une femme est en position du lotus, sur un rocher, au bord de la mer. Elle essaye de trouver l'harmonie

Le corps ne doit pas être en harmonie avec l’esprit !

28 novembre 2021Lionel Thébaud

L’autre jour, j’étais au téléphone avec une amie. Elle trouvait que j’avais rajeuni – ça faisait trois ans qu’on ne s’était pas vu. Il est vrai qu’il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie en trois ans, et qu’en effet, je me sens comme dans une nouvelle jeunesse. Cependant, physiquement, j’ai plutôt l’impression que c’est l’inverse : mon corps vit comme si j’avais 15 ans de plus. Étonnée, elle me dit : « c’est étrange : ton corps ne serait donc pas vraiment en harmonie avec ton esprit ? »

Cet échange a inspiré mon billet d’humeur d’aujourd’hui.

Un esprit sain dans un corps sain… une harmonie ?

Nous sommes habité·e·s par l’idée que le corps et l’esprit, lorsqu’ils sont en harmonie, permettent une santé à toute épreuve : la maladie serait le signe d’un manque d’harmonie entre le corps et l’esprit. Il me semble que ce qui fonde cette idéologie dans notre culture, c’est cette expression, qui nous vient de l’antiquité grecque : « un esprit sain dans un corps sain ».

En effet, l’exercice physique fait du bien à l’esprit. Mais les différentes religions mystiques de la Grèce antique, suivies des approches mystiques du christianisme (… et des autres religions?), ont transformé cet adage en un impératif tyrannique imposant la bonne santé physique. Bien évidemment, nous cherchons à être en bonne santé, mais doit-on culpabiliser d’avoir une santé fragile ?

Je ne parlerai pas des comportements qui nuisent à notre santé (trop boire, trop manger, trop fumer, etc. Ça ressemble à des alertes gouvernementales en bas de publicité, mais tant pis) : ils sont évidents et on nous les répète suffisamment pour que je n’en rajoute pas une couche. Nos comportements ont un impact sur notre santé, et certains de ces comportements sont peut-être bien le signe d’un mal-être intérieur (ce qui est à mon avis le cas des dépendances).

Je veux plutôt parler de l’idée reçue selon laquelle tout dérèglement physique serait le signe d’une mauvaise santé spirituelle. Comme si, au fond, le corps devait en toute circonstance être soumis à l’esprit.

L’esprit, supérieur au corps

Cet idéal grec de la supériorité de l’esprit sur le corps a contaminé la perception que nous avons de la réalité du corps. En effet, nous en sommes venus à considérer que l’esprit était parfait. Parallèlement, nous considérons que la matière est largement inférieure à l’esprit.

C’est pratique : le corps, nous le connaissons, nous savons ce qu’il est et quelles sont ses limites, tandis que l’esprit, nous ne savons même pas s’il existe (en revanche, nous y croyons dur comme fer). Nous idéalisons ce que nous ne pouvons pas connaître, et personne ne pourra venir nous contredire.

L’esprit est largement supérieur ! Ah bon ? Mais bien sûr, c’est évident !

Notez que si l’esprit est supérieur au corps, on est dans une logique de domination/soumission. Je ne sais pas si c’est cela que l’on appelle « harmonie ». Je ne me sens pas en harmonie avec un supérieur hiérarchique, moi. Je me sens en subordination.

Dans ce cas, la seule manière de racheter le corps, c’était de parvenir à ce qu’il reflète la perfection de l’esprit. De là, nous comprenons la croyance selon laquelle un corps est parfait lorsque l’esprit qui l’habite est parfait. Et nous comprenons que le corps, avec ses limites, son vieillissement, ses accidents et ses maladies, est méprisable. En gros, si notre corps à des failles, c’est que notre esprit n’est pas parfait.

D’une manière ou d’une autre, beaucoup de spiritualités continuent aujourd’hui à véhiculer cette forme particulière de mépris du corps.

Et ça m’énerve.

Pour moi, cette conception de la vie n’est absolument pas chrétienne. Je dirais même qu’elle est inhumaine.

Dieu nous aime comme nous sommes : corps et esprit

D’abord, Dieu est amour. Ça veut dire que Dieu nous aime et nous accepte tel·le·s que nous sommes. Tel·le·s que nous sommes, ici et maintenant, Dieu nous ouvre les bras. Ça veut dire aussi que nous n’avons pas besoin de changer pour être accepté·e·s par Dieu.

Ensuite, si Dieu est celui qui a créé le monde, ça pose d’emblée deux problèmes importants. Premièrement, il y a la question de la vieillesse. Quand on vieillit, notre santé est de moins en moins bonne. Et deuxièmement, il y a la question des accidents. Les accidents de la vie, divers et variés, tout le monde en a vécu et en vit chaque jour. Quand on a un accident, notre santé diminue.

Est-ce que vieillir ou avoir un accident est un signe de mauvaise santé spirituelle ? Admettons que cela est le cas. Ça voudrait dire que les personnes qui naissent avec un handicap seraient des personnes moins équilibrées spirituellement que des personnes qui naissent sans handicap. Ou bien qu’une personne qui manipule des produits toxiques (insecticides, pollution, tabagisme passif…) ne pourrait pas développer un cancer si son esprit était clean.

Pour moi, toutes les conséquences de « Dieu est amour » éliminent cette possibilité. Venir à la vie avec un handicap ou « attraper » un cancer nous ne nous disqualifie pas spirituellement, même si nos sociétés, telles qu’elles sont organisées, font du handicap et de la maladie des moyens de disqualification.

Ces sociétés doivent évoluer et je suis persuadé que des personnes en bonne santé spirituelle sont des personnes qui cherchent à changer la société de manière à ce que les inégalités disparaissent.

Notre société ultralibérale – qui croit que l’être humain doit, par tous les moyens, viser la performance en toutes choses – nous piétine et nous déshumanise de jour en jour, et fait ressurgir cette vieille croyance que nous ne remettons même pas en question, car elle a été fortement portée par 2000 ans de christianisme.

Vous l’aurez compris, l’argument qui prétend que les problèmes physiques sont les conséquences d’un manque d’harmonie entre le corps et l’esprit est invalide.

Deux exemples bibliques

La Bible ne s’inscrit pas nécessairement dans une telle représentation du corps et de l’esprit (voir ici). Par exemple, prenons le personnage de Jésus-Christ, au hasard. Jésus-Christ, selon le Nouveau Testament, était l’être humain le plus habité par la divinité. Pourtant, comment a-t-il fini sa vie ? Au jardin de Gethsémané, son âme est triste à en mourir et il transpire des gouttes de sang. Il finit sur une croix, dans des souffrances atroces.

Je ne connais aucun chrétien, aucune chrétienne qui affirmerait que Jésus-Christ connaissait une disharmonie spirituelle.

Prenons maintenant l’apôtre Paul. Sans aucun doute, Paul n’est pas autant habité de Dieu que Jésus-Christ. Néanmoins, il est une figure de référence pour la majorité des chrétiens et des chrétiennes dans le monde. Dans l’une de ses lettres, Paul écrit cette phrase étrange : « il m’a été mis une écharde dans la chair ». Il précise qu’il a prié à trois reprises pour que Dieu la lui enlève, ce à quoi Dieu lui aurait répondu : « ma grâce te suffit ».

C’est assez obscur : on ne sait pas exactement de quoi il s’agit. Est-ce que cette écharde serait quelque chose qui pèse sur sa conscience et pour laquelle il ne parvient pas à trouver le pardon ? Il me semble que non, puisqu’il demande à Dieu de lui enlever cette écharde, et je ne sais pas comment Dieu pourrait faire en sorte que ce qui s’est passé ne se soit pas passé.

Autant Paul répète inlassablement que Dieu pardonne (mettant ainsi un terme à la culpabilité) et que nous devons accepter ce pardon, autant à aucune reprise on imagine Dieu effacer l’histoire. C’est pourquoi les biblistes imaginent plutôt que cette écharde pourrait être un problème physique, voire une maladie.

Dans certaines lettres, Paul précise que ce n’est pas lui qui écrit, il ajoute que ses yeux ne voient pas bien. Était-il en train de devenir aveugle ? Pour moi, c’est un mystère. Peut-être ne saura-t-on jamais avec certitude ce qu’était cette fameuse écharde. Mais Paul pourrait très bien avoir des problèmes de santé. Est-ce que ça fait de lui quelqu’un qui n’est pas en harmonie avec son esprit ?

La difficile question de la santé

Quand le corps et l’esprit sont en harmonie, ça ne se traduit pas forcément par une bonne santé physique. Ni même toujours par un mieux-être corporel

On nous rapporte régulièrement des histoires de gens qui ont vécu des guérisons. On entend ça dans un peu tous les milieux : dans des communautés religieuses, mais aussi dans des milieux de spiritualité contemporaine. N’oublions pas qu’à l’époque de Mao, on nous rapportait que des gens étaient guéris pendant les discours du petit chef du peuple.

Et pourquoi pas, après tout ? Je crois que le pouvoir de l’esprit sur le corps échappe parfois toute compréhension. La force de l’autosuggestion notamment est incroyable. Mais est-ce vraiment le signe d’une harmonie ? Peut-on qualifier le régime de Mao d’harmonieux avec ce que l’on nomme l’esprit ? Je me questionne.

Pour moi, le signe de la bonne santé spirituelle, ce qui me fait dire qu’une personne développe une vie intérieure, c’est quand elle cherche à ajuster son comportement de manière à bénir (= faire du bien) les autres. Et je dis bien quand elle cherche à ajuster, pas nécessairement quand elle y arrive. Je ne me situe pas dans la productivité et dans l’idéologie de la réussite.

Au nom de toutes les personnes fragiles, je demande d’arrêter de croire et d’arrêter de dire que quand l’esprit va bien, le corps va bien. C’est une fausse croyance.

Si, comme moi, vous en avez marre qu’on culpabilise vos proches (et vous-même) avec ces idées tyranniques, faites-le savoir en partageant cet article !

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