédictions pour ceux qui obéiront aux commandements et des malédictions pour ceux qui ne seront pas fidèles à l’alliance. Le livre se termine par le récit de la mort de Moïse.
Qui a écrit le Deutéronome ?
Pendant longtemps on a cru que c’était Moïse qui avait écrit ce livre, mais comment aurait-il écrit la manière dont il était mort et dont il avait été enterré par Dieu ?
L’expression « livre de Moïse » ne voulait sans doute pas dire que c’est lui qui l’avait écrit, comme on a fini par le croire, mais que c’était un livre qui parlait de Moïse. C’est drôle de se rendre compte comment, au bout d’un moment, on perd le sens d’une expression.
Aujourd’hui, on pense que le livre du Deutéronome a commencé à être écrit vers la fin du 8è siècle avant notre ère, voire au début du 7è, et que son écriture se termine au retour de l’exil à Babylone, à savoir vers la fin du 6è siècle. En gros, donc, son écriture s’étalerait sur presque 200 ans.
Et pour répondre à la question que j’ai posée à ta place tout-à-l’heure : le Deutéronome fait une relecture des épisodes les plus marquants des 3 livres qui précèdent, à savoir : Exode, Lévitique et Nombres, mais les épisodes les plus marquants pour les gens qui l’écrivent entre l’invasion assyrienne (et la première déportation) et le retour de l’exil à Babylone (la deuxième déportation, donc).
C’est vraiment un livre de l’exil (je parle de cette période historique un peu plus en détail dans cet article).
Les gens qui écrivent ce livre ont un vocabulaire assez spécifique, on le retrouve ailleurs dans la Bible. On a donné à ces gens un nom : l’école deutéronomiste. Leur objectif principal : expliquer les déportations subies par le peuple au regard de l’obéissance à la loi de l’alliance.
Le maître mot des deutéronomistes, c’est : si tu obéis, tu resteras dans le pays, si tu désobéis, tu seras déporté. Bénédiction Vs malédiction. Une manière d’expliquer l’histoire d’Israël après coup.
(IN)actualité du Deutéronome ?
Aujourd’hui, on ne lit plus le Deutéronome.
On ne le connaît même plus.
D’une part parce qu’on ne le trouve pas très passionnant (ce n’est pas comme la Genèse, ou la première partie de l’Exode, qui nous offre de très beaux récits!), et d’autre part parce que ce qu’il nous raconte nous semble bien trop lointain et bien trop étranger à notre contexte.
Pourtant, les premières communautés chrétiennes lisaient beaucoup le Deutéronome : pas moins de 55 citations littérales du Deutéronome dans le Nouveau Testament, après les Psaumes (107 citations) et Ésaïe (104). Les chrétiens aimaient bien le Deutéronome.
En fait, le Deutéronome, ce n’est pas seulement un rappel des récits antérieurs, c’est aussi et surtout une reprise de ces récits, une actualisation de ceux-ci à l’époque de l’exil, c’est-à-dire au fond : une prédication qui a pour contenu la loi et l’histoire prêchées (pour reprendre l’expression de Martin Rose).
C’est en quelque sorte la prédication de Moïse, qui parle en « tu » et en « vous » et qui ne cesse de dire « pour vous, aujourd’hui… »
Actualisation, donc.
Ce qui est intéressant, quand on lit le Deutéronome, c’est de comprendre le mécanisme d’interprétation des textes de la Bible par les auteurs de la Bible. Mais j’arrête là, ce n’est pas notre sujet. Je reviens à nos petits moutons pour voir, justement, comment il nous serait possible d’actualiser le passage que nous avons lu.
Obéir à Dieu en l’aimant…
Viens donc voir par ici ce que dit le texte de Deutéronome chapitre 10, à partir du verset 12 jusqu’au 1er verset du chapitre 11
Il y a dans ce passage une liste de choses que le peuple d’Israël doit accomplir : obéir à la volonté de Dieu en l’aimant et en le servant de tout son cœur, voilà la première des choses. Ensuite, mettre en pratique les commandements (je cite) « que je te transmets aujourd’hui pour votre bien ». Désobéir, c’est se révolter contre Dieu.
Comme il n’avantage personne et ne se laisse pas corrompre par des cadeaux, alors vous non plus n’avantagez personne et ne vous laissez pas corrompre par des cadeaux.
Comme Dieu prend la défense des plus pauvres du pays (les orphelins et les veuves), vous aussi prenez soin des plus pauvres de votre pays.
Comme Dieu manifeste son amour pour les immigrés en leur donnant nourriture et vêtement, vous aussi, donnez de l’amour aux immigrés en subvenant à leurs besoins.
Reconnais l’autorité du Seigneur ! Adore-le lui seul ! Attache-toi à lui et ne prête serment qu’en son nom ! Adresse-lui tes louanges ! Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Mets chaque jour en pratique ses décrets, ses règles et ses commandements.
Bien, voilà un message qu’on n’aime pas entendre quand on est protestant. Parce qu’on n’aime pas obéir à des commandements. Parce qu’on croit que la grâce nous affranchit de l’obéissance. Parce qu’on est persuadé qu’avec l’amour de Dieu on peut faire tout ce qu’on veut.
Et pour ma part, je suis persuadé que c’est vrai : quand on aime Dieu on peut faire tout ce qu’on veut.
Vraiment tout ce qu’on veut…
Aimer Dieu et vivre libre
Mais il faut vraiment examiner la première partie de cette phrase : « Aime Dieu ».
Nous, occidentaux et occidentales du 21è siècle, quand nous entendons le verbe aimer, nous nous imaginons je ne sais pas quoi : un genre d’amour romantique, un sentiment qui nous relie à l’autre, un transport de rêveries imaginaires qui nous feraient nous sentir dans du coton mou…
Pardonnez-moi de crever votre nuage rose : pour la Bible, le verbe « aimer » ne signifie pas du tout ça. Le verbe « aimer » ne fait pas uniquement référence à des sentiments, et encore moins à des émotions. Attention : ce que je dis ici n’empêche pas les sentiments bien sûr, les sentiments accompagnent ce mouvement de l’amour. Je dis juste que dans la Bible, quand on parle d’aimer Dieu ou d’aimer son prochain, il s’agit d’actions bien concrètes.
Vous pouvez regardez toutes les occurrences de l’expression « aimer Dieu » dans la Bible : vous allez voir que c’est majoritairement lié à l’obéissance à Dieu. Aimer Dieu, c’est lui obéir. Désobéir à Dieu, c’est ne pas l’aimer.
Et là, vous allez me demander : mais obéir à Dieu ça veut dire quoi ?
Voilà une question qu’elle est excellente ! Parce que dans la Bible il y a tellement de commandements qu’il y a vraiment de quoi y perdre son latin (ou plutôt son hébreu).
Obéir à Dieu, est-ce que ça veut dire qu’il faut manger casher ? Est-ce que ça veut dire que je dois vendre tous mes biens pour les donner aux pauvres ? Est-ce que ça veut dire que je dois me couper une main ou un œil et jeter ça loin de moi ?
Le protestantisme : une manière particulière de concevoir l’amour de Dieu
En protestantisme, Dieu t’aime, quoi que tu fasses. Tu fais le bien ? Dieu t’aime. Tu fais le mal ? Dieu t’aime. D’ailleurs – ce n’est pas un secret, tu l’as remarqué toi-même : il t’est impossible de faire LE bien.
De temps en temps, tu parviens à faire du bien, mais tu ne peux pas faire LE bien. D’une part parce que tu ne peux pas savoir ce que c’est que de faire le bien, et d’autre part parce que même si tu le savais, tu serais tout simplement incapable de le faire tout le temps.
Par conséquent, ce n’est pas en vertu de ce que tu fais que Dieu t’aime. Ça, c’est la grande redécouverte des protestants : Dieu nous aime, et ce n’est pas lié à nos œuvres. Un peu comme nos parents – lorsqu’ils sont bienveillants : ils nous aiment, même quand on leur désobéit.
En revanche, il y a des choses que tu fais et que Dieu aime, et il y a des choses que tu fais que Dieu n’aime pas. Il y a des choses que Dieu attend que tu fasses. Tu ne fais pas ces choses pour être aimé·e de Dieu, dit-on en protestantisme, mais tu fais ces choses parce que Dieu t’aime.
Aimer Dieu nous pousse à l’action
Pour le dire autrement : tout le paquet d’amour que Dieu te donne, si tu le reçois, c’est-à-dire si tu accueilles son amour, ça change ton cœur. Tu ne peux pas te dire « Dieu m’aime, youpi, je peux tuer mon voisin ». Ou encore « Dieu m’aime donc je ne suis pas obligé de donner à manger à celui qui crève la dalle ».
En effet, si tu ne partages pas ce que tu as reçu, c’est précisément le signe que l’amour de Dieu ne t’a pas touché. Il n’a fait que t’effleurer.
Si tu aimes Dieu, alors ton cœur désire faire du bien autour de toi. Si Dieu a touché ton cœur, alors tu as envie de partager l’amour que Dieu t’a donné.
Quand on est riche de l’amour de Dieu, on est responsable de ce qu’on en fait. C’est la fameuse parabole des talents en Matthieu 25. C’est la parabole des mines en Luc 19. C’est la métaphore du cep et de la vigne en Jean 15. Bref, c’est tout l’évangile : ce que Dieu nous fait, nous devons le redistribuer.
Et c’est le texte du Deutéronome que nous avons lu.
Un pasteur m’a dit récemment : « l’amour, c’est ce qui me fait faire librement ce que je n’accepterai pas de faire sous la contrainte ». C’est vraiment à méditer.
En fait, disait une (autre) pasteure, il s’agit de veiller à la manière dont nous habitons le lien qui nous unit avec l’autre, qu’il s’agisse de quelqu’un de proche ou de quelqu’un de lointain. Même la personne la plus étrangère à ma personne a un lien avec moi, ne serait-ce que parce que Dieu est là, dans sa vie.
L’amour de Dieu pour nous, voilà le lien qui nous unit et qu’il faut habiter par des actes concrets.
Aime Dieu : le cœur du message
En fait, le cœur du message est bien celui-ci : si tu aimes Dieu, c’est-à-dire si tu es vraiment touché par son amour au point de vouloir redistribuer cet amour tout autour de toi, alors là, oui, fais ce que tu veux.
Parce que tout ce que tu voudras faire sera imprégné de cet amour pour ton prochain, c’est-à-dire de cette volonté de le considérer comme aussi important que toi-même, de cette volonté de l’élever au même niveau que toi, de cette volonté de lui permettre de vivre une vie meilleure.
Et maintenant, qu’est-ce que le Seigneur attend de toi ?
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Mets chaque jour en pratique ses décrets, ses règles et ses commandements.
C’est ce que j’ai actualisé pour toi aujourd’hui.
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