Statue de la justice en blanc sur fond de ciel bleu.

Pourquoi nous justifier ?

9 janvier 2022Lionel Thébaud

Nous passons beaucoup de temps à nous justifier. Pourquoi ? De quoi avons-nous peur ? De quoi avons-nous honte ? Pour essayer de sortir de cette attitude maladive, passons par la théologie, et regardons ce que c’est que la justification.

D’abord, dans le mot « justification », on entend la notion de justice. Si je vous dis que Dieu justifie, comme par exemple dans « Dieu te justifie », qu’est-ce que ça veut dire ?

Justifier, c’est un mot qu’on utilise dans le vocabulaire juridique. Celui qui justifie, d’abord, c’est le juge. Et le juge, il fait quoi ? Il juge. Et il juge qui ? Une personne qui est accusée. Justifier, c’est déclarer que la personne est juste. Le juge ne la condamne pas. Il abandonne les poursuites judiciaires.

Donc quand la Bible dit que Dieu nous justifie, ça veut dire que Dieu nous déclare justes. Ça a l’air assez simple, comme ça. Mais au fond, depuis 2000 ans que nous ne parvenons pas à y croire et à le vivre… Peut-être faut-il rappeler quelques principes de base !

Un rappel : la lettre de Paul à Tite

Lorsque la bonté de Dieu notre sauveur
et son amour pour l’humanité
ont été révélés,
il nous a sauvés,
non pas parce que nous aurions accompli des actions justes,
mais parce qu’il a eu compassion de nous.
Il nous a sauvés par le bain de la nouvelle naissance
et le renouvellement opéré par l’Esprit saint.
Cet Esprit saint, Dieu l’a en effet répandu avec abondance sur nous
par Jésus Christ notre sauveur ;
il l’a fait pour que,
déclarés justes par sa grâce,
nous devenions héritiers de la vie éternelle que nous espérons

Lettre de Paul à Tite, chapitre 3, versets 4 à 7.

Tite, c’est un proche collaborateur de l’apôtre Paul. Tite semble être un pasteur missionnaire qui doit organiser l’Église de Crète.

Dans cette lettre à Tite, Paul lui dit 3 choses importantes :

1. Tu dois bien organiser l’Église locale, donc choisis bien les anciens (aujourd’hui nous dirions : les conseillers presbytéraux) en fonction de critères sociaux (pertinents pour l’époque). Par exemple il fallait que les anciens aient des enfants qui soient dignes de confiance. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, « dignes de confiance », mais en tout cas, nous aujourd’hui, nous acceptons des conseillers et des conseillères même s’ils n’ont pas d’enfants !

2. Tu es chargé de diffuser un enseignement vrai, fondé sur la grâce de Dieu manifestée à tous en Jésus-Christ.

3. Et voici les attitudes qui découlent de la grâce de Dieu reçue, quand on est conduit par le Saint-Esprit.

Qu’est-ce qu’un « enseignement vrai »?

J’ai à cœur de réfléchir avec toi sur le deuxième point, à savoir l’enseignement vrai.

Si, par antidogmatisme, on refuse l’idée qu’il existe un enseignement vrai, on est tenu d’accepter n’importe quel délire et n’importe quelle interprétation. Or, c’est précisément ce qui met des communautés en feu, surtout lorsque l’enseignement dispensé met l’accent sur la culpabilité et le rejet des autres.

Ce qui me touche dans les trois versets de la lettre de Paul à Tite, c’est la manière dont sont exprimées la grâce et la justification. Tout le package protestant est là, si je puis dire : ce n’est pas à cause de ce que nous avons fait – ou de ce que nous faisons – que nous sommes aimé·e·s de Dieu et que nous sommes sauvé·e·s. C’est à cause de la grâce de Dieu. Il a eu compassion de nous. Nous n’y sommes absolument pour rien.

Tu es sans doute meilleur·e que moi, mais c’est pas grave : nous avons toi et moi accès à la même grâce.

Je précise tout de suite quelque chose qui est souvent mal compris. On entend parfois des théologies qui sont logiques, mais qui sont étranges. On nous dit que c’est parce que nous avons la foi que nous sommes sauvés, par exemple. Que si nous n’avons pas la foi, alors c’est dommage hein, mais la vraie vie ne nous est pas accessible. C’est pratique de séparer, de diviser.

Mais c’est faire de la foi une œuvre.

C’est revenir en arrière, si je puis dire, et c’est annuler la grâce qui nous est offerte par Dieu.

Le texte biblique ne dit pas que c’est notre foi qui nous sauve. Le texte dit que c’est la foi DE Jésus-Christ. Parfois traduit par la foi EN Jésus-Christ. Erreur.

C’est parce que Jésus a eu la foi qu’il a vécu la vie qu’il a vécue, et c’est par SA foi que nous sommes sauvé·e·s. Tu peux si tu le souhaites lire le très bon article que Philippe B. KABONGO-MBAYA a écrit à ce sujet.

Ça, c’est ce que tu trouveras dans la lettre de Paul aux Romains et dans sa lettre aux Galates. A Tite, il dit carrément que nous sommes sauvés par la grâce de Dieu, sans faire mention de la foi. C’est très important.

C’est même le point le plus important de la théologie protestante, et nous n’insisterons jamais assez là-dessus, parce que ça oriente notre manière de voir le monde. Ce sont nos lunettes pour voir le monde autrement et initier un changement radical. Au lieu de regarder aux mérites des gens, nous regardons à l’amour que Dieu a pour eux. Et ça change tout.

Ton comportement m’agace, c’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour te haïr. Tes idées me grattent, mais nous pouvons vivre quelque chose ensemble. Ce que tu représentes à mes yeux a moins de valeur que l’amour de Dieu pour toi. Et puisque Dieu t’aime, alors je décide de t’aimer aussi.

Parce que tout ceci ne dépend pas de ce que tu peux faire ou ne pas faire.

Bien sûr, quand j’aime quelqu’un, je sais lui poser des limites et lui dire ce qui ne va pas. Mais je ne choisis pas qui est mon frère ou qui est ma sœur. Je ne choisis pas qui est digne de mon amour et qui ne l’est pas.

Dieu nous a fait grâce, à tous et à toutes. C’est l’élément – le seul – que je doive prendre en compte.

Imagine que je dise : « je ne suis le pasteur que des personnes qui viennent tous les dimanche au culte ». Quelle image de Dieu je montrerai ? De quel amour serai-je le témoin ?

Je suis pasteur même pour des gens qui ne sont pas de notre paroisse. Et toi, es-tu témoin de l’amour de Dieu juste pour les gens qui te ressemblent ? Juste pour qui a les mêmes opinions que toi ? Non bien sûr. Parce que tu sais que tout le monde est au bénéfice de la grâce de Dieu.

Nous avons été justifié·e·s (rendu·e·s justes)

Nous sommes déclaré·e·s justes par sa grâce. Ça veut dire que nous n’avons pas besoin de chercher à nous justifier : il nous a justifié·e·s. Le boulot est déjà fait.

Je me demande souvent comment nous pouvons être témoins de ça, du fait que nous sommes déjà justifié·e·s.

J’entends souvent ça : « mmmmh je ne te demande pas de venir à la maison parce que je suis très fatigué·e tu sais, en ce moment », ou encore « je ne peux pas venir à telle ou telle réunion parce que mon chien est malade ». Et là, moi, je dois te le redire : tu as été déclaré·e juste.

Tu as été justifié·e.

Tu n’as pas besoin de te justifier.

Objectivement, je n’ai pas besoin de savoir quelles sont tes raisons de faire ou de ne pas faire quelque chose. Je n’exige aucune raison, aucune justification, parce que tu ne me dois rien. Romains 13.8 : « Vous ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres ».

Il est fini le temps où nous devions présenter un mot d’excuse de nos parents (ou de nous-mêmes, quand nous imitions l’écriture de nos parents). Je me réfère ici à cette parole de Jésus : « Si c’est oui, dites “oui”, si c’est non, dites “non”, tout simplement ; ce que l’on dit en plus vient du Mauvais » (Mt 5.37).

Quand nous nous justifions…

Tout ce que l’on dit en plus vient du Mauvais…

Ne cherchons pas à nous justifier et à exagérer ce qui nous pousse, parce que c’est la dynamique du Mauvais. La vie peut être beaucoup plus simple, et nous devons nous regarder comme étant sincères. Je n’ai pas besoin d’imaginer que tu veux te défiler. Je n’ai pas besoin d’imaginer que tu n’est pas honnête. D’ailleurs, je n’ai même pas le temps pour ça. Je sais que tu as une vie en dehors de la paroisse, et je la respecte.

Quand tu t’engages, c’est devant Dieu que tu t’engages. C’est à lui que tu as affaire, et tu sais que lui connaît bien ton cœur. C’est ta conscience qui sera ton juge. Mais ce n’est pas ton frère ou ta sœur.

Donc ce n’est pas nous que tu dois convaincre. Tu n’as pas à te justifier devant nous. Et si jamais tu as envie d’expliquer à quelqu’un en particulier les difficultés que tu traverses, tu vois que ce n’est pas de la justification, ce n’est pas pour te cacher ou pour convaincre, mais c’est parce que tu as besoin que quelqu’un t’écoute. C’est bien différent.

Nous pouvons apprendre ensemble à dire les choses autrement. Par exemple, plutôt que de me dire « je suis désolé mais dimanche prochain je ne serai pas là parce que j’ai aquaponey », je préfère que tu me dises simplement : « dimanche prochain je ne suis pas là ». C’est ok.

Ou que tu ne me dises rien, c’est ok aussi.

Tu n’es pas plus chrétien ou chrétienne parce que tu viens à l’église. Tu ne l’es pas moins si tu n’y viens pas. Si tu viens, c’est parce que ça te fait du bien. Ça ne me regarde pas – même si je suis sûr que ça peut te faire du bien, c’est toi que ça regarde.

Et si tu veux me faire part de ta passion pour l’aquaponey, je serai content d’en discuter avec toi, mais il n’y a à mes yeux aucun lien de conséquence entre ton hobby et le fait de venir au culte.

Tu fais tes choix et tu les assumes, simplement, comme tout adulte d’une part, mais surtout comme une personne qui suit le Christ, libre d’assumer sa vie et consciente d’être au bénéfice de la grâce de Dieu.

Pour moi, être protestant, c’est refuser de s’installer dans la peau de ce petit enfant que nous avons été, et qui devait sans cesse se justifier de ceci ou de cela, quitte à mentir pour se faire aimer.

En Christ, nous n’avons pas besoin de ça. En Christ, nous pouvons être qui nous sommes, sans culpabilité. Parce que nous avons été déclaré·e·s justes.

En début d’article, j’ai proposé de réfléchir ensemble à ce qu’était un enseignement vrai. Paul, dans sa lettre à Tite, dit qu’un enseignement vrai, c’est un enseignement qui se fonde sur la grâce offerte à tous et à toutes par Jésus-Christ.

Et je me suis laissé embarquer dans cette question de justification.

Mais j’avoue que le critère qui me permet de savoir si une théologie est vraie ou non, au regard du message de l’Évangile, c’est justement ça : ce qu’on m’enseigne vise-t-il à me libérer de la culpabilité et de la pression sociale, ou bien vise-t-il à me manipuler pour que je fasse ce qu’on attend de moi ?

Et nous, que devons-nous communiquer autour de nous ? Devons-nous mettre la pression sur les autres, ou devons-nous les aider à assumer leurs choix ? Je renvoie ici à un article sur la remise de dettes..

Tu connais ma position.

Tu n’es pas obligé d’être d’accord. Mais il me semble clair qu’en Christ, c’est cette liberté-là qui est encouragée, et non les chaînes de la culpabilisation.

Aussi, même s’il existe différentes manières de comprendre la justification, grave dans ton cœur que tu as été déclaré·e juste.

Simplement par grâce.

Et si Dieu déclare que tu es juste, qui suis-je, moi, pour te déclarer coupable ? Et les personnes à qui tu parles ont été déclarées justes, tout comme toi.


En savoir plus sur Chemins Libres

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Article précédent

Noël, ou l'extraordinaire devenu banal

27 décembre 2021

Article suivant

Quel était le ministère de Jésus ?

23 janvier 2022