Désert du Neguev, Israël. Jésus est emmené en Esprit dans le désert

Les trois tentations de Jésus

24 mars 2022Lionel Thébaud

Nous prions : « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Mais savez-vous que Jésus a traversé trois grandes tentations ?

Jésus est emmené au désert et il est tenté par le diable. Je présente ici le récit tel qu’il est raconté dans l’Évangile selon Luc, pour bien saisir la dynamique de notre texte, qui retrace le ministère de Jésus : Luc commence au désert, poursuit en Judée et finit à Jérusalem avec la mention du temple.

Jésus est donc rempli de l’Esprit Saint, et ça, ça fait référence au baptême qu’il vient de recevoir. En grec, on lit : « Jésus, rempli de l’Esprit saint, revint du Jourdain et fut conduit dans l’Esprit dans le désert. »

Des tentations dans l’Esprit

Nos traductions donnent « il fut conduit par l’Esprit », qui est bien sûr une traduction possible. Mais remarquez qui si je dis que j’ai été conduit dans l’Esprit au désert, on entend plutôt une sorte de voyage spirituel, comme un rêve ou un songe. Nos traductions effacent cette possibilité, que je trouve, personnellement, intéressante.

Ça me rappelle toutes ces situations où je m’imagine me disputer avec quelqu’un, et où je cherche une solution pour répondre aux arguments qu’on m’avance. Vous avez des dialogues intérieurs de ce type, vous aussi ? C’est comme ça que je vois l’épisode de la tentation de Jésus, et franchement, le coup du « viens là que je te mette sur le toit du temple » semble bien me donner raison : tout ceci se passe dans la tête de Jésus. Pas dans le réel.

Jésus dans le désert

Pour Luc, donc, Jésus entend la voix du diable dans le désert.

Le désert, c’est le lieu où l’être humain peut faire des expériences spirituelles fortes. Jésus y jeûne pendant 40 jours, nombre qui convoque un imaginaire bien précis : 40 ans dans le désert pour le peuple hébreu, Moïse qui monte sur le Sinaï pendant 40 jours et 40 nuits en jeûnant, les 40 jours de réflexion donnés par Dieu à Ninive à l’époque du prophète Jonas… 40 étant le nombre de l’épreuve qui précède la révélation de Dieu.

Luc sait quels sont les symboles qu’il convoque.

Jésus est donc mené au désert pour y être mis à l’épreuve. D’autres utilisent ici le mot « tentation ». Dans le judaïsme ancien, l’obéissance du peuple est continuellement menacée par la tentation. Je sens transpirer le Notre Père ici : ne nous laisse pas entrer en tentation.

Et puis le peuple de Dieu est aussi constamment tenté – c’est le cas de le dire – de tenter Dieu. « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». La tentation n’a pas grand-chose à voir avec une faute morale : Dieu a confié une mission à Jésus, et Jésus doit rester fidèle à cette mission.

Ici le diable n’est pas celui qui fait douter Jésus de sa mission, mais c’est celui qui vient essayer de pervertir l’appel que Dieu lui a donné.

Tentation, tentateur… Luc l’appelle le diabolos, et ça veut dire « celui qui divise, qui accuse, qui calomnie ».

.

Force est de constater que le personnage que Jésus imagine cherche à diviser, séparer Jésus de Dieu, en le tentant de plusieurs manières. Examinons ces manières une par une. Il y en a trois.

Jésus a faim

Jésus a faim. Normal, après un long jeûne. Le diable lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de se changer en pain ». Et Jésus répond : « L’être humain ne vivra pas de pain seulement ». C’est une citation de Deutéronome 8.2-5.

Ce qui est drôle, quand-même, parce qu’en Deutéronome ce n’est pas le diable qui tente le peuple, mais c’est Dieu. Passons.

Un homme a faim. Son jeûne est terminé. Il a la possibilité de changer une pierre en pain. Où est le mal ?

Si on le prend à la lettre, ce récit peut nous apparaître stupide. J’ai faim, je mange, point. Mais si on prend le temps de réfléchir au sens, c’est la notion de besoin qui est questionnée. Il y a des besoins légitimes et des besoins illégitimes. Et si Jésus ne répond pas tout de suite à son besoin de manger, s’il ne change pas la pierre en pain pour se nourrir, c’est peut-être parce que la question n’est pas aussi simple qu’on voudrait le croire.

Notre société entière a pour objectif la satisfaction des besoins. C’est l’idéologie de base de notre société de consommation. Au point de créer chaque jour de nouveaux besoins, dont l’absence de satisfaction est pénible, presque insupportable.

La tentation du pain, c’est peut-être bien la tentation économique, qui est une spirale dans laquelle toute notre société est happée. Jésus ne met pas le pied dans cette spirale. Il pose une pierre, une autre pierre que celle qui a été proposée par le diable. Une pierre sur laquelle il va construire sa mission : « L’être humain ne vivra pas de pain seulement. »

La faim de pain est indiscutable. Mais il y a une faim spirituelle que nos orgies de consommation viennent anesthésier. Luc ici nous rappelle que nous devons garder la flamme, et qu’une certaine forme de sobriété nous permet de ne pas nous avachir dans un pseudo confort qui viendrait anéantir notre désir spirituel.

S’il faut produire et partager ce qui est indispensable à la vie des êtres humains, il ne faut pas que nous nous laissions embarquer dans l’oubli de la nourriture qui nous vient de Dieu. Nous ne sommes pas que des corps. Nous ne sommes pas que des comptes en banque.

« A quoi bon gagner le monde entier, si on se perd soi-même ou si on va à sa perte » lit-on en Luc 9. Dans la manière dont nous répondons à nos besoins, et dans la manière dont nous répondons aux besoins des autres, n’oublions pas que Dieu est la source de notre être, et que nous avons soif d’entendre sa parole. Et s’il faut que nous prenions le temps d’examiner quels sont nos besoins, prenons ce temps. S’il faut que nous nous abstenions pour un temps de consommer ceci ou cela, abstenons-nous. Le temps de remettre nos priorités intérieures dans le bon ordre.

Toujours plus haut…

Le diable emmène Jésus plus haut. Les autres évangiles évoquent une montagne, mais Luc semble suggérer le voyage de Jésus de Galilée en Judée (on dit qu’on monte à Jérusalem, par exemple). Là, le diable lui montre tous les royaumes de la terre.

Il lui dit : « Je te donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes : tout cela m’a été remis et je peux le donner à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi, tout sera à toi. »

Wow.

Luc est en train de nous dire que le pouvoir politique, dans tous les royaumes, que la gloire des nations, tout ceci appartient au diable.

Impossible, me direz-vous ! Pourtant Jésus ne le contredit pas. Il aurait pu dire : « Dieu est un grand roi dont tous les peuples redoutent la puissance, il est le Seigneur de l’univers », comme l’écrit le prophète Malachie (1.14). Ou bien le psaume 47 : « Le roi de toute la terre, c’est Dieu… Il règne sur tous les peuples… il est au-dessus de tout ! » Mais non, Jésus ne nie pas le fait que le diable possède les royaumes de la terre.

Le pouvoir politique n’intéresse pas Jésus, il discerne là un enjeu bien plus grand, bien plus essentiel, et c’est pourquoi il répond : « Adore le Seigneur ton Dieu et ne rends de culte qu’à lui seul » (Dt 6.13).

Luc nous dit que ceux qui détiennent le pouvoir politique l’ont reçu du diable : « je les donne à qui je veux ». Pour nous, cette affirmation est compliquée, parce que nous rêvons d’un pouvoir politique qui soit au service du bien. Nous confondons d’ailleurs souvent espoir et espérance, et nous mettons notre espoir dans des hommes ou des femmes qui vont exercer le pouvoir avec un cœur bien disposé.

Ah ! Si seulement Jésus avait pris le contrôle de la nation ! Comment tout serait différent ! Mettre le pouvoir politique au service de l’Évangile, et s’en servir pour le bien ! C’est ce qu’a fait l’empereur Constantin, et on voit combien le diable s’est régalé dès lors que l’Église a voulu prendre le pouvoir politique.

En fait, la puissance de Dieu ne se prend pas. Elle est une puissance très lente à se mettre en place. Elle ne s’impose pas. Elle ne force pas. Parce que c’est une puissance qui s’exerce dans la faiblesse de l’amour. Elle s’exerce à la croix.

Jésus refuse de prendre le pouvoir, parce qu’il est venu pour servir l’humanité. Pas pour la diriger. Jésus n’a pas failli à sa mission. Et il explique gentiment au diable que s’il prenait ce pouvoir, alors que ce n’est pas la mission que Dieu lui a confiée, ce serait comme s’il adorait le diable plutôt que Dieu.

Luc nous met en garde contre la tentation du pouvoir politique, en nous invitant à ne pas nous faire d’illusions : tel candidat à la présidentielle semble mieux répondre que les autres à mes préoccupations personnelles, mais attention ! Tout candidat est une personne qui veut le pouvoir. Il sera forcément nécessaire, à un moment ou à un autre, de s’opposer à lui au nom de la vérité et de l’amour.

Jésus sur le toit

Alors le diable conduit Jésus à Jérusalem et le place au sommet du temple. Il dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi d’ici en-bas ». Vas-y, montre à tout le monde que tu es l’envoyé de Dieu. Fais un p’tit miracle, pour que tous te voient et croient en toi. Et voilà le diable qui se met à citer la Bible, lui aussi.

Le diable connaît le texte biblique. Il ne suffit pas de dire un verset pour connaître la vérité de Dieu. Combien de fois utilisons-nous la Bible pour justifier nos actes, sans même chercher à comprendre ce que ces textes veulent dire ? En nous appuyant sur la lettre plus que sur l’Esprit ?

Le diable ici se sert de la Bible pour inciter Jésus à se séparer du Père. Prends ton indépendance ! Ne sois plus serviteur, mais ok, si tu ne veux pas le pouvoir politique, prends au moins le pouvoir religieux ! Les gens te suivront !

Dans les récits des évangiles, jamais Jésus ne fait de miracle pour épater la galerie. Jamais un miracle ne sert à convaincre les autres. Toujours, les miracles décrits évoquent une vérité spirituelle forte. La relation entre Dieu et les humains est une relation d’amour et de confiance, et on ne peut y apporter aucune preuve objective !

C’est là que Jésus répond : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », ou, dit autrement : « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». Parole tirée de Deutéronome 6.16.

Autrement dit : « Si je me jetais du haut du temple pour prouver aux gens que je suis bien le Fils de Dieu, je tenterais Dieu ». Je serais en train de le manipuler, parce que je l’obligerai à accomplir les promesses qu’il m’a faites. Or, je préfère placer ma confiance en lui.

Dieu n’est pas un distributeur de bonbons.

Si Jésus sautait, en étant persuadé que Dieu ne le laisserait pas s’écraser, religieux comme nous sommes, nous nous dirions : « mais quelle démonstration de foi ! » C’est souvent comme ça qu’on considère la foi, comme une prise de risque insensée qui démontrerait une confiance démesurée.

Or, Luc dit ici tout le contraire : avoir confiance en dieu, c’est ne pas provoquer les choses. Ne pas forcer. Faire confiance. Laisser Dieu faire, à son rythme, et répondre tranquillement à notre appel.

Luc nous met en garde contre la tentation religieuse, celle qui nous fait croire que nos œuvres sont les preuves de notre foi.

Pour finir…

Trois tentations : économique, politique et religieuse.

3 paroles tirées du livre du Deutéronome pour recadrer la perversion du diable. Une résistance active face à l’injonction diabolique du « tout, tout de suite ».

Et le chemin décrit par ces tentations, qui vont du baptême au désert jusqu’à la Passion à Jérusalem, montre que le cheminement spirituel, celui de la confiance et de l’accomplissement de la mission, prend du temps, et que nous avons besoin de nous défaire des illusions du pouvoir sous toutes ses formes.

En cette période où nous préparons Pâques, je prie pour que nous parvenions à résister aux tentations qui nous sont proposées.

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Article précédent

Un homme tient son bébé dans ses bras, contre son visage. Image d'un père aimant et bienveillant

Lettre lue à L. au moment de son baptême : Dieu nous rend forts

15 mars 2022

Article suivant

Dieu n'aime pas les faux cultes

29 mars 2022