Avoir peur
Il y a eu le baptême de Jésus au Jourdain et son séjour dans le désert, avec l’épisode de la tentation par le diable. Dans l’épisode de Matthieu 4, versets 12 à 22, on nous montre que Jean ne peut plus prêcher, puisqu’il est enfermé, et que Jésus prend la relève en quittant sa maison familiale, à Nazareth. Il arrive en Galilée pour commencer son ministère. C’est dans ce cadre que nous allons aborder la question de la peur, d’avoir peur.
Oui, Jésus prend la relève. Souvenez-vous que Jean le baptiseur est décrit comme un précurseur. « Il faut que le messie croisse et que je diminue » avait-il déclaré. Ben voilà, les temps sont accomplis. Laisse la place au Messie maintenant.
Le danger est concret
Déjà, là, on voit que laisser de la place au messie ça peut être douloureux. Je crois que personne n’a vraiment envie d’aller en prison. Mais Jean a-t-il eu le choix ? Il fallait qu’il laisse la place.
Et au fond, vous savez comment Jean a fini : décapité.
Il y a un thème très fort dans la Bible que nous avons tendance à évacuer un peu vite : l’évangile, et le fait d’être disciple de Jésus, ce n’est pas la prospérité et la réussite sociale. Ce n’est pas la vie « cui-cui-les-p’tits-zoizos ».
Quand on se met à vouloir faire la volonté de Dieu, ça a un coût. Ça peut même coûter cher.
Et quand je regarde ce que sont les chrétiens, aujourd’hui, quand je regarde ce que je vis, moi, en tant que pasteur, je me demande quel rapport ma vie peut avoir avec les premières communautés chrétiennes. Je me demande où est la ferveur ? Où est la passion ? Où est la prise de risque ?
Ma foi est orientée vers plus de confort personnel. Tout ce qui vient me mettre en danger, je le fuis. Je construis des barricades pour ne surtout pas être gratté ou dérangé dans ce qui me fait du bien.
Je me rappelle de ce mot de Bernard Charbonneau : « Le confort, c’est le début du conformisme ». Il faudrait étudier ce que ça veut vraiment dire, mais je le prends comme une phrase qui vient me réveiller, et en écho j’entends l’apôtre Paul qui dit : « Ne vous conformez pas au siècle présent ».
Qu’est-ce que j’ai perdu en cours de route ? Comment ai-je pu m’éloigner comme ça de la foi ?
Une vieille prophétie
Au début de son ministère, donc, Jésus prêche en citant le livre d’Esaïe : « Terre de Zabulon, terre de Nephtali, en direction de la mer, de l’autre côté du Jourdain, Galilée, région des étrangers ! Le peuple qui vit dans l’obscurité verra une grande lumière ! Pour ceux qui vivent dans le sombre pays de la mort, la lumière se lèvera ! »
Et il clame à qui veut l’entendre : « Changez de vie, car le royaume des cieux est tout proche ! »
En fait, c’est bien une citation d’Ésaïe, mais elle ne correspond pas exactement au texte que nous avons dans nos Bibles. Les traductions ne le montrent pas très bien, mais Matthieu dit littéralement : « Le peuple qui est assis dans les ténèbres », et non « le peuple qui vit dans l’obscurité ». La nuance, en hébreu, est de taille, puisqu’elle fait allusion à l’état spirituel des juifs à qui il s’adresse à ce moment-là.
Voici quel est l’état spirituel de ces Juifs : ils sont enfermés dans la peur.
La peur, justement
La peur est ambiguë.
D’un côté, elle nous aide à faire face à un danger soudain. La peur nous permet de ressentir une alerte et elle nous permet de mobiliser notre énergie pour échapper au danger. Ça, c’est le bon côté de la peur : elle peut m’aider à me défendre ou à fuir.
D’un autre côté, la peur vient nous paralyser là où il faudrait nous mettre en mouvement. Quand la peur n’est pas liée à un danger immédiat, mais à un risque ou un malheur qui prend son temps pour survenir, comme la santé, la carrière, la famille, les études, le climat, la politique, toutes ces choses que l’on a peur de perdre… la peur du manque, aussi, la violence des autres, etc. Cette peur-là est souvent accompagnée d’un sentiment d’impuissance devant la vulnérabilité et la fragilité de tout ce à quoi l’on tient.
Comment réagissons-nous devant la peur ? La plupart du temps, par le déni, la paralysie et l’anesthésie.
Le déni
Le déni, qui dit : « En vrai, il n’y a aucun danger ».
Là, à l’époque de Jésus, c’est : « Les occupants romains ne vont pas nous faire du mal. Non, ils ne mettent pas notre histoire et notre culture en danger. Ils n’ont absolument rien à voir avec les Assyriens qui nous ont emmené en exil et qui ont détruit notre culture. Rien à voir avec les Babyloniens qui nous ont emmené en exil et ont détruit notre culture. Non, ils n’ont pas organisé la politique de notre pays pour rendre légales l’humiliation et l’oppression de notre peuple. Ils ne sont pas dangereux. En Palestine, à notre époque, ils ne peuvent pas refaire ce que le pouvoir politique a fait dans le passé. »
Le déni, qui dit que l’ennemi n’est pas dangereux.
Il y a, chez des Juifs du temps de Jésus, des gens qui n’avaient pas peur du bruit des bottes. Des gens qui étaient persuadés que les Romains, avec leurs lois, leur sens de l’ordre et de la hiérarchie, offriraient une belle opportunité à tous les Juifs qui sauraient en profiter. Le déni.
La paralysie
La paralysie, qui dit : « On ne peut rien faire, de toute façon la machine est en route, c’est comme ça et c’est pas moi qui vais pouvoir changer quelque chose. Je ne suis qu’une goutte d’eau. De toute façon, c’est foutu, tout est perdu d’avance ».
On a là tous ces Juifs du temps de Jésus qui ont baissé les bras, qui se font humilier, battre, tuer, sans réagir, parce que toute réaction est vaine.
Il leur reste de l’espoir, à ces gens-là, mais l’espoir, vous savez ce que c’est. L’espoir ce n’est pas l’espérance, l’espoir c’est quand on se dit « ça va changer ». Ça va changer, c’est-à-dire le changement viendra tout seul, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Ce que je peux faire n’a aucune importance, et de toute façon je ne peux rien faire. Donc j’attends.
L’espoir, c’est l’attente passive, immobile. D’ailleurs, en espagnol, esperar veut dire « attendre ». La paralysie.
L’anesthésie
Et l’anesthésie, qui dit : « Ce qui se passe ne me fait plus rien. La douleur a été trop grande et trop difficile à gérer, alors au fond, je m’échappe et je n’ai plus mal. » C’est l’attitude, au fond, de ces Juifs, au temps de Jésus, qui détournaient les yeux quand un des leurs se faisait crucifier.
L’anesthésie, c’est aussi quand on se réfugie dans l’alcool, les drogues, le travail, la surconsommation, les écrans, etc. Tout ce qui nous détourne du réel.
Jacques Ellul disait que « se divertir » était l’exact opposé de « se convertir ».
L’anesthésie, au fond, augmente nos souffrances, parce qu’elle s’accompagne d’un sentiment de honte qui peu à peu vient prendre toute la place.
Se relever et marcher
Voilà ce que fait la peur : elle nous assoit dans les ténèbres. Mais la prophétie dit : « Le peuple qui est assis dans les ténèbres verra une grande lumière ! Pour ceux qui vivent dans le sombre pays de la mort, la lumière se lèvera ! »
Et on entend Jésus qui appelle : « Changez de vie, changez de comportement – ce qui veut dire la même chose que « repentez-vous » ou « convertissez-vous » – changez de vie car le Royaume des cieux est tout proche ! »
C’est là que Jésus va voir des gens.
Il va voir Simon, surnommé Pierre. Il va voir le frère de Simon, qui s’appelle André. Et il va voir deux autres frères, Jacques et Jean. Ces gens sont des travailleurs. Ils pêchent le poisson. Et Jésus leur dit « Venez à ma suite et ce sont des êtres humains que vous pécherez ».
Il les invite à faire communauté et à étendre cette communauté à d’autres personnes, des inconnus qui seront unis. Il les invite à vivre d’une autre manière que ce que le monde leur offre. A vivre concrètement le royaume de Dieu.
Se tenir debout face à ce qui fait peur
Le royaume de Dieu, ce n’est pas le paradis. Ce n’est pas une vie sans ombre et sans nuage. Une vie sans pluie et sans tempête. Le royaume de Dieu, c’est la promesse d’une vie meilleure et plus juste. « Le royaume de Dieu, c’est la paix, la justice et la joie, par le Saint-Esprit », nous dit Paul.
La dynamique du royaume de Dieu, c’est de chercher à établir la paix là où il y a la division. C’est de chercher à établir la justice là où il y a l’oppression. C’est de chercher à établir la joie là où il y a la douleur.
Le royaume de Dieu, ce n’est pas un truc qu’il faudrait attendre, mais c’est un truc que nous avons à mettre en œuvre. Ce n’est pas de l’espoir, c’est de l’espérance.
Et devant les dangers qui se profilent pour ces Juifs de Galilée, devant ces systèmes politiques qui semblent se fermer et n’offrir aucune alternative, devant les catastrophes à venir que ces Juifs pressentent – ils savent que la fin du monde est proche, ils savent que la fin d’un monde est proche – devant cette peur qui les prend au ventre, Jésus leur offre de construire une communauté.
Être ensemble
Une communauté où tous les membres seront frères et sœurs. Où on pourra se faire confiance, avec bienveillance.
Une communauté où chacun, chacune, pourra parler de ses peurs sans crainte d’être jugé ou moqué. Où ce que l’on ressent sera entendu et traversé ensemble, dans l’amour et dans la prière.
Une communauté où, une fois que nos peurs seront dépassées par cette attitude de confiance en l’autre, chacun et chacune pourra être rempli d’une confiance en Dieu. Cette confiance en Dieu lui permettra de passer à l’action, pour chercher à vivre et à établir le royaume de Dieu.
Une fois cet amour reçu concrètement, chacun et chacune pourra témoigner de cet amour de manière concrète en venant en aide à celles et ceux qui ont peur. En cherchant à éliminer la peur du monde. Et à apporter un peu de lumière.
C’est fini de nier que nous avons peur.
C’est fini d’être paralysé et de baisser les bras.
Fini de fuir dans le divertissement que nous apporte le confort.
Maintenant, nous nous convertissons. Maintenant, nous laissons nos filets, nous laissons notre barque et nous laissons notre père, et nous suivons Jésus. Voilà ce qu’ont fait ces disciples, Pierre, André, Jacques et Jean. Ils ont été véritablement disciples, parce qu’ils ont quitté leur état de peur pour se mettre en état de foi, dans la confiance qu’avec le Christ, ils allaient pouvoir changer le monde.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, si tu entends ce message, comprends qu’il ne s’agit pas juste d’une belle histoire que le pasteur raconte à ses ouailles comme un papa ou une maman raconte une histoire à son enfant pour qu’il s’endorme.
Pas du tout.
J’ai fini mon long discours et je me dis : qu’est-ce que j’ai perdu en cours de route ? Comment ai-je pu m’éloigner comme ça de la foi ?
Et j’ai envie de me réveiller, de me sortir de ma torpeur. Je ne veux plus être assis dans les ténèbres.
Je veux vivre cette communauté de foi qui prend sa vie en main et qui arrête d’espérer, qui arrête d’attendre que le monde change, mais qui prend sa vie en mains et qui s’engage pour changer le monde.
J’ai le désir de faire partie d’une communauté spirituelle qui se lève et qui voit la grande lumière. Parce que le royaume des cieux est tout proche !
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