Pourquoi vouloir rester positif en toutes circonstances n’est ni sain ni encouragé par nos textes

14 novembre 2021Léa Steydli

« Il suffit de voir le bon côté des choses », « ça va aller », « ça pourrait être pire ». Ces phrases, on les a toutes entendues ou dites pour réconforter quelqu’un. Et bien souvent, elles font plus de mal qu’autre chose. Pourtant, être positif à tout prix a le vent en poupe. On nous bassine avec sur les réseaux sociaux, dans les livres de développement personnel et jusque dans les toilettes à l’aide de certains magazines. Et moi, ça me met mal à l’aise. Surtout quand cette positivité poussée à l’extrême est prêchée dans nos communautés chrétiennes. Car pour certains, un vrai chrétien ne devrait pas voir le négatif de sa vie, puisqu’il possède désormais l’espérance. Ah, la positivité toxique a encore de beaux jours devant elle ! Dans cet article, je défends l’idée que la positivité systématique n’est ni saine, ni encouragée par la Bible. Envie d’en savoir plus ? Lis la suite !

Rester positif en toute circonstance : le reniement de ses émotions profondes

Les émotions, qu’elles soient positives ou négatives, sont de véritables boussoles pour nos vies. Elles nous informent de nos besoins et nous permettent de nous adapter à notre environnement. Elles influencent aussi nos décisions dans le but de nous préserver.

Certaines sont plus agréables à ressentir que d’autres, mais elles sont toutes indispensables à notre survie. Beaucoup de personnes restent toutefois persuadées que le bonheur n’est pas compatible avec le ressenti d’émotions négatives.

À cela s’ajoute l’idée que le positif attirant le positif, il vaudrait mieux se concentrer sur les bonnes choses pour qu’un futur radieux s’ouvre à nous. Or la plupart des psychologues le disent, se forcer à rester positif en toute circonstance, n’évacue pas le négatif. Il le met simplement sous cloche.

Et jusqu’à preuve du contraire, nier quelque chose ne l’a jamais fait disparaître. Ne pas exprimer ce que l’on ressent n’est donc pas sain pour notre santé mentale et nous empêche plutôt d’aller de l’avant.

Il m’arrive toutefois de me répéter certaines phrases « positives » pour m’encourager, mais je n’use plus de positivité toxique pour écraser ma peur ou ma détresse. Car j’estime que tout ce que je ressens est légitime.

La positivité toxique : l’art de la culpabilisation

N’as-tu jamais eu l’impression de gêner quelqu’un en lui parlant de ton mal-être ? De mon côté, cela m’est arrivé plus d’une fois et je me suis régulièrement sentie coupable de ne pas être capable d’aller mieux.

Il faut dire que le fait d’aller mal n’est pas très bien accueilli dans notre société. Il n’y a qu’à prendre l’exemple du fameux « salut, ça va ? » qui n’attend qu’un « oui » pour embrayer sur le reste de la conversation.

Des phrases telles que « vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide » sont généralement dites avec la meilleure intention du monde. Sauf que la plupart du temps, la personne qui les reçoit est incapable d’accomplir ces injonctions et culpabilise de ne pas être à la hauteur. C’est alors qu’elle se compare aux autres en se demandant ce qu’ils possèdent de plus pour affronter la vie avec le sourire.

De même, certaines expressions comme « ça va passer » servent bien plus souvent à invalider les sentiments de la personne, sans doute par peur de la contagion, qu’à la consoler.

Mais alors, ne peut-on plus rien dire à un ami qui souffre ? Sommes-nous condamnés à rester passifs et impuissants ? Venir en aide à quelqu’un est bien entendu possible, mais encore faut-il savoir accueillir ce qui est exprimé sans chercher à le réprimer.

Ainsi, évitons les phrases automatiques qui bien souvent n’aident en rien. Au lieu de ça, préférons l’écoute sincère et les questions ouvertes pour chercher à mieux comprendre ce que vit l’autre. Parce qu’avouons-le, nous cherchons bien plus souvent des bras et des oreilles attentives qu’une explication bancale à notre situation.

L’attitude négative : un cadeau de notre évolution

Sais-tu que l’homme a naturellement tendance à voir le négatif avant le positif ? Selon une étude de psychologie du nom de « bad is stronger than good », cette attitude serait le fruit de notre longue évolution. La faculté d’imaginer le pire nous aurait ainsi permis d’anticiper bien des dangers.

Cette théorie expliquerait d’ailleurs pourquoi nous gardons plus facilement en mémoire les mauvais souvenirs que les bons. Partant de là, il me paraît évident qu’il n’est ni naturel ni bon d’ignorer nos pensées négatives.

Lorsqu’elles surviennent, tentons plutôt d’écouter ce qu’elles ont à nous dire plutôt que de vouloir les supprimer. En effet, elles ne pourront s’apaiser qu’une fois prises en compte, traitées puis digérées.



Focus Bible : nos textes nous encouragent-ils à rester positifs à tout prix ?

Un jour, j’ai échangé avec une amie à propos d’événements traumatisants de nos enfances respectives. Vers la fin de la discussion, elle m’a dit quelque chose comme : « mais toi tu as ta foi qui te porte, les baisses de moral tu ne dois pas connaître ! ».

Elle a continué en me disant que pour elle, un chrétien était forcément heureux puisqu’il croyait au témoignage du Christ. Que son espérance lui donnait une sorte d’immunité face aux épreuves. Que la Bible était pleine de versets nous invitant à nous réjouir. Bref, la négativité n’avait manifestement pas sa place dans ce livre.

En vérifiant moi-même, j’ai pu effectivement trouver un grand nombre de versets qui célèbrent la joie, la fête, la réjouissance et le fait de garder son regard fixé sur la victoire promise par le Christ.

Je peux citer parmi eux :
« Réjouissez-vous d’être unis au Seigneur. Je vous le répète : réjouissez-vous ! » (Phil 4,4)
« Réjouissez-vous à cause de votre espérance. Soyez patients dans la détresse… » (Rom 12,12)

Mais nos textes nous demandent-ils pour autant de taire, voire de nier cette partie de notre humanité faite de séparations, de deuils, de trahisons et de violence ? Je ne le crois pas. L’histoire biblique n’est-elle pas une succession de drames où Dieu, bouleversé par la souffrance de son peuple, ne cesse jamais de l’aimer et de l’accompagner ?

Même le Christ n’a pu s’empêcher de verser des larmes à la mort de Lazare, alors qu’il savait qu’ils seraient un jour à nouveau réunis dans le cœur du Père. Ce verset, considéré comme le plus court de la Bible « Jésus pleura » (Jean 11, 35), me console dans les moments difficiles. Il me rappelle que mon maître a connu toutes les saisons de la vie et n’a pas eu honte d’exprimer son amour par des larmes.

Ajoutons à cela que la Résurrection du Christ n’efface pas les heures de souffrances qu’il a vécues sur la croix. Elle n’efface pas non plus cette nuit pleine de pleurs, d’angoisse et de trahisons avant sa crucifixion. La victoire n’efface donc pas la bataille.

De même, l’espérance chrétienne nous permet de voir au-delà de la souffrance, mais ne la supprime pas. Elle nous donne l’immense pouvoir de traverser l’épreuve, mais ne nous l’épargne pas. La souffrance est là, même lorsque nous sommes tentés de nous persuader du contraire par nos fameux « ce n’est rien, ça va passer ».

Ne faisons donc pas comme si tout allait bien alors que ce n’est pas le cas et osons pleurer lorsque la peine nous submerge. Car le Christ lui-même a eu le cœur brisé et a su assumer sa part d’humanité. Retenons donc qu’être positif n’est pas mauvais en soi et nous permet même d’aller de l’avant. Tout n’est finalement qu’une question d’équilibre. Pour ma part, la pensée positive m’a permis de mieux accepter les faiblesses de mon corps. Elle m’a aussi, comme les textes bibliques, donné les ressources pour ne plus simplement subir ma vie et mes maladies. Mais avant ça, il m’a fallu du temps, des larmes et répondre « non ça ne va pas » à l’automatique « salut, ça va ? ».

Merci cher amour pour cette invitation à écrire sur ton blog !


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Comments (5)

  • Jean-Michel Ulmann

    15 novembre 2021 at 13:53

    Merci, Lionel, pour ces paroles de vérité. La physique nous apprend aussi que pour faire des étincelles, pour faire de la lumière, il faut la rencontre du positif et du négatif.
    Il y a de ça dans l’épilogue des Illusions perdues de Balzac qui dit quelque chose comme: « Lucien de Rubempré avait perdues ses illusions; il pouvait commencer à vivre ».

  • Clara Schweitzer

    27 novembre 2021 at 18:49

    Tout à fait d’accord. Il faut dire que le bonheur/bien-être est un nouveau dictat (et un marché) dans notre société moderne, souvent individualiste et superficielle.
    Il est parfois libérateur d’accepter les périodes difficiles et les moments de faiblesse.

  • Fabienne Hatterer

    1 août 2023 at 10:18

    Je suis sur le chemin de la résiliance. J’ai passé quelques semaines à l’hôpital. Les personnes qui ne sont pas au courant et qui demandent comment ça va je ne sais pas toujours comment répondre car ça va mieux mais ça ne va pas bien. J’ai du mal à m’en parler parce que ça n’intéresse pas forcément les gens. Alors j’ai dit que ça va bien.

    1. Lionel Thébaud

      2 août 2023 at 11:49

      Bonjour.
      Je crois comprendre ce que vous exprimez : il est bien souvent plus facile de dire aux gens « ça va » plutôt que d’expliquer (pour la millième fois !) que les choses sont complexes. Qu’aller mieux, ça ne veut pas dire aller bien.
      Ici, ce que mon épouse écrit n’a pas grand-chose à voir avec ce que vous décrivez, à mon avis. Elle pointe du doigt la croyance qui prétend que « aller bien, c’est un choix », et qu’il faut « rester positif ». Et qui nous conduit à croire que si ça ne va pas bien, c’est de notre faute, au fond. C’est à cela qu’elle s’attaque.
      Il va de soi (pour moi en tout cas) qu’il est nécessaire, pour se protéger, de « mentir » aux autres : on leur dit « ça va » alors que ça ne va pas, parce que si on leur disait réellement ce qui se passe, on s’épuiserait en paroles vaines et – souvent – on devrait faire face à des incompréhensions usantes.
      Dans ce cas-là, vraiment, ce n’est pas un problème.
      En revanche, il est souhaitable de trouver une ou plusieurs personnes avec lesquelles on a cette liberté de tout dire. Cette liberté d’exprimer que ça ne va pas quand ça ne va pas. Une oreille capable d’entendre la différence entre aller mieux et aller bien. Une oreille respectueuse de notre cheminement. Ce peut être un.e ami.e, ou un.e professionnel.le de l’écoute (médecin, pasteur, etc.). Encore faut-il trouver ces qualités d’écoute chez la personne, car même les personnes formées ne sont pas toujours à l’écoute (et c’est normal : ce sont des humains qui ont aussi leurs difficultés).
      Surtout, ne pas rester seul.e avec ces difficultés.
      C’est ce que je vous souhaite.

      Merci d’avoir laissé ce commentaire sur mon blog, ça l’aide à vivre !

  • NICOLE LETOURNEUR

    2 août 2023 at 19:26

    Oh combien d’accord Léa (et Lionel) avec cette analyse.. et ton empathie aussi!
    Bises
    Nicole

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