Ôter les pierres
La vie, je ne vous apprends rien, c’est un long chemin difficile et sinueux. Sur ce chemin, ce sont des cailloux, des côtes et des pentes raides, des routes mal balisées, des nids de poule, des flaques d’eau, quand ce ne sont pas des fleuves qui débordent. C’est marcher dans la boue, c’est marcher dans le sable, c’est marcher sous la pluie ou sous un soleil torride, dans le vent, dans le froid, dans la neige, et puis c’est la fatigue…
La vie, c’est aussi ce chemin le long duquel on trouve des bancs, parfois à l’ombre, pour nous protéger de la chaleur, parfois au soleil, pour nous réchauffer pendant notre pause. C’est des gens que nous croisons et qui nous redonnent le sourire et la joie. Des gens avec qui nous marchons, pendant un temps, et qui nous redonnent confiance. Des gens qui nous relèvent, et qui nous aident à enlever les rochers et les arbres cassés qui se mettent en travers du chemin.
Observons quelles paroles le prophète Jérémie met dans la bouche de Dieu, et expliquons un peu ce que ça signifie :
Poussez des cris de joie pour Jacob, à la tête de toute la terre,
lancez des acclamations à la tête de toute la terre,
faites entendre vos alléluias et dites :
« Seigneur, sauve ton peuple, sauve les survivants d’Israël ! »
Voici en effet ce que déclare le Seigneur :
Je les ramène du pays du nord.
Je les rassemble des plus lointaines contrées.
Tout le monde est là, les aveugles, les boiteux,
même les femmes enceintes et les accouchées.
Mon peuple revient au grand complet.
Ils arrivent en pleurant et en suppliant, et je les accompagne.
Je les conduis vers des ruisseaux pleins d’eau par un chemin facile,
sans obstacle qui les fasse trébucher.
Car je suis comme un père pour Israël,
et c’est Éfraïm mon fils aîné.
Des exils.
Dans l’histoire de l’Israël antique, il y a eu deux grands exils.
Le premier, survenu vers -722, a concerné le royaume du nord, qu’on appelait Israël, mais qu’on appelait aussi Efraïm, en référence au patriarche. Les Assyriens sont venus et ont déporté une partie de la population. Sur place, restent des israélites, ainsi que des Samaritains, qui développent leur culture.
La disparition du royaume du nord permet au royaume du sud, que l’on appelait Juda, de se développer de manière indépendante. Mais vers -587, c’est les Mésopotamiens qui envahissent le pays, et l’élite de Juda est exilée en Babylonie. Là, ces exilés redéfinissent la question religieuse et certains rêvent d’un retour au pays, pour reconstruire une identité forte et rebâtir le temple. Sur place, ceux qui restent essayent de s’adapter.
Une partie de la théologie développée par ceux qui ont été exilés en Babylonie met l’accent sur la culpabilité du peuple : c’est parce qu’ils ont désobéi à Dieu qu’il ont été déportés. Faire le serment d’obéir et de détruire tout ce qui détourne de Dieu (notamment les autres divinités, appelées idoles), voilà ce qu’il faut faire pour être sûr de pouvoir rester dans le pays promis. S’ils se comportent bien en observa,t la loi de Moïse, alors ils pourront revenir et rebâtir la maison de Dieu.
Revenir au pays.
Avec les chapitres 30 et 31 de Jérémie, nous sommes dans ce que l’on appelle le « livret de la consolation ». Le début du chapitre 30 promet le retour au pays, et la fin du chapitre 31 promet la nouvelle alliance entre Dieu et son peuple. Le message principal de ces passages, c’est : « vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». C’est l’idée que ceux qui suivent le Dieu unique forment le peuple de Dieu, et qu’ils sont les récepteurs de sa faveur.
Dans les trois versets de Jérémie 31, il semble bien que le prophète désigne ces habitants du nord, ceux qui formaient le royaume d’Israël, avant la déportation en Assyrie. Avec le temps, les Judéens ont considéré que les habitants du royaume du nord étaient méchants et idolâtres. Qu’ils ne servaient pas Dieu comme il le fallait.
Ici, Jérémie nous dit que les exilés du royaume du Nord reviennent dans le pays et qu’il vont aider les Judéens à former de nouveau un seul peuple. C’est la promesse de la grande réunification entre Juda, le peuple pieux, exilé à Babylone, et Israël, le peuple idolâtre, exilé en Assyrie.
La tendresse.
Regardez comment notre texte est plein de tendresse à l’égard des habitants du royaume du Nord.
Je note que Dieu se déclare leur père, à eux aussi. On a là un écho de l’annonce de la grâce envers toutes les personnes qui ne se comportent pas comme il faut.
Ce texte me permet de voir à quel point mon cœur est dur. Parce que franchement, très honnêtement, vous voulez savoir ce que je pense de ces gens qui ne font pas les choses comme je voudrais qu’ils les fassent ? Vous voulez savoir comment je traiterais les idolâtres, les pollueurs et les exploiteurs, si j’avais les pleins pouvoirs ? Imaginez quelles décisions célestes je prendrais à l’égard de celles et ceux qui aiment dominer et humilier les autres… Mon cœur est dévoilé, grâce aux Écritures, car je leur ferai ce qu’ils ont fait, et ainsi je serai comme eux, défiant les lois divines.
Tu seras jugé comme tu as jugé.
Tu récolteras ce que tu as semé.
Et là, le prophète Jérémie – qui n’était pas des plus tendres – nous présente un Dieu qui accueille et qui pardonne totalement.
Je suis capable de pardonner, mais je veux des signes de repentance. Et non seulement ça, mais je veux voir l’autre en baver, pour qu’il mérite mon pardon. Si je peux, je rendrai son chemin plus difficile, pour qu’il soit vraiment digne de sa repentance.
Et là je vois un Dieu qui se fiche pas mal de tout ça. Un Dieu qui sait que la vie est déjà bien assez difficile comme ça, et qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter aux malheurs du monde. Dieu ne fait pas que leur faciliter le chemin : il enlève tous les obstacles qui se trouvent sur ce chemin. Il n’exige d’eux aucun effort, pourquoi ? Parce qu’il aime son peuple, qu’il se considère comme son père, et que ce peuple, c’est son fils. Point barre.
Alors non, mon enfant, tu n’auras pas à trimer pour rentrer à la maison. Non tu n’auras pas à marcher pieds nus dans la neige ou à battre la coulpe pour être accepté.
La repentance.
Dans le texte on peut lire : « Ils arrivent en pleurant et en suppliant ». Certains y verront la nécessité de la repentance. Certains iront jusqu’à l’exiger des autres pour leur annoncer la grâce.
Moi, quand j’entends le dernier verset qui dit « je suis comme un père pour Israël, et c’est Ephraïm mon fils aîné », je pense à la parabole du fils prodigue, racontée par Jésus. Dans cette parabole, un père a deux fils. Le plus jeune réclame son héritage et part le dilapider. Une fois que tout est dépensé, il a le cœur contrit et s’apprête à demander pardon à son père. Il se prépare à être accueilli comme le dernier des vauriens…
Mais le père n’entend même pas sa confession, il s’en moque, tout ce qui est important pour lui, c’est que son fils soit revenu. Le fils n’a pas le temps de dire un mot que déjà le repas de fête est préparé, que le père court vers lui et l’accueille dans ses bras, sans lui faire un seul reproche.
Le fils aîné, lui qui a toujours bien respecté les commandements de son père, est au final celui qui se tient loin de la grâce.
La repentance de l’autre n’est pas suffisante pour lui.
Ça me parle aussi de mon cœur : quand l’autre se repent, je doute toujours que sa repentance soit sincère. Comme mon cœur est dur ! Et comme Dieu est bien moins exigeant que moi !
Ce que ça change pour moi.
Je ne me prends pas pour Dieu. Je sais que mon cœur est divisé. Je sais que je ne suis pas aussi bon que je le voudrais. En même temps, je sais que c’est déjà bien d’avoir le désir d’être meilleur que je ne suis.
Sans vouloir être comme Dieu, j’ai envie de lui ressembler davantage. J’ai envie d’accueillir les gens comme ils viennent, tels qu’ils sont. J’ai envie d’enlever les pierres sur leur chemin, pour leur faciliter l’accès à la grâce de Dieu. Parce que c’est ce que Dieu fait.
Peu importe si nous sommes trop généreux. Peu importe si les gens en profitent. Peu importe au fond s’ils s’enrichissent sur notre dos. Nous avons un trésor, le trésor le plus beau, le plus grand et le plus précieux de l’univers : nous savons que nous sommes enfants de Dieu. C’est un grand privilège.
Et en tant que privilégié, j’ai un choix à faire. Soit je garde ce privilège pour moi et pour les personnes qui me ressemblent, soit je le partage pour que le plus grand nombre en profite. Soit je me place dans une position d’élite, et alors seules les personnes qui méritent (selon mes critères) auront accès à la grâce, soit je me place dans une position solidaire et généreuse, et alors j’annonce la grâce à tous et à toutes, sans distinguer qui en est digne et qui n’en est pas digne. Soit je me fais juge, sois je me fais serviteur.
Dans mon cœur, il y a une conviction très forte : il vaut mieux progresser ensemble, même si ça ralentit mon cheminement personnel, plutôt que d’avancer tout seul et laisser les autres se débrouiller. Parce que si on arrive ensemble, on arrive en tant que famille. Si je me mets au rythme des plus « petits », je sais que tout le monde va bénéficier de cet état d’esprit. Je sais que la bénédiction sera plus grande, et qu’il sera plus facile d’être généreux. Tandis que si je fais ma route tout seul, en oubliant de faciliter le chemin des autres, c’est tout seul que j’arriverai – si toutefois j’arrive. Si j’arrive tout seul, je me persuade que c’est par mes mérites que je suis arrivé. Et je regarde les autres comme des gens qui n’ont pas la volonté d’y arriver. Je me pose en juge. Et en me posant en juge, je me juge déjà moi-même. Quelle bénédiction peut reposer sur moi, si je suis tout seul ? Quelle bénédiction, si je ne facilite pas le chemin de mon frère et de ma sœur ?
Dieu dit, au verset 9 : je les accompagne. Dieu rassemble celles et ceux qu’il aime des plus lointaines contrées, tout le monde est là : les aveugles, les boiteux, même les femmes enceintes et celles qui ont accouché. Des gens en forme, et des gens épuisés. Et Dieu leur facilite le chemin pour qu’ils arrivent ensemble. Des chemins difficiles à arpenter parce qu’ils sont pleins de pierres qui font trébucher, il veut faire un chemin pavé, pour que marcher soit plus facile. Pour qu’ils parviennent à se réjouir ensemble.
Nous ne sommes pas Dieu, mais nous sommes ses enfants. Nous lui ressemblons. Son Esprit est en nous. Acceptons de laisser s’attendrir le cœur qui bat en nous, et de regarder l’autre non pas comme quelqu’un qui devrait mieux faire, mais comme quelqu’un qui n’a pas besoin que j’augmente ses difficultés. La vie est bien assez dure.
Est-ce que je suis disposé à soulager la route de l’autre ? Est-ce que je veux que l’autre se réjouisse avec moi d’être appelé enfant de Dieu ?
« Poussez des cris de joie pour Jacob, lancez des acclamations sur toute la terre, faites entendre des alléluias, et dites : ‘Seigneur, sauve ton peuple ! ».
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