Sola fide
Une des affirmations des Réformateurs, c’est Sola Fide : par la foi seulement.
Dit comme ça, on ne sait pas trop ce que ça veut dire, « la foi seule ». Il est bien sûr ici question du salut, mais ce n’est pas clair : est-ce la foi qui sauve ? Ou bien Dieu qui nous sauve, par sa grâce ? Et si c’est la foi qui sauve, c’est la foi de qui ? La nôtre ? La foi de Jésus-Christ ? Ou la foi des apôtres ?
Devant ces questions, beaucoup d’entre nous sont déjà perdus. Et moi-même, je dois être honnête avec vous, quand je préparais ce texte, je me suis senti comme un bateau qui part à la dérive et qui s’éloigne des côtes qu’il aimerait tant regagner pour pouvoir mettre les pieds en éventail à faire bronzette sous le soleil des Tropiques. Je vais donc vous livrer mes questionnements, mes cheminements, mes paradoxes, et vous devrez faire le tri dans tout ça pour voir ce qui résonne en vous. Mais au fond, est-ce que ce n’est pas ce que je vous recommande à chaque fois que j’écris ou que je parle ?
Avoir la foi
Souvent, on dit qu’avoir la foi, c’est croire. Mais je distingue la foi de la croyance. Pour moi, la croyance c’est ce qui habille la foi. Nos croyances changent au gré de notre compréhension du monde, de nous-mêmes et de Dieu. Mais notre foi, elle, mûrit.
Certaines personnes pensent qu’avoir la foi, c’est adhérer à une doctrine, ou adopter une croyance. Dans ce cas, la foi, c’est le fait de choisir un camp, d’adopter des convictions religieuses. Jésus ne nous dit pas de vivre selon la bonne doctrine. Jésus nous dit de vivre selon l’amour.
Il y a, dans la Bible, un officier romain qui demande à Jésus de guérir son serviteur. Jésus dit à ses disciples : « je n’ai trouvé une telle foi chez personne en Israël ». On trouve aussi le récit d’un aveugle, à qui jésus dit : « ta foi t’a guéri ». Ici, la foi ne désigne pas une croyance quelconque, ni même une affirmation concernant la nature ou la mission de Jésus. La foi, c’est une attitude particulière à l’égard de Dieu. Le Nouveau testament appelle « foi » une relation vivante avec Dieu, un acte de confiance en lui.
La foi est simplement un lien personnel avec Dieu.
Jean Calvin assure que, par la foi, « Jésus-Christ habite en nous ». La foi, dans le protestantisme, est « avant tout une rencontre avec Dieu qui donne naissance à une relation prenante et vivante » (André Gounelle).
Luther dit que la foi « est l’œuvre de Dieu, non de l’homme ». Pour Zwingli, « il n’y a que l’Esprit qui donne la foi ». Et tout le protestantisme le répète inlassablement : vous ne pouvez rien faire pour avoir la foi.
La foi nous est donnée. Nous ne sommes pas à l’initiative de la relation que Dieu établit avec nous par Jésus-Christ.
Sola fide. La foi seule
C’est difficile de séparer sola fide de sola gratia, la grâce seule. Paul écrit : « C’est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés, au moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu ; il n’est pas le résultat de vos efforts. »
Si je comprends bien c’est la grâce de Dieu qui nous sauve, et pour nous sauver, il utilise la foi qu’il nous donne. J’ai une image : la lumière nous est donnée par l’ampoule, par le moyen de l’interrupteur. L’ampoule, c’est la grâce, l’interrupteur, c’est la foi.
Les Réformateurs en déduisaient ceci : si Dieu vous a donné la foi, alors vous êtes sauvés par la grâce. S’il ne vous a pas donné la foi, alors vous n’êtes pas sauvés.
Pour les Réformateurs, donc, personne ne pouvait être sauvé s’il n’avait pas reçu la foi qui vient de Dieu. Mais à l’époque, tout le monde occidental était chrétien, à quelques exceptions près. Je ne sais pas si tout le monde avait la foi, mais tout le monde ou presque confessait que Jésus-Christ était Seigneur. L’accent que les Réformateurs mettaient sur la foi ne portait pas sur le fait de croire en Dieu ou de ne pas croire en Dieu. Il portait sur le fait de faire des œuvres pour essayer de mériter son salut, ou de recevoir le salut par la foi.
Est-ce que fais des œuvres en croyant qu’elles me donneront accès au salut, par mes mérites, ou bien est-ce que je fais confiance à Dieu, en croyant qu’il me donnera accès au salut ? C’était ça, la question théologique des protestants du 16è siècle. Pour Luther, seule la foi rend le pécheur juste devant Dieu. Nous sommes pécheurs, mais nous sommes rendus justes par la foi que Dieu nous donne.
L’oubli de la foi
Les traditions qui se réclament de la Réforme oublient l’apport original de Luther pour se réapproprier les modes de pensée des siècles antérieurs. Le sola fide est majoritairement devenu une confession de foi, au lieu de signifier la relation vivante avec le Christ. Certains mouvements protestants comprennent le sola fide comme étant la décision prise de suivre le Christ.
Pour ces mouvements, la foi est une action de la volonté. Ça conduit à former deux grandes tendances : les églises confessantes, pour qui le baptême marque l’engagement volontaire de la personne dans une vie de foi, et pour qui ceux qui ne confessent pas ainsi leur foi ne sont pas sauvés, et les églises multitudinistes, qui sont soucieuses de bien accueillir des personnes habitées par le doute, pas toujours capables de verbaliser leur expérience de foi, et pas toujours en phase avec l’enseignement de l’Église.
Ces deux tendances – confessante et multitudiniste – ont des points forts et des points faibles. Mais je m’étonne qu’on ait ainsi effacé que l’objet des Réformateur n’était pas tant la question du salut, que la question de la foi et les œuvres.
La foi des Galates
Un dernier questionnement que je vous livre. Dans la lettre de Paul aux Galates (chapitre 2, versets 15 à 21), il y a quelque chose qui me choque. J’ai relevé deux versets : « nous savons que l’être humain est rendu juste uniquement grâce à la foi de Jésus-Christ » (v.16). « Ma vie humaine, actuelle, je la vis dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé et qui a donné sa vie pour moi » (v.20).
Il est question de la foi de qui, dans ces versets ? De ma foi personnelle ? Non, il est question de la foi du Christ.
Paul a l’air ici de dire que ce n’est pas ma foi qui est le véhicule de la grâce, mais la foi du Christ. Et ça, pour moi, ça change tout. Et ça me rappelle un passage de l’évangile selon Marc. Au chapitre 11, au verset 22, Jésus dit : « Ayez une foi de Dieu ». Il ne dit pas, comme on le trouve dans nos traductions : « ayez foi EN Dieu », mais bien « Ayez une foi DE Dieu ».
Selon ce texte biblique, nous explique James Woody, pasteur à Montpellier, il ne s’agit pas de fabriquer une confiance en Dieu, il ne s’agit pas d’élaborer une foi en Dieu qui serait digne d’un chrétien. Cela ne serait pas autre chose qu’une œuvre personnelle qui n’aurait probablement rien à voir avec Dieu. Il s’agit d’avoir une foi de Dieu, c’est-à-dire d’être au bénéfice de la foi de Dieu. Il est question de se laisser gagner par la foi de Dieu, par la confiance de Dieu. D’accueillir Dieu qui a confiance en nous, qui a foi en l’humanité. Dieu a foi en l’humanité, au point qu’il a donné son fils Jésus-Christ afin que nous ayons tous la vie en plénitude.
Sola fide, donc
Voici comment je comprends cette affirmation : seulement par grâce, Dieu sauve tous les êtres humains. Personne ne peut rien y faire, ni ceux qui se sentent sauvés, ni ceux qui se sentent damnés. Dieu sauve. Par grâce. Gratuitement, ce qui veut dire « sans conditions ».
C’est un fait universel, je dirais. Mais Dieu ne distribue pas la foi à tous les êtres humains. Ça veut dire que sur terre, il y a des personnes qui savent qu’elles sont sauvées – parce qu’elles ont reçu la foi qui vient de Dieu, et des personnes qui ne savent pas qu’elles sont sauvées, ou qui n’y croient pas. Parce qu’elles n’ont pas reçu la foi qui vient de Dieu. Ça fait une différence.
La personne qui se sait sauvée par Dieu peut difficilement vivre comme si elle n’était pas sauvée. Lorsque ça arrive – parce que ça arrive, elle agit contre sa conscience. La personne qui ne se sait pas sauvée va vivre dans l’angoisse de son salut, essayant de le gagner en faisant des œuvres. Or, cette personne ne pourra jamais s’assurer que ses œuvres seront suffisantes pour être sauvée, puisque les œuvres ne sauvent pas. Le salut par grâce ne peut être compris que par celles et ceux qui ont reçu la foi.
Si vous n’avez pas cette foi, c’est-à-dire si la relation avec Dieu n’est pas établie en vous, vous n’y pouvez rien, et vous forcer n’y changera rien. Soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas. Vous pouvez la demander dans la prière, bien sûr. Mais notez juste que sans la foi vous ne pouvez de toute façon rien demander à Dieu. Donc s’il vous arrive de prier, c’est peut-être bien que vous avez déjà reçu cette foi, et que vous ne vous en êtes même pas rendu compte…
Sola fide.
En savoir plus sur Chemins Libres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Comments (2)
Nicole
22 février 2024 at 16:02
Encore une magnifique analyse. Merci Lionel. Elle me renvoie aussi à cette réflexion que plusieurs personnes m’ont faite : » comme je t’envie d’avoir la foi, j’aimerais tant l’avoir aussi… » Je réponds souvent d’une pirouette « laisse aller, c’est une valse, si tu te poses la question c’est que tu l’as ! » Et je prie pour qu’elles trouvent la paix en ayant conscience, mais … ?
Lionel Thébaud
22 février 2024 at 18:31
🙂 c’est pas mal, mais tu remarqueras que je n’affirme rien, concernant la foi des autres. Je suggère un questionnement. Car affirmer que les autres sont habités par la foi, ce serait – à mes yeux – forcer leur conscience. Néanmoins, je suis assez proche de ta conclusion !