La main de l’Eglise
Mes frères et sœurs, à quoi cela sert-il de dire : « J’ai la foi », si on ne le prouve pas par ses actes ?
Cette foi peut-elle nous sauver ?
Supposez qu’un frère ou une sœur n’aient pas de quoi se vêtir ni de quoi manger chaque jour.
À quoi cela sert-il que vous leur disiez :
« Allez en paix, portez-vous bien ; habillez-vous chaudement et mangez à votre faim ! »
si vous ne leur donnez pas ce qui est nécessaire pour vivre ?
Il en est ainsi de la foi :
si elle ne se manifeste pas par des actes, elle n’est qu’une chose morte.
On dira peut-être :
« Toi, tu as la foi, mais moi, j’ai les actes ! »
Montre-moi comment ta foi peut exister sans actes ! Et moi je te prouverai ma foi par mes actes.
(…)En effet, de même que le corps sans le souffle de vie est mort, de même la foi sans les actes est morte.
Jacques 2.14-26
Derrière ce passage, on imagine souvent que Jacques s’oppose à la théologie de la grâce défendue par Paul. Une certaine compréhension de la théologie de Paul – et une mauvaise interprétation, du coup – c’est que lorsqu’on a la foi, on n’a plus besoin de faire des œuvres. Jacques ici redresse la barre en démontrant que les œuvres sont nécessaires. Pour le dire plus simplement, ce n’est pas pour être sauvés que nous faisons des œuvres. C’est la foi qui sauve. Mais c’est parce que nous sommes sauvés que nous faisons des œuvres. Les œuvres sont les mêmes, mais l’intention change tout pour moi : si je fais quelque chose, ce n’est pas pour plaire à Dieu. Je le fais parce que ma foi m’y pousse. Je n’insisterai jamais assez à mon goût pour rappeler que la grâce nous a été donnée, qu’elle est renouvelée chaque jour, et donc que nous n’avons rien à faire pour essayer de plaire à Dieu ou d’attirer ses faveurs. Il nous aime déjà. Et c’est parce que nous croyons en son amour que nous agissons.
Une deuxième chose est à préciser : oui, nous devons faire des œuvres. Mais : non, nous n’avons pas à nous sacrifier, ni à sacrifier notre famille. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de « sacrifices » : servir Dieu, c’est forcément renoncer à des choses. Mais votre vie n’est pas à sacrifier pour Dieu. Je suis persuadé que le paradigme Jésus a mis fin à tous les sacrifices, nous appelant à dépasser cette notion de sacrifice. Et que si certains ou certaines se sentent obligé·e·s de sacrifier leur vie, c’est bien parce que nous les laissons faire, au lieu de les aider et de les soutenir dans leurs œuvres. Une charge ne nécessite pas de sacrifice lorsqu’elle est portée par beaucoup. Et ce que je vois, c’est que l’esprit de sacrifice sacrifie surtout les gens qu’on aime : c’est le couple, la famille qui en pâtit, et je me dis que c’est tellement facile de sacrifier les autres. C’est quand-même cher payé pour notre bonne conscience.
Ces deux pierres étant posées, je peux parler des œuvres de la foi. Souvent, quand on demande aux gens ce que c’est que la foi, ils répondent avec des phrases très spirituelles : la foi, c’est croire en Dieu, c’est lui faire confiance. La foi c’est d’aller au culte le dimanche, c’est d’enseigner la Bible. La foi, c’est de chanter ses louanges, c’est de prier avec la communauté de frères et de sœurs. Et ces réponses sont justes. Parfois on entend aussi que la foi, c’est donner de son argent pour répondre aux besoins de l’Église, de la paroisse. C’est vrai aussi. Mais ici j’émets juste une petite critique : ces réponses sont centrées sur une conception du culte qui est fausse. C’est le culte conçu uniquement comme un temps que l’on met à part pour Dieu, ensemble. Un temps qui nous donne l’impression de nous détacher de notre réalité matérielle, terrestre. Quelque chose qui nous fait oublier que nous sommes soumis et soumises à la condition humaine. C’est un culte perçu comme n’englobant pas toute notre réalité. Or, notre Dieu n’est pas le dieu des gnostiques ou le dieu de l’illusion, notre dieu est le Dieu qui englobe toute notre vie, qui nous veut entiers, entières, et qui nous parle de manière holistique : en prenant en compte tout ce que nous sommes. C’est pourquoi la Bible ne sépare jamais le spirituel et le matériel, la prière et l’offrande, le foi et le soin que l’on donne aux personnes malades, isolées et défavorisées. Tout ceci forme le culte de la communauté chrétienne. Un culte véritable, ce n’est pas un truc que l’on fait le dimanche matin. Un culte véritable, c’est une vie placé sous le regard de Dieu. Une vie entière. Il ne s’agit pas uniquement des moments que nous considérons comme spirituels.
Il me semble que c’est là qu’intervient la critique de Jacques. Il s’indigne de ce que certains chrétiens puissent prétendre vivre une vie spirituelle sans que celle-ci aie des répercussions concrètes, notamment des répercussions sociales. Toute sa lettre est truffée de parole très claire, je vous en donne des extraits en vrac : les riches qui ne se préoccupent pas du sort des pauvres ont une foi qui est vaine, il ne faut pas céder à la méchanceté, il faut mettre la parole de Dieu en pratique, la religion pure et authentique c’est de secourir les orphelins et les veuves dans leur détresse et de ce garder de l’influence du monde qui nous salit, il ne faut pas mépriser les pauvres, il faut aimer son prochain comme soi-même, il faut donner aux personnes qui en ont besoin ce qui est nécessaire pour vivre, il faut faire attention à ne pas véhiculer de rumeurs, à bien tenir notre langue pour bénir et non pas maudire, il faut créer la paix autour de nous, etc. Toutes ces choses font, pour Jacques, pleinement partie du culte. Il ne nous encourage pas à rester dans les hauteurs célestes, mais il veut nous voir prendre en mains le concret de nos vies. C’est pourquoi il s’écrie : « montre-moi comment ta foi peut exister sans actes ! » Entendez-moi bien : on peut parfois se consoler en se disant « mais je fais des actes, parce que je suis là tous les dimanche au culte » ou bien en se disant « moi je suis du bon côté, parce que je suis pasteur, alors forcément je m’engage pour la paroisse ». Mais Jacques ici ne nous parle pas de cela. Il nous parle très clairement de l’attitude que nous avons envers les plus pauvres. Et il nous dit : « votre foi ne vaut pas grand-chose si vous ne partagez pas vos biens et votre temps pour celles et ceux qui souffrent de pauvreté ». Littéralement, Jacques nous dit : « la foi, sans les actes, est sans énergie ». Inopérante. Vaine. Inutile.
Et pour illustrer l’aide que nous devons au prochain, comme on dit, la Bible ne manque pas de paraboles et d’exemples concrets, ni de directives. Nous sommes encouragé·e·s à retrousser nos manches et à être une Église qui écoute, qui reçoit, et qui redistribue les dons qu’elle a reçu. Nous sommes appelé·e·s à servir notre prochain, service qui est une constituante indispensable au culte véritable rendu à Dieu. Il y a deux commandements, nous dit Jésus : tu aimeras ton Dieu de tout ton être, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Jésus ajoute que ce deuxième commandement est semblable au premier. Aimer son prochain est indissociable du fait d’aimer Dieu. Si tu n’aimes pas ton prochain, alors c’est que tu n’aimes pas Dieu. C’est un peu radical, c’est vrai. Je précise ici que le verbe aimer ne signifie pas apprécier. Je peux aimer quelqu’un que je n’apprécie pas, parce que le verbe aimer signifie, selon la Bible, venir en aide à celui qui, sans cette aide, pourrait voir sa vie s’écrouler. Aimer son prochain – je vous invite à relire Lévitique 19 – consiste à lui venir en aide. C’est pourquoi Jésus affirme que nous devons aimer nos ennemis. Si aimer voulait dire apprécier, on ne pourrait tout simplement pas aimer nos ennemis. Et si aimer voulait dire avoir des sentiments, alors « aime ton prochain » serait une injonction stupide : je ne peux pas me forcer à avoir des sentiments pour l’autre. Voilà pourquoi à mon sens aimer ici signifie venir en aide à la personne qui en a besoin. Et voilà pourquoi je comprends que le vrai culte se traduit par des actes concrets d’amour envers mon prochain.
Ce service de la communauté chrétienne porte un nom. La diaconie. On l’appelle aussi l’Entraide. Ce service fait pleinement partie de la paroisse, ce n’est pas un accessoire, ni une annexe de la communauté de foi. Pour le dire autrement : l’Entraide est l’expression de l’action sociale de la paroisse. Il y a les actes de solidarité que nous pratiquons de notre côté, et il y a ceux que nous faisons ensemble. Tout comme il y a le culte que nous pratiquons de notre côté, dans notre quotidien, et il y a notre rassemblement du dimanche matin. Le service d’Entraide engage toute la paroisse. Et si je paraphrasais Jacques, je dirais : « Mes frères et sœurs, à quoi cela sert-il de dire ‘je vais au culte’, si on ne s’engage pas dans le service de l’Entraide ? » Ce serait comme si vous vous disiez : « je n’ai pas besoin d’aller au culte, puisque je prie dans ma chambre ». Il vous manquerait quelque chose.
Il ne s’agit de chercher à être partout, tout le temps, pour tout faire. Certainement pas. Il s’agit de prendre conscience de ce que nous faisons, et de voir si nous pouvons faire un pas de plus.
Nous sommes dans des temps difficiles. Il m’est insupportable de voir les gens être plus isolés et devenir plus précaires. Et en même temps, nous sommes dans une situation où notre liberté de mouvement les uns vers les autres est très limitée. Nous devons faire preuve de créativité pour continuer de venir en aide aux gens dans les circonstances qui sont les nôtres. La période que nous traversons sonne pour moi comme un appel d’urgence : il est urgent de veiller à ne pas laisser tomber les personnes que nous accompagnons. Il est urgent de soutenir les gens qui prennent soin de ces personnes. Il n’est pas normal que ce service de l’Entraide repose sur une poignée de personnes. Il n’est pas normal que ce service ne soit pas porté par un nombre plus grand de personnes.
Je vous invite à prendre le temps de réfléchir à ce que vous pourriez faire pour soutenir la main de votre paroisse, quelle que soit votre confession. Je dis la main, parce que c’est la main qui se tend, la main qui donne et la main qui œuvre pour participer, à la mesure de nos moyens, à rendre ce monde un peu plus doux pour les personnes qui vivent mal leur condition sociale. Et ceci, afin que votre foi soit le reflet de la grâce que vous avez reçue.
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Comments (1)
Jean-Michel Ulmann
16 novembre 2020 at 14:25
Merci Lionel pour cette prédication forte, éclairante et stimulante.
Fraternellement
jmu