Un enfant se fait gronder parce qu'il a fait une bêtise

Le péché : histoire morale ou relationnelle ?

2 octobre 2022Lionel Thébaud

Mettez la parole de Dieu en pratique :
ne vous contentez pas de l’écouter,
en vous faisant des illusions sur vous-mêmes.
Car toute personne qui écoute la parole,
sans la mettre en pratique,
ressemble à quelqu’un qui se regarde dans un miroir et qui se voit tel qu’il est.
Après s’être regardé, il s’éloigne
et il oublie aussitôt comment il est.
En revanche, la personne qui se penche attentivement sur la Loi parfaite,
celle qui rend libre,
y reste attachée,
elle la met en pratique,
sans se contenter de l’écouter pour l’oublier ensuite ;
eh bien, cette personne sera heureuse dans tout ce qu’elle fait !
Si quelqu’un croit être religieux mais ne sait pas maîtriser sa langue,
il se trompe lui-même : sa religion ne mène à rien !
Voici ce que Dieu, le Père, considère comme la religion pure et authentique :
secourir les orphelins et les veuves dans leur détresse,
et se garder de toute tache due à l’influence de ce monde.

Jacques 1.22-27

La lettre de Jacques est très puissante, mais les protestants ne l’aiment pas beaucoup. Sans doute à cause d’une compréhension de la grâce qui ne rend pas justice aux implication de l’amour tel qu’il nous est demandé de le vivre. J’en parle un peu ici mais ce n’est pas mon sujet pour le moment, vous l’avez remarqué : là je veux parler du péché…

Ce texte de Jacques peut sembler une bien curieuse manière d’aborder cette question, mais que voulez-vous ? J’y ai vu un fil rouge et je vous invite à le suivre avec moi.

Le péché dans le miroir

Quand vous vous regardez dans le miroir, que faites-vous ?

Rappelez-vous de ce que vous avez fait ce matin. Vous voyez votre tête pas fraîche, vos yeux pleins de sommeil, vos cheveux en bataille, votre bouche qui porte encore les élégantes traces d’une nuit ronflante… et ensuite ?

Vous voyez tout ça et vous allez directement au travail en haussant les épaules ? J’imagine que non.

Vous vous lavez les dents, vous vous passez de l’eau sur la figure (si toutefois vous n’avez pas le temps de prendre une douche) et vous coiffez vos cheveux. Entre autres choses élémentaires à une hygiène respectable.

Eh bien voyez-vous, Jacques, l’apôtre, disciple de Jésus, compare la Parole de Dieu à un miroir. Il dit que quand on est touché par une parole qui a du sens pour nous, c’est nous-mêmes que nous voyons. Nous nous voyons comme les autres nous voient, au fond.

Ce qu’on voit dans le miroir ne nous fait pas toujours plaisir, au contraire. Donc nous nous améliorons. Au moins à nos propres yeux. Quand la parole de Dieu touche mon cœur, je vois ce que je dois améliorer dans ma vie.

La question de Jacques, c’est : pourquoi vous comportez-vous avec la parole de Dieu comme si vous n’aviez pas vu qui vous étiez ? Pourquoi la parole de Dieu ne change-t-elle pas votre comportement ? Pourquoi ne vous gêne-t-elle pas comme le miroir vous gêne ?

Voilà une question qui fait une excellente introduction au thème du péché.

Le péché, une question morale

On pense depuis très longtemps que le péché est un problème moral. On se dit que le péché c’est quand on fait quelque chose de pas bien, comme manger trop de chocolat ou dire des gros mots qui ont une allusion sexuelle, par exemple.

Vous connaissez d’autres péchés, vous ?

Voici deux exemple d’histoires bibliques que nous considérerions comme étant de l’ordre du péché, et que la Bible ne condamne pas du tout. Commençons par une histoire de sexe (là je sens que je vais gagner des lecteurs).

Une histoire sexuelle…

En Genèse 38, on apprend que Juda, le chef de l’une des 12 tribus d’Israël, a donné à son fils aîné une femme, Tamar (il donne une femme à son fils, c’est pas terrible mais c’est comme ça que ça se passe à l’époque).

Mais voilà, le fils aîné meurt.

Alors son frère, Onan, la prend pour femme (quand un homme mourrait, son frère avait l’obligation de prendre sa femme comme épouse. C’est pas terrible mais c’est comme ça que ça se passe à l’époque).

Mais Onan ne veut pas donner de descendance à Tamar : il jette sa semence en terre. Onan, c’est la racine du mot onanisme, qui veut dire masturbation. Pourtant le péché d’Onan était de refuser de donner une descendance à Tamar, ce qui lui aurait permis d’exister socialement.

Du coup, Dieu fait mourir Onan, nous dit le texte (quand un homme péchait, Dieu le faisait mourir. C’est pas terrible mais c’est comme ça que ça se passe à l’époque).

Paul nous le rappelle : le salaire du péché c’est la mort. Dieu ne rigole pas avec le péché.

De nouveau veuve, Tamar devait être mariée à Shéla, le troisième fils de Juda. Mais on commence à se dire que Tamar porte malheur, et Juda refuse de la marier. Elle est exclue de la société.

…où il est question de résistance

Tamar ne se laisse pas faire : elle se déguise en prostituée et elle propose ses services à Juda, qui n’a aucun problème à passer du temps avec une prostituée. Visiblement, se prostituer ou aller voir une prostituée n’est pas condamné dans cet épisode.

Juda n’avait pas de liquide sur lui. Alors il lui laisse ses affaires en gage : son sceau, son cordon, son bâton. C’est un peu comme s’il lui laissait sa carte d’identité, sa carte bancaire et les clés de sa voiture, si vous voulez. Tamar devient enfin enceinte, et on apprend que Juda est le père.

Le voilà forcé – par la loi – de prendre soin d’elle. De subvenir à ses besoins.

Tamar existe enfin aux yeux de la société.

Dans cette histoire, où se trouve le péché ? Dans le refus de faire une place à la personne qui a besoin d’une place pour vivre. Pas dans les questions sexuelles.

Mentir et trahir…

Deuxième exemple, très rapide, en Josué 2 : nous sommes à Jéricho, des espions israélites arrivent en douce pour repérer les lieux avant d’attaquer la ville. Là se trouve Rahab, une prostituée, qui accueille les espions : elle a entendu dire que Dieu était avec les Israélites et qu’il leur assurait systématiquement la victoire sur leurs ennemis.

Grâce à cette femme qui a trahi son propre peuple et qui a menti aux gens qui lui demandaient si elle savait où ils étaient, les israélites ont pu prendre la ville de Jéricho.

Le péché, ici, n’était pas dans le fait de mentir ou de trahir.

Ça ne vous fait pas bizarre ? On a beaucoup d’exemples de ce type dans la Bible, où les récits décousent ce que la religion morale avait pris soin

Le péché : une question de cible

Alors si le péché ce n’est pas ces choses, qu’est-ce que c’est ?

Nous avons frôlé un semblant de réponse plus haut. Maintenant attaquons-nous au mot hébreu.

Le péché, en hébreu – mais en grec aussi d’ailleurs – signifie « rater la cible ».

Mais qui sait ce que signifie rater la cible ? Les pasteurs me font rire quand ils pensent avoir tout expliqué avec cette définition.

Rater la cible ! Mais à chaque fois que je manque le but, je pèche, vraiment ? Quand je ne parviens pas à m’endormir alors que j’ai besoin de dormir, c’est du péché ? Quand tu décides de courir une heure et que tu n’y arrives pas, c’est du péché ? Quand tu rates un examen scolaire, ou un examen de conduite, ou un examen médical… c’est du péché ?

Pardon, mais je n’en suis pas certain. Il faudrait d’abord se demander quelle est la cible.

Qu’est-ce qui, quand ça rate, est du péché ? Et puis : qui fixe la cible : moi-même ? La société ? Dieu lui-même ? Comment savoir, au fond ?

Vous voyez que la question est plus difficile qu’il n’y paraît.

Maintenant on va tester vos connaissances bibliques : dans quel passage célèbre de la Bible est apparu pour la première fois le mot « péché » ? Genèse 1, 2, 3 ou 4 ?

Les origines du péché

C’est Genèse 4, avec le récit de Caïn et Abel.

Ce n’est pas dans le jardin d’Eden, avec l’épisode du fruit défendu. La désobéissance n’est pas le péché…

C’est dur à entendre hein ? Mais le péché, si on prend l’épisode de Genèse 4, c’est le fait de tuer l’autre.

Le meurtre.

Tuer l’autre, c’est l’empêcher de vivre. Et ça c’est le péché. C’est pourquoi le salaire du péché c’est la mort.

Quand Onan préférait se masturber plutôt que de faire un enfant à Tamar, il savait ce qu’il faisait : il refusait de prendre en charge cette femme. Or, à l’époque, si une femme n’était pas prise en charge, elle n’existait plus. C’était comme la tuer, socialement parlant.

Faire le mal prend ici tout son sens. Des fois on se demande si le mal existe vraiment, si les notions de bien ou de mal ne sont pas des notions d’un autre âge. Mais quand on regarde les guerres et les atrocités qu’on peut faire, on voit bien que partout où il y a la volonté d’éliminer l’autre, il y a le mal.

C’est ça, le péché.

Alors je vous le demande : mentir, est-ce que c’est du péché ? Oui, si je mens pour détruire l’autre. Le sexe, est-ce du péché ? Oui, si par cet acte je cherche à nier l’autre. L’orgueil, est-ce du péché ? Oui, si ma volonté est d’écraser l’autre.

Mais si je vis en respectant la place de l’autre, si je permets à l’autre de vivre alors je ne suis pas dans le péché.

Pas une question morale : une question relationnelle

Voilà, je pose ça comme ça dans cet article de blog. Ça manque de nuances bien entendu, et je ne pourrai pas faire le tour de la question, mais pour aujourd’hui retenez ceci : le péché n’est pas un problème moral, c’est un problème relationnel. C’est quand ce qu’on fait nuit à la vie de l’autre.

J’ajoute : c’est quand ce qu’on ne fait pas nuit à la vie de l’autre.

Nous avons une responsabilité, en tant qu’êtres vivants : nous sommes reliés les uns aux autres, et ce qui affecte mon prochain m’affecte aussi. Si ça pouvait constituer une base pour discerner entre la vraie et la fausse culpabilité, ce serait déjà pas mal.

Rappelez-vous vous du miroir. Le miroir ne fait pas que vous montrer ce qui ne va pas. Il vous montre aussi ce qui va bien.

Le miroir n’est pas là pour vous accuser, il est là pour vous montrer comment vous êtes.

C’est votre regard qui va focaliser sur tel ou tel aspect.

Expliquer le péché, c’est une manière de vous permettre de voir les choses qui vont bien. Histoire de prendre un peu plus au sérieux ce qui ne va pas bien. Je ne voudrais pas que vous haussiez les épaules comme si de rien n’était. Le péché, c’est sérieux, et ça se domine. Mais il n’est pas nécessaire de gaspiller de l’énergie sur des choses qui n’ont rien à voir avec le péché.

La question ne fait que commencer. Une prochaine fois j’aborderai la question en m’aidant d’un super manuel : le livre « Les raisins de la colère », de John Steinbeck. En attendant, que Dieu vous soulage des culpabilités inutiles.


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Comments (1)

  • MARIELLE

    2 octobre 2022 at 14:10

    Merci Lionel pour cet éclairage percutant.

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