Des pièces de monnaie sont dans une main. L'autre main touche une pièce avec l'index. Bien gérer son argent

L’argent : signe du Royaume

21 novembre 2021Lionel Thébaud

Être chrétien, c’est apprendre à être généreux. Mais d’après vous, est-ce qu’il y a une différence entre la générosité protestante et une autre sorte de générosité ? La générosité a-t-elle une couleur ? Quel est le lien entre notre argent et ce que l’on appelle le Royaume de Dieu ? Enfin, si l’argent pouvait être un signe du Royaume, quelles en seraient les conditions ?

Si je voulais résumer mon opinion sur le sujet, je dirais que par certains côtés, il n’y a aucune différence, et par d’autres côtés, il y a des différences énormes… Avec cette réponse normande, vous êtes bien avancé·e·s… Juste un rappel protestant, quand-même : ce n’est pas pour être sauvé·e·s que nous faisons des œuvres. Mais c’est parce que nous sommes sauvé·e·s que nous faisons des œuvres. Ce n’est pas non plus pour plaire à Dieu, ou encore pour lui rembourser ce que nous lui devons. Si nous faisons des œuvres, c’est parce que l’amour de Dieu nous habite.

Pour apporter des pistes de réflexion, je vais d’abord rappeler ce que le fondateur français du protestantisme, j’ai nommé Jean Calvin, a dit à ce sujet. Et après, je poursuivrai plus largement en commentant un texte de l’évangile.

Comment Jean Calvin articule argent et Royaume

Jean Calvin, donc, est pour les protestants réformés ce que Martin Luther est pour les protestants luthériens. Je n’entre pas dans les détails de la théologie calviniste, et je me focalise sur la manière dont Calvin pense la gestion de l’argent. J’ajoute que je ne vais pas critiquer la théorie sociale de Calvin. Je l’explique rapidement, et j’en tire des conséquences logiques et des applications pratiques. Tout simplement.

Personnellement, il y a dans son approche des points avec lesquels je ne suis pas à l’aise. Mais peu importe : l’orientation globale – qui est de faire de l’argent un signe du royaume de Dieu – me plaît assez, je vous l’avoue.

Pour Calvin, la manière dont nous gérons notre argent dépend de la vitalité de notre vie spirituelle. C’est pour ça d’ailleurs que dans le culte chrétien, il y a un temps consacré au don d’argent, que nous appelons l’offrande : spirituel et matériel ne sont pas séparés, le don d’argent fait complètement partie du culte.

L’argent, pour le protestantisme de Calvin, n’est pas quelque chose de « bassement matériel » : il reflète notre foi. En fait, l’argent est un moyen dont Dieu se sert pour nous accorder ce qui nous est nécessaire, à nous, ainsi qu’à celles et à ceux qui nous entourent. La richesse est mise à notre disposition pour que nous organisions notre vie et celle de la société avec laquelle nous sommes solidaires et coresponsables. L’argent bien géré est un signe de la grâce du Dieu qui prend soin de ses enfants. par conséquent, bien géré, l’argent est un signe du Royaume de Dieu.

Bien gérer son argent ?

Bien gérer, ça veut dire quoi ? Pour Calvin, il est question de faire fructifier son capital. Mais dans quel but ? A quoi sert de gagner plus d’argent ?

Notre société nous dit que si nous gagnons plein d’argent, c’est pour en profiter : nous travaillons pour nous acheter des tas de trucs, et plus nous achetons des trucs, plus nous avons besoin d’acheter des trucs. On achète, on jette, on remplace, on ne répare même plus, on accumule, on détruit, et vous en connaissez les conséquences : d’une part notre consommation appauvrit les peuples que nous exploitons pour fabriquer nos objets (regardez sur internet comment on fabrique des ordinateurs, des voitures ou des téléphones, et vous réfléchirez à deux fois avant de changer votre matériel tous les deux ans), d’autre part nous détruisons la planète à une vitesse telle que nous n’y survivrons pas.

Si c’est pour accumuler des trucs que nous nous enrichissons, notre travail ne sert à rien. Il n’est pas à la gloire de Dieu. Notre argent n’est pas le signe de sa grâce et de son royaume.

Pour Calvin, l’être humain n’est pas seulement un individu, il est aussi une personne. Ça veut dire qu’il est relié aux autres êtres humains dans une solidarité forte. Et cette solidarité s’exprime dans l’échange mutuel des biens et des services. Calvin se dit que s’il y a des riches et des pauvres, ce n’est pas un hasard : il est demandé aux riches de redistribuer leurs biens pour améliorer les conditions de vie des pauvres. Il y a pour les riches une responsabilité vis-à-vis des pauvres, une responsabilité qui dépasse la question de l’aumône. Une responsabilité qui parle de justice sociale.

Le riche – quelle que soit sa richesse – est un privilégié, et le privilège est à partager avec ceux qui n’y on pas accès. En retour, le pauvre – parfois sans le savoir – exerce une responsabilité auprès du riche, parce qu’il l’aide à ne pas s’attacher à ses richesses : il doit lui rappeler son manque de justice. Il donne au riche l’occasion de se défaire de son bien et de se libérer de la servitude de l’argent. Pour Calvin, le but des richesses c’est d’arriver à la réalisation de cette déclaration de l’apôtre Paul : « Ceux qui en avaient beaucoup n’en avaient pas trop, et ceux qui en avaient peu n’en manquaient pas. »

Calvin ajoute que quand on refuse de donner au pauvre ce que nous devons lui donner par amour, on le vole. Quand nous, en tant que protestant et protestantes, nous ne donnons pas aux plus pauvres que nous, alors nous transformons l’argent : au lieu d’être un signe de la grâce de Dieu, il devient un instrument d’oppression. Voilà très résumée la doctrine sociale de Calvin.

Matthieu 6.1-4 et la dynamique du Royaume

Lisons le texte de l’Evangile.

Gardez-vous d’accomplir vos devoirs religieux en public, pour que tout le monde vous remarque.
Sinon, vous ne recevrez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux.
Quand donc tu donnes quelque chose à un pauvre,
n’attire pas bruyamment l’attention sur toi,
comme le font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues :
ils agissent ainsi pour être loués par les autres.
Je vous le déclare, c’est la vérité : ils ont déjà leur récompense.
Mais quand ta main droite donne quelque chose à un pauvre,
ta main gauche elle-même ne doit pas le savoir.
Ainsi, il faut que ce don reste secret ;
et Dieu, ton Père, qui voit ce que tu fais en secret, te récompensera.

Dans le passage de l’évangile que nous avons lu, trois choses me sautent aux yeux. La première, c’est que la générosité est un devoir. Le texte ne dis pas « si tu donnes ». Il dit « quand tu donnes ». Donner n’est pas une option, c’est la marche chrétienne normale. Nous le savons, il est bon de le rappeler régulièrement.

La deuxième chose c’est qu’il n’est rien demandé au pauvre. Le pauvre est pauvre, et à ce titre, il est celui qui manque. On lui donne sans condition. Mais il y a un problème là. Nous disons sans cesse aux pauvres comment ils doivent se comporter. Soit nous disons : « je te donnerai ceci si tu fais cela… », soit nous disons : « puisque je t’ai donné ceci tu dois faire cela… » Et notre texte – lui – qu’est-ce qu’il exige du pauvre ? RIEN. Donner aux pauvres ne nous donne aucun droit sur eux. En tout cas, dans une perspective vraiment chrétienne.

Le pauvre subit déjà toutes les pressions de la vie. Allons-nous alourdir son fardeau ? Alors même que nous savons que ce que nous possédons c’est Dieu qui nous l’a donné ? Et pourquoi Dieu nous a donné ce que nous avons ? A cause de nos mérites ? C’est parce que nous nous sommes bien comportés ? Nous sommes meilleur·e·s que les autres peut-être ? Non.

En tout cas, pour Calvin, Dieu nous a donné des richesses pour que nous les partagions, et qu’en les partageant nous devenions meilleur·e·s. Pas les meilleur·e·s, non. Simplement meilleur·e·s que ce que nous sommes. Si nous donnons ce que nous avons, nous ne faisons rien d’extraordinaire. Nous ne faisons que ce qui est juste. Mais si nous ne donnons pas, nous faisons ce qui est injuste. Ne pas donner, c’est parler de la piètre qualité de notre foi.

On ne demande donc rien au pauvre, mais en revanche, on demande quelque chose à qui donne. C’est mon troisièmement. Notre texte lui demande d’être discret dans ce qu’il fait pour les autres. Il dit : « ne faites pas ça publiquement ». Alors on peut, dans l’assemblée, mettre de l’argent dans les aumônières, bien sûr, mais personne ne doit savoir ce que vous y mettez. Seul le trésorier le saura. Quand nous sommes privilégié·e·s, nous avons franchement mieux à faire que d’étaler nos privilèges devant les autres. Nous pouvons rester discrets.

Ce n’est pas une question de honte : il n’y a aucune honte à être riche. A mes yeux, il n’y a pas de honte à être riche ou pauvre : nous sommes ce que nous sommes. Si vous devez rester discret·e·s, c’est par souci du pauvre. Si vous étalez votre richesse, même sans le vouloir, vous humiliez le pauvre. Et le pauvre est déjà bien assez humilié comme ça au quotidien. Donc, « n’attire pas bruyamment l’attention sur toi ». « Quand ta main droite donne quelque chose à un pauvre, ta main gauche elle-même ne doit pas le savoir ». Au final, c’est n’est pas nous qui donnons, mais c’est Dieu qui donne à travers nous.

Faire de l’argent un signe du Royaume

Bien gérer notre argent, c’est l’utiliser pour nos besoins personnels, et donner le reste aux personnes qui ont besoin. Ici, pas de culpabilité : quand tu gagnes le SMIC (ou moins), si en plus tu as des enfants, il ne te reste plus grand-chose à partager une fois que tu as tout payé. Et si tu gagnes plus que le SMIC, tu es seul·e à pouvoir juger de ce que sont tes besoins. Personne n’a le droit de te juger.

Pas de culpabilité, donc, mais une responsabilité. Cette responsabilité, c’est que nous sommes solidaires, en tant que société humaine. Nous ne devons pas rester indifférent·e·s lorsque nous voyons des personnes plus pauvres que nous. Nous devons réfléchir à chaque fois que nous recevons notre revenu pour voir comment nous pouvons mieux redistribuer les richesses que Dieu nous donne, en fonction des besoins des gens qui nous entourent.

Bien entendu, quand on parle de richesses, on ne parle pas que d’argent. On peut aisément s’inspirer des symbioses que l’on observe dans la nature : les fourmis qui protègent les pucerons contre leurs prédateurs, et qui en retour récupèrent leur miellat, ou encore l’anémone qui éloigne les prédateurs du poisson clown (sans qu’il y ait réciprocité de service a priori), etc. Mais si j’insiste sur la question de l’argent, c’est parce que nous arrivons dans une période critique. On nous l’annonce depuis plus d’un an, mais là nous y entrons.

Le coût de l’énergie augmente, le coût des produits alimentaires augmentent, et nous allons traverser un moment très difficile, où celles et ceux qui gagnent le SMIC vont avoir de plus en plus de mal à finir le mois. eh oui, encore. Il faut nous préparer à ça, et réfléchir à la manière dont nous pouvons améliorer la vie des gens qui nous entourent. Investir du temps et de l’argent dans une œuvre sociale, une association ou le service d’entraide de notre paroisse, même ponctuellement, c’est une manière de redistribuer nos richesses.

Dernière précision. Si nous donnons, ce n’est pas pour essayer de rembourser Dieu. N’essayez même pas, c’est impossible. En fait, moi, je ne dois rien à Dieu. Ma dette est tellement grande que je ne peux même pas lui être redevable. Mais devant le don de sa grâce, je suis bouleversé, et je veux être généreux comme Dieu est généreux, parce que je veux être un signe de sa grâce. Je veux participer activement à la dynamique du Royaume de Dieu. Royaume qui, nous dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains, est « la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit ».

On l’interprètera comme on voudra, mais je n’envisage pas une justice par l’Esprit sans effets concrets dans la vie des gens, en matière de justice sociale. Quand je participe à la justice sociale, je ressens cette paix et cette joie qui vient de l’Esprit. C’est tourné vers les autres que je ressens le mieux l’amour de Dieu pour toute sa création.

Par conséquent, si nous donnons, c’est parce que la justice de Dieu est inscrite dans nos cœurs par le Saint-Esprit. C’est pour moi le cœur de la générosité protestante. Donner, parce que notre cœur nous pousse à donner, sans culpabilité, mais avec responsabilité, et avec la joie que Dieu a mise en nous.

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