Amazing Grace, ou l’essence de la foi

9 novembre 2020Lionel Thébaud

Nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce.
Jean 1.16



Est-ce que vous connaissez l’auteur du Monde de Narnia ?



Clive Staples Lewis était un écrivain qui enseignait à l’université d’Oxford. Accessoirement, c’était un anglican qui a beaucoup écrit sur la foi chrétienne. J’ai déjà écrit ici un article sur l’un de ses livres, A Grief Observed, traduit en français sous le titre Apprendre la mort. Ma petite histoire se passe donc en Grande Bretagne. Des experts venus du monde entier se réunissent lors d’une conférence sur les religions comparées. Et on se demande : qu’est-ce qui fait la spécificité de la foi chrétienne ? Certains disent : l’incarnation, c’est-à-dire l’idée qu’un dieu s’incarne dans un être humain. Mais d’autres religions ont d’autres versions de dieux qui apparaissent sous forme humaine. D’autres proposent : la résurrection, c’est-à-dire qu’une personne meure, puis revienne à la vie. Mais il y a d’autres religions qui ont des récits de gens qui reviennent de la mort. Et ils discutent, et discutent, et ils ne trouvent pas. C. S. Lewis entre dans la salle et demande : « à propos de quoi est-ce que vous vous chamaillez ? » Alors on lui explique qu’on est en train de chercher ce qu’il y a de vraiment particulier au christianisme. Quelle est donc sa contribution unique face aux religions du monde ? Et Lewis dit : « oh ben c’est facile, c’est la grâce ! »

Après avoir beaucoup discuté, les participants trouvèrent que Lewis avait visé juste. La notion de l’amour de Dieu donné gratuitement, sans conditions, semble aller à l’encontre de tous les instincts humains. La voie des Bouddhistes, le karma des Hindous, l’alliance des Juifs, et le code de loi des Musulmans offrent un chemin à suivre pour être approuvés. Seul le christianisme ose affirmer que l’amour de Dieu est inconditionnel. Notre monde résiste sans cesse à la grâce. J’irai même jusqu’à dire que nous avons beaucoup de mal à comprendre ce que c’est que la grâce. Dans nos Églises, nous proclamons chaque dimanche la grâce et la paix, mais que savons-nous de la grâce, de sa dynamique et de ce qu’elle apporte dans nos relations ? Pas grand-chose, je crois. Nous n’en savons pas grand-chose.

Jésus, lui, était conscient de notre résistance naturelle à la grâce. C’est pour ça qu’il n’arrêtait pas de parler de la grâce, en décrivant le monde immergé dans la grâce de Dieu : le soleil brille pour tout le monde, que l’on soit bon ou mauvais. Les oiseaux, qui n’ont pas semé ou moissonné, ramassent les grains pour se nourrir. Les fleurs des champs ont des vêtements plus beaux que ceux du roi Salomon, alors qu’elles ne font rien. Dieu permet que même ceux qui déméritent aient accès à la grâce. En langage contemporain ça veut dire que Dieu est laxiste… Qu’il encourage l’oisiveté… Qu’il est « mou »… C’est ça : on estime que la grâce ce n’est pas assez viril, que c’est trop tendre, et notre monde est dur, il faut s’endurcir pour survivre. Jésus, lui, voyait la grâce qui l’entourait. Partout. Il voyait un monde qui passait à-côté de ce qui faisait l’essence de la Création. Un monde qui refusait la grâce. Jésus n’a pas défini la grâce (s’il ne la définit pas, c’est peut-être parce qu’elle est infinie !), et il n’en utilisa peut-être même jamais le mot. Mais il a évoqué la grâce dans ses paraboles, et dans ses actes. Il a communiqué la grâce dans les promesses que Dieu nous fait.

Alors nous, nous avons l’habitude des promesses que l’on nous fait. Nous avons aussi l’habitude des promesses que nous faisons. Bien souvent, nos promesses ne sont pas tenues. Parce que si nous promettons de bon cœur, les circonstances neutralisent souvent nos paroles. Nous faisons tous nos efforts pour tenir nos promesses, j’en suis persuadé, mais rien n’y fait : accomplir une promesse faite à quelqu’un c’est souvent trahir une promesse faite à quelqu’un d’autre. Tout ceci est bien compliqué. Et puis bien souvent nos promesses sont liées par des exigences : si tu fais ceci, tu auras cela. Parfois même ces exigences ne sont pas explicites : on découvre après coup que nous avons des dettes qui nous lient, et nous ne savons pas pour combien de temps. Nous nous retrouvons dans la situation des petits martiens dans Toy Story :



Nous nous sentons piégés. Mais il n’y a pas de piège dans les histoires de grâce racontées par Jésus. Pas de condition qui nous rende inaptes à recevoir l’amour de Dieu.

Nous avons en tête une image de Dieu qui ne correspond pas à ce que la Bible nous dit de lui, parce que nous focalisons bien souvent sur ce que nous attendons de Dieu, plutôt que sur qui il dit qu’il est. Nous voyons souvent un Dieu qui pardonne à contre-cœur, un dieu qui aurait bien voulu nous exterminer mais qui se retrouve pris dans un conflit de loyauté et qui accepte au final de suspendre sa punition. Un dieu qui préfère la crainte et le respect à l’amour. Mais Jésus nous présente un père qui s’humilie publiquement en se précipitant pour embrasser cet enfant qui a dilapidé la moitié de la fortune familiale. Ce qui arrête la grâce, ce n’est pas la réticence de Dieu, mais la notre. Les bras de Dieu sont toujours ouverts, c’est nous qui lui tournons le dos. Et nous ne nous contentons pas de lui tourner le dos, mais nous incitons les autres à faire pareil. En cela nous sommes des assassins.

En effet, combien de fois je me surprends à tuer la liberté, la spontanéité, la créativité et la joie. Il m’arrive de tuer par mes mots, par ma plume, par mes regards, par mes attitudes et par ma conduite. Aujourd’hui, autour de nous, combien de personnes vivent dans la honte, la crainte et l’intimidation ? Elles ont réussi à se persuader que c’est comme ça qu’elles devraient vivre, car si elles ne ressentaient pas de la honte, ce serait pour elles un signe d’orgueil. Ces personnes n’ont pas été touchées par une vérité capable de les libérer. Et moi, par mes attitudes, je peux renforcer ou diminuer ce sentiment qui leur colle à la peau. Ces personnes sont des condamné·e·s à mort au lieu d’être des personnes qui jouissent de la fraîcheur de la vie abondante à laquelle Jésus-Christ nous invite. La grâce leur fait défaut. La grâce nous fait défaut. Il est temps pour nous de réveiller et de libérer la grâce qui nous a été donnée. Cessons de la rejeter. Savourons-là et laissons-là rejaillir sur les autres. Les personnes qui aiment discuter des doctrines et des choses théologiques préfèrent se demander « comment avons-nous reçu la grâce » au lieu de se dire « nous l’avons reçue, vivons-là » ! Or, nous dit Jean, « de sa plénitude, tous et toutes, nous avons reçu grâce sur grâce ». A la limite, nous n’avons même pas à nous demander quand ou comment : nous l’avons déjà reçue. Point. Vous avez reçu grâce sur grâce.

Nous nous sentons parfois prisonniers, prisonnières de soucis sans importance et de suspicion à l’égard d’autrui. Nous vivotons dans une servitude qui ne nous permet de voir que les exigences de la vie. Au final, notre dieu est trop petit, notre monde trop rigide, et nous finissons par refuser toutes les bonnes choses qui nous viennent de Dieu – ou des autres. Mais objectivement, sans rien nier des difficultés de la vie, je ne vois pas ce qui aurait la puissance de nous changer de l’intérieur de manière aussi forte que la liberté qui découle de la grâce de Dieu. Cette grâce est si merveilleuse qu’elle a le pouvoir de changer mon cœur.

L’Évangile de Jean dit de Jésus qu’il était plein de grâce et de vérité. Plein de grâce, et plein de vérité. Et de ce plein, de cette plénitude, nous avons reçu grâce sur grâce. Je trouve qu’il y a là quelque chose d’intéressant et de stimulant pour que nous puissions vivre notre foi chrétienne. Plénitude, d’abord. Le terme veut dire l’accomplissement, le remplissage, le développement parvenu à sa perfection, à son achèvement. J’entends ici que Jésus a présenté la dynamique de la grâce de la manière la plus achevée qu’il soit. Et ce que l’on traduit à juste titre par grâce, signifie la bonté, la faveur, le don, la bénédiction. C’est de ce mot que vient le mot « charisme ». Ce que j’entends, c’est que l’influence de Jésus-Christ nous permet d’agir dans une grande bienveillance, dans une grande bonté. Ce que j’entends, c’est que cette capacité nous est donnée, et que c’est cette grâce qui nous transforme de l’intérieur. Et Jean poursuit en disant : la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. La question qui se pose, c’est : dans nos relations, sommes-nous animé·e·s par la Loi, ou par la grâce ?

En bons protestants – et en bonnes protestantes – nous savons, ou plutôt nous croyons que si la foi nous anime et nous permet de nous savoir accepté·e·s par Dieu, la loi est nécessaire pour que nous puissions vivre ensemble. Une société sans loi, ce serait le chaos. Mais pour la communauté chrétienne, la loi – qui est toujours le fruit de décisions collectives – doit être imprégnée de la grâce. C’est la grâce qui détermine, dans le paradigme chrétien, ce que doit être la loi, ce n’est pas la morale ou la bien-pensance. Si nous sommes obsédé·e·s par le devoir, par la conduite extérieure et par la question de ce qui est bien ou de ce qui est mal à nos yeux (le bien et le mal se concentrent surtout sur ce que font les autres, vous l’aurez remarqué par vous-mêmes), alors nous érigeons un système qui ne laisse plus de place à la joie et à la liberté que nous sommes supposés trouver en Christ. Ce système met en place une dynamique de jugement, et nous en venons à soigner les apparences aux dépens de l’authenticité qui est attendue de nous, et que nous attendons de nos frères et de nos sœurs. Mais quand nous avons été touché·e·s par la grâce, alors nous avons commencé d’expérimenter la liberté. L’esclavage terrible auquel nous soumettait notre sentiment de culpabilité a cédé la place à un désir nouveau : celui de suivre Jésus en Vérité, avec un dévouement sincère et joyeux. Au lieu de se concentrer sur les œuvres de la chair, c’est-à-dire de l’obéissance sèche, Jésus a souligné l’importance du cœur, il a mis l’accent sur la foi, même lorsqu’elle est toute petite. La foi chrétienne, ce n’est pas une religion aride, c’est bien une relation inspirée par la grâce qui libère.

Témoigner de la grâce, c’est accorder une faveur ou un bienfait à quelqu’un qui ne le mérite pas, qui peut-être même démérite, et qui de toute façon ne pourrait jamais le mériter. J’ajoute que la grâce est absolument et totalement gratuite. Nul de nous ne demandera jamais de la rembourser. Tout simplement parce que c’est impossible. Alors pourquoi je vous parle de la grâce ? A quoi ça sert ? Quel est mon projet secret ? Est-ce que j’ai un plan diabolique pour sauver le monde ?



Je me dis que mieux comprendre la dynamique de la grâce peut nous apporter quelques bienfaits pratiques. D’abord, mieux comprendre la dynamique de la grâce nous permettra de mieux apprécier les avantages que Dieu nous accorde et accorde aux autres. Ensuite, nous perdrons moins de temps et d’énergie à nous soucier des choix des autres et à les critiquer. Mais pour ça, nous devons réaliser que nous avons tous et toutes reçu, de sa plénitude, grâce sur grâce. Et voici que ce mot de la fin nous laisse sur notre faim. Puissions-nous avoir toujours faim de la grâce qui nous vient de Dieu, et puissions-nous expérimenter, dans notre quotidien, le bonheur de recevoir et de distribuer la grâce.


Comments (1)

  • Jean-Michel Ulmann

    9 novembre 2020 at 17:13

    Bonjour Lionel et merci de ces libres propos sur la Grâce; il m’ont réjoui. Par les temps qui courent c’est un cadeau tonique. Un don que Je me fais un plaisir de le partager avec les proches lointains et qui rapproche les lointains.
    La Bible ne demande pas de croire en Dieu, elle demande de « marcher humblement avec » (Michée 6; 8).

    Amitiés
    jmu

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