Ne baissons pas les bras !
Au chapitre 17 du livre de l’Exode, Amalek attaque les Hébreux. Devant l’ennemi juré d’Israël, Moïse ne devait pas baisser les bras. J’affirme que nous non plus, aujourd’hui, nous ne baisserons pas les bras !
Les Israélites sont à Réphidim. On est au pied du mont Horeb, qu’on appelle aussi le mont Sinaï, c’est-à-dire qu’on se trouve juste après la révélation de YHWH au peuple d’Israël, et après le don de la loi qui a fait de ces gens rassemblés un seul peuple. Et là, à Réphidim, alors que le tout nouveau peuple d’Israël s’en va tranquillement vers le pays promis par Dieu, les Amalécites arrivent et les attaquent.
Qui sont les Amalécites ?
Selon la Bible, c’est un peuple qui a une généalogie commune avec les Hébreux. En effet, les listes généalogiques que vous trouvez dans Genèse 36 et dans le premier livre des Chroniques, chapitre 1, insèrent Amalec, le père des Amalécites, dans la descendance d’un homme bien connu : Esaü.
Esaü, c’est ce fameux frère jumeau de Jacob, qui a échangé sa dignité et son héritage de fils aîné contre un plat de lentilles. C’est le p’tit gars qui n’avait pas vraiment l’esprit de famille et qui n’a pas eu la faveur de Dieu, contrairement à Jacob.
Paul, dans sa lettre aux Romains, nous explique – en reprenant les prophètes – comment Dieu a aimé Jacob et comment il a détesté Esaü. Nos textes le disent exactement comme ça : « J’ai aimé Jacob et j’ai repoussé Esaü ».
Et puis celui qui a écrit la lettre aux Hébreux dit ceci : « Que personne ne méprise ce qui vient de Dieu, comme Esaü qui, pour un simple repas, vendit son droit de fils aîné. Plus tard, vous le savez, il voulut recevoir la bénédiction de son père, mais il fut repoussé. Il ne trouva aucun moyen de changer la situation, bien qu’il l’ait cherché en pleurant. »
Amalek, une métaphore
Esaü, repoussé par Dieu, a-t-il transmis son amertume à ses enfants ? Il semble en tout cas que Amalec, dans la Bible, était animé du désir de prendre à Israël ce que Dieu avait refusé de donner à Esaü.
Léon Askenazi, un rabbin qui s’est fait connaître après la seconde guerre mondiale et qui est un des grand commentateurs contemporains de la Torah, dit ceci, à propos d’Amalec :
‘Amaleq est (…) l’antagoniste absolu de l’histoire d’Israël et de son identité. Il est beaucoup plus que l’adversaire de la Thora. Cela, toutes les nations du monde l’ont été, à tour de rôle. Elles ont essayé de nous détacher de la Thora, par tous les moyens : violence de la persécution ou séduction de l’assimilation. ‘Amaleq, quant à lui, a pour objectif la destruction du peuple de la Thora. Or, il apparaît à chaque époque de fin d’exil. Ce fut le cas à la sortie d’Égypte. Ce fut aussi le cas à la fin de l’exil de Babylone : le livre d’Esther est tout entier le récit de la tentative de ‘Amaleq d’exterminer les Judéens en Perse avant le retour et la fondation du deuxième royaume de Judée. Et c’est le cas de notre temps, au terme du long exil de deux mille ans qui débute avec Rome.
Léon Askénazi, Leçons sur la Torah
Retenez bien ceci : Amalek c’est celui qui veut la destruction du peuple d’Israël. Ce n’est pas la même chose que l’antisémitisme primaire – bien que celui-ci soit très grave et condamnable, bien évidemment. Amalek a en lui un désir d’extermination. Un désir de génocide. Depuis le début.
C’est en tout cas ce que les rabbins nous disent d’Amalek.
Au siècle dernier…
Au siècle dernier nous avons vu le visage d’Amalek. Il s’est déchaîné en Europe, il a fait des ravages considérables, et lorsque les militaires américains sont venus pour « libérer la France », comme on dit, on a vraiment cru que c’était fini.
On a cru que plus jamais ça, plus jamais jamais on ne verrait des nazis. Comme le texte biblique le dit, on a cru que Amalek avait été exterminé par Dieu et que plus personne ne se souviendrait de lui. On a refusé de voir, on a fermé les yeux, on a dit : n’en parlons plus, nous ne voulons rien entendre de tout ça, nous préférons regarder à ce qu’il y a de meilleur et ne pas voir ce qui se trame sous nos yeux.
Quand un ancien Waffen-SS a fondé le Front National avec Jean-Marie Le Pen, on les a pris pour des rigolos. On a minimisé la chose, et on a dit : « aujourd’hui, il est impossible que les idées nazies se propagent, parce que nous avons compris l’histoire ». Les vociférations de Jean-Marie le Pen étaient dignes d’une marionnette comique dans le bébête-show ou dans les Guignols de l’info.
Et c’est vrai que c’était rigolo.
Et au siècle présent
Les médias ont refusé de voir que ce parti politique a recruté des personnes formées militairement pour assurer son service d’ordre. On a minimisé le mouvement des skinheads racistes et on s’est moqué d’eux quand on les voyait agiter leur bras par nostalgie d’une armée qu’ils n’avaient pas connue.
Puis le parti a appris l’art de la communication. Il a redoré son image. Il s’est fait passer pour un parti qui n’était ni raciste, ni antisémite. Un parti qui a changé de nom et qui adore caresser les petits chats. Un parti sympa, quoi.
La plupart des médias ont volontairement caché les groupes identitaires, violents et casseurs qui servaient de service d’ordre au Rassemblement National. Comment a-t-on pu se laisser prendre au piège ?
Comment nous, chrétiens et chrétiennes, qui nous nourrissons de la lecture de la Bible, qui prenons le temps de la lire, de l’étudier et de la méditer, comment avons-nous pu faire semblant de ne pas voir Amalek ressurgir, après toutes ces années ?
Prendre position ?
Notre responsabilité est grande d’avoir gardé le silence, par peur de porter une parole politique. Par peur de créer du conflit.
Notre vocation de protestants est-elle vraiment de ménager la chèvre et le chou ?
Aujourd’hui, avec les scores que fait le Rassemblement National, ce ne sont plus seulement les groupuscules identitaires et formés au combat qui sont agressifs, c’est les gens comme vous et moi qui se permettent d’agresser les Juifs, les Noirs, les Arabes et les Asiatiques. J’ai failli oublier les homosexuel·le·s. J’ai failli oublier les opposants politiques, les avocats, les journalistes. Et tant d’autres…
La haine se déchaîne et elle s’exprime sans complexes aujourd’hui.
Je cite le journal La Croix : « La Licra, qui reçoit des signalements concernant des actes racistes ou antisémites, fait état d’une augmentation de 65 % depuis le 9 juin. »
Nous devrions ne pas prendre position publiquement ? Vraiment ?
Combattre Amalek
Le Dieu de la Bible n’est pas de cet avis. Moïse dit à Josué : « Choisis des hommes capables de nous défendre et combats les Amalécites. Demain je me tiendrai au sommet de la colline, avec le bâton de Dieu à la main ». Et Josué est parti au combat.
De son côté, Moïse est monté sur la montagne – peut-être est-il remonté sur le mont Horeb, le lieu de la révélation. C’est là que nous devons nous tenir, nous aussi. Toujours avoir les yeux fixés sur la révélation que nous avons reçue.
Moïse était accompagné de Aaron, son frère, le prêtre, et de Hour, dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que lui aussi, comme Aaron, représentera Moïse, parfois. Bref, un homme de confiance.
Ils sont ensemble tous les trois sur la montagne pendant que Josué et son armée est dans la vallée, au combat contre l’ennemi destructeur.
En communauté
Moïse lève le bras, et Josué est le plus fort. Moïse baisse le bras, Amalek est le plus fort. Mais c’est dur pour Moïse de garder les bras levés tout le temps. Ça fait mal et on ne peut pas rester dans cette position pendant des heures.
Alors Aaron et Hour comprennent que Moïse ne doit surtout pas baisser les bras. Il faut faire quelque chose. Il prennent une pierre – il n’y avait pas de coussins moelleux – et ils assoient Moïse sur la pierre. Comme ça, tu te fatigueras moins.
Aaron a pris un bras de Moïse, Hour a pris l’autre bras de Moïse, et ensemble, ils ont soutenu les bras de Moïse. A trois, ce travail était bien moins fatigant que tout seul.
Ils sont restés comme ça jusqu’au coucher du soleil. Et Josué a remporté la victoire sur l’ennemi juré d’Israël.
Le destructeur n’a pas pu remporter le combat car il était face à ce Dieu qui a inventé la communauté spirituelle. L’union de Moïse, de Hour et d’Aaron, c’est une chose, mais il ne faut pas oublier qu’eux-mêmes étaient en union avec Josué et son équipe, au cœur du combat. L’union fait la force, et il faut bien comprendre combien il est important de nous soutenir les uns les autres dans nos luttes.
Après ça, Dieu a demandé à Moïse d’écrire ce récit. Pour qu’on s’en souvienne. Puis Moïse dit : « Le Seigneur sera toujours en guerre contre les Amalécites ».
Du théologique au politique
On me reproche parfois d’avoir des prédications politiques. Mais celles et ceux qui me font ces reproches ont oublié que toute la prédication de Jésus et des prophètes avant lui était politique.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est politique.
Tu accueilleras l’étranger, c’est politique.
C’est politique aussi : Tu donneras aux pauvres, tu combattras les injustices, tu soigneras les malades… tout ça c’est éminemment politique.
Les protestants aiment bien citer Bonhoeffer ou Martin Luther King, mais ils oublient que la parole théologique de ces gens n’aveint de sens qu’à cause de leur combat politique. Si on enlève la politique du message de l’Évangile, il ne reste que les Barbapapa. Ou les Bisounours. Ou les Teletubbies. Ça dépend de vos goûts culturels.
Si on prend au sérieux les paroles qui sont contenues dans la Bible, on ne peut pas rester de marbre face à la marche du monde. On ne peut absolument pas rester neutres.
Un langage clair
Lors des grandes élections, notre Église a répété et répété que voter le Front National (ou le Rassemblement National) était incompatible avec une foi chrétienne bien comprise. Heureusement que notre Église a dit ça.
Mais les paroissiens disent que les pasteurs n’ont pas à donner des consignes de vote ! Un des principes forts du protestantisme c’est la liberté de conscience. Alors je ne vous dirai pas ce que vous devez faire.
Dans la première saison de Game of Thrones, il y a un personnage qui se trouve coincé entre deux options. Soit il respecte son engagement envers le royaume, soit il vient en aide à sa famille. Il ne peut pas faire les deux. Et l’homme qui vient le conseiller lui dit, après l’avoir mis face aux conséquences de ses actes : « je ne peux pas te dire quoi faire. Tu devras faire ce choix tout seul, et il te faudra vivre avec jusqu’à la fin de tes jours ».
Aujourd’hui, on se rend compte que 24 % des protestants ont voté pour l’extrême droite dimanche dernier. 1 protestant sur 4. C’est insensé. Aujourd’hui, des personnes qui sont au service de l’Église protestante – communion luthérienne et réformée – (dont des pasteur·e·s) ont décidé de s’unir autour d’une devise : Princiipis Obsta. Vous en entendrez sûrement parler bientôt.
- Je suis embêté : je ne retrouve pas les chiffres que j’avais glané sur internet. Peut-être suis-je fatigué. Ce que je trouve, là (on est le dimanche 7 juillet 2024), c’est des intentions de vote des protestants pour les Européennes, avec 26% en faveur du RN et 11% en faveur de reconquête, soit 37% des intentions de vote protestant pour l’extrême droite (voir l’enquête, p.6). Mais j’ai perdu mes sources qui indiquaient 24% pour les législatives…
Ne baissons pas les bras !
24 pour cent… C’est énorme.
Nous avons le devoir, en tant que chrétiens et que chrétiennes, de dire et de redire que voter pour l’extrême droite est absolument incompatible avec la foi du Christ.
Il est temps maintenant, de vivre la métaphore du combat contre la puissance spirituelle qui s’appelle Amalek.
Ne prenons pas les fusils et les couteaux. « Nous n’avons pas à lutter contre des êtres humains ; mais nous devons lutter contre les pouvoirs, les autorités, les maîtres de ce monde obscur, contre toutes les puissances spirituelles mauvaises qui sont dans les cieux » nous dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Éphésiens.
Retroussons nos manches. Et surtout, levons nos mains en signe de prière, et prions, parlons, annonçons l’évangile tel que nous l’avons reçu. Prenons au sérieux les paroles de Jésus. Croyons que ses paroles sont esprit et vie. Mettons-les en pratique du mieux que nous pouvons.
Et surtout, surtout, quoi qu’il arrive dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, ne baissons pas les bras.
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