Fragile lumière intérieure…
Fragile lumière intérieure… Il y a, au cœur de nos êtres, une lumière qui brille. Mais il est parfois difficile de garder la flamme allumée. Surtout dans ce contexte.
Ce message a été donné au temple de Chartres le 10 avril 2022, c’est-à-dire le jour du premier tour des élections présidentielles. Je l’ai un peu remanié pour qu’il intègre quelques données dues à la mise à jour de l’histoire de notre pays. Parce qu’un texte est en constante évolution. Et je me rends compte à quel point ce message est encore plus d’actualité – Hélas !
Je vous en souhaite la meilleure lecture possible.
A l’intérieur, une lumière fragile
Nous venons de vivre le premier tour des élections présidentielles. Pas de panique, je ne vous dirai pas pour qui voter – ce n’est pas mon rôle – et je ne vous dirai pas non plus pour qui ne pas voter. Vous savez réfléchir, et je ne supporte pas quand on nous traite comme des incapables.
Ce qui m’intéresse, moi, c’est l’Évangile, et les conséquences de l’Évangile dans nos vies. Quand je suis à cette place de pasteur, c’est tout ce qui m’importe.
L’atmosphère en France est lourde, un peu tendue, comme à chaque élection d’ailleurs. Un peu plus, peut-être, parce que depuis 3 ans nous traversons une période vraiment compliquée. Et depuis les résultats des élections… ça manque encore plus de souffle.
Nous avons besoin de souffler.
J’aimerais parvenir à ouvrir une fenêtre pour nous aider à reprendre notre souffle. Mais je sais bien que ça ne dépend pas de moi.
D’abord, je ne suis pas sûr d’être capable d’ouvrir la fenêtre (parfois les fenêtres sont grippées), et puis si jamais j’y arrive, rien ne garantit que vous pourrez profiter de ce souffle. Très souvent, le noir que nous broyons est tellement dense que nous ne voyons même pas la petite flamme qui est allumée, là, sur la table.
Et on a beau vous la montrer, vous ne pouvez pas la voir. Parce que c’est trop dense.
Fragile lumière dans les ténèbres
Entre le changement climatique qui nous promet un avenir radieux…-actif, la guerre en Ukraine, l’utilisation de l’argent public à des fins commerciales non avouables, et tous les autres malheurs qui s’abattent sur nous, collectivement et personnellement, sans parler de ce fichu COVID qu’on n’arrête pas de propager…
Parfois je me sens comme une lampe qui est sur le point de s’éteindre.
J’ai besoin d’oxygène. Mais dans ce climat, j’étouffe.
Les élections n’arrangent rien, car nous avons d’un côté la continuité de ces 5 dernières années atroces (pas pour tout le monde, j’en conviens), et de l’autre la promesse d’une société intolérante. D’un côté on favorise les très riches et on se fout de l’écologie (greenwashing à gogo) et de l’autre on prend au sérieux la relocalisation mais on rejette les étrangers, en leur faisant porter la responsabilité de nos maux.
L’urgence qui est la notre aujourd’hui, c’est de changer de société, pour réellement prendre en compte la question environnementale. Et nous le savons, il n’y a pas de vraie prise en compte de l’environnement sans une attention extrême portée aux êtres, surtout les plus « petits » d’entre eux. Dont font bien sûr partie les personnes étrangères.
C’est tout l’Evangile.
Et aucune des deux propositions qu’il nous reste, au lendemain des élections, ne vient répondre à cette urgence. Les deux la rejettent à plus tard.
Pour rappel, les responsables du GIEC nous alertent : dans 3 ans il sera véritablement trop tard.
Et du coup, devant ces deux propositions, je suis sûr, en allant voter, de donner ma main à l’enfer. J’ai le sentiment d’être devant ce choix douloureux : par quel vantail vais-je entrer en enfer ?
Une lumière au cœur du désespoir
Alors je me tourne vers Dieu.
Lui seul peut ouvrir le ciel au-dessus de ma tête et me donner l’air dont j’ai besoin. Lui seul peut me rafraîchir, non pas avec une eau polluée qui m’entraînerait dans des illusions destinées à me perdre, mais avec une promesse qui viendra renforcer mon être intérieur, une conviction qui me mettra en route, une énergie qui me permettra d’assumer qui je suis et ce que je fais.
Et ce qui me touche, dans notre condition, c’est ce texte, tiré du prophète Esaïe :
Voici mon serviteur,
dit le Seigneur,
je le tiens par la main,
j’ai plaisir à l’avoir choisi.
J’ai mis mon Esprit sur lui
pour qu’il libère les peuples selon le droit que j’instaure.
Il ne criera pas, il n’élèvera pas la voix,
on n’entendra pas non plus sa voix dans les rues.
Il ne cassera pas le roseau déjà plié,
il n’éteindra pas la lampe qui faiblit.
Mais il libérera réellement selon le droit que j’instaure.
Il ne faiblira pas, il ne se laissera pas abattre,
jusqu’à ce qu’il ait établi le droit sur l’ensemble du monde,
et que les populations lointaines attendent son enseignement.
Esaïe 42.1-4
Fragile, mais soutenue
Donc moi, qui suis comme une lampe sur le point de s’éteindre, faute d’oxygène, me voilà interpellé par ce message : « Il ne cassera pas le roseau déjà plié, il n’éteindra pas la lampe qui faiblit ».
Dans vos traductions, vous avez peut-être : « il n’éteindra pas le lumignon qui fume », mais moi je ne sais pas ce que c’est qu’un lumignon qui fume.
La lampe qui faiblit, je vois bien.
Surtout si je vois cette lampe comme une lampe à huile et pas comme une lampe électrique. Car la lampe à huile, si Dieu ne l’éteint pas, c’est qu’il remet de l’huile dans le système. C’est qu’il la remplit.
Seigneur, remplis-moi de ton Esprit, que je ne m’éteigne pas.
Fragile, mais reconnue
« Voici mon serviteur ». Le Dieu de l’univers te reconnaît, nous reconnaît, ensemble, comme son serviteur.
A l’origine, ce mot, serviteur, évoque l’esclavage et l’humiliation. Mais dans le Proche-Orient Ancien, le serviteur d’un grand personnage c’est son collaborateur le plus proche, son « ministre ».
Les serviteurs de Dieu sont des personnages prestigieux aux yeux de Dieu.
Dans le livre du prophète Ésaïe, le serviteur de Dieu, c’est la plupart du temps un collectif : le peuple. Mais il peut parfois s’agir d’un personnage particulier.
« Voici mon serviteur », donc, et ce serviteur c’est toi, c’est moi, et c’est nous.
« Je le tiens par la main, j’ai plaisir à l’avoir choisi ».
Tu entends ? Dieu prend plaisir en toi. Alors tu te dis que ce n’est pas possible, parce que tu n’es pas à la hauteur. Tu n’es pas comme il faut.
Et c’est vrai. Je ne vais pas te contredire. Tu n’es pas comme il faudrait que tu sois.
Mais dis-moi, il faudrait être comment, pour être aimé de Dieu ? Il faudrait être comment pour que Dieu prenne plaisir en nous ?
Dieu prend plaisir en nous même quand il n’apprécie pas ce que nous faisons. Il prend plaisir en nous parce que nous sommes ses enfants.
Tout comme nous prenons plaisir, nous aussi, quand nous regardons nos fils et nos filles, ou même quand nous regardons nos animaux, et même nos plantes, quand nous les aimons. Nous prenons plaisir en eux, même quand leur comportement n’est pas ajusté à nos désirs. Nous savons distinguer entre l’être et le faire.
Dieu prend plaisir en toi, parce que tu es. C’est dur à accepter, mais quand tu auras commencé de l’accepter, tu pourras goûter à la vraie joie.
Sa lumière brille en nous
Et ce serviteur, Dieu a mis son Esprit sur lui pour qu’il libère les peuples selon le droit que Dieu instaure.
Dieu a mis son Esprit sur toi.
Un objectif : libérer les peuples selon le droit divin.
Le droit divin, qu’est-ce que c’est ? Ici le terme hébreu utilisé par Esaïe signifie littéralement « le jugement ». Le jugement divin… Libérer selon le jugement divin ?
Cette expression évoque chez moi l’inquisition et toutes ces dynamiques qui condamnent les gens parce qu’ils ne se sont pas comportés comme la société ou la bonne morale disait qu’ils devaient se comporter.
Mais si je réfléchis (ça arrive), je vois quelque chose d’autre, qui est le fondement de notre relation à Dieu : Dieu est amour et son jugement c’est le pardon de nos péchés.
Son jugement, c’est la libération de la culpabilité.
Son jugement, c’est la grâce pour tous.
Notre service, c’est de proclamer la grâce au monde entier, et d’instaurer – du mieux possible – ce royaume du jugement de la grâce, ce royaume qui dit que tous et toutes sont aimé·e·s de Dieu et que tous et toutes sont accueilli·e·s par Dieu.
Instaurer un monde inspiré par cette justice-là, qui est une justice divine, et qui est du droit divin.
C’est autre chose que l’inquisition. C’est autre chose que de construire des murs et de renforcer des frontières. C’est autre chose que de donner un revenu de solidarité sous conditions. C’est autre chose que de réserver notre humanité aux seuls français ou de voler aux pauvres pour donner aux riches.
C’est politique, bien évidemment, mais vous pouvez prendre n’importe quel programme et l’analyser comme ça : quel est celui qui correspond le mieux à la justice divine de la grâce ? Quel programme répond le mieux au droit divin de l’amour universel ?
Fragile lumière du Royaume de Dieu
Là, bien sûr, nous sommes confronté·e·s à un énorme problème.
Aucun programme politique ne correspond au Royaume de Dieu.
Le Royaume de Dieu ne peut pas entrer dans un programme politique. Il ne peut pas être mis en œuvre totalement, parce que le Royaume n’est pas totalitaire !
Le Royaume de Dieu, c’est une sensibilité spirituelle qui prend en compte les réalités de ce que nous vivons. Ah mes ami·e·s, il n’est pas évident d’être chrétien·ne dans ce fatras politicien ! Et pourtant, nous devons y être, là aussi, pour faire entendre ces mots prophétiques : exercez le droit divin ! Que notre vivre ensemble soit plus humain ! Arrêtons d’être rabougris ! Arrêtons d’être « pense-petit » !
Ma lampe est faible, mais je sens monter en moi quelque chose de l’ordre de l’espérance. Je sens monter en moi ce désir de reprendre ma vie en mains et de poser des actes qui comptent, des actes qui disent notre humanité, des actes qui font sens dans un monde tenté par les cloisonnements et les replis identitaires.
Poser des actes forts aussi face à la corruption et à la malhonnêteté, dans une société où on favorise les gens favorisés, où on se fiche pas mal de la manière dont est géré l’argent public, où on donne à celui qui a et où on enlève à celui qui n’a rien.
Fragile lumière intérieure… mais tenace !
En vous parlant de ce Dieu qui ne brise pas le roseau plié, qui n’éteint pas la lampe fatiguée, je me suis mis en relation avec lui, qui m’aime tel que je suis, et qui me dit : va avec la force que tu as.
Je ne me fais pas d’illusions sur le résultat des élections : nous aurons un personnage insupportable comme président de la République.
Ça a toujours été le cas, il n’y a aucune raison que ça change.
Nous aurons un homme ou une femme qui ne mettra en œuvre que les pires de ses promesses. Nous aurons une équipe gouvernementale à laquelle il va falloir rappeler ses engagements, et nous aurons encore à lutter pour que la justice divine imprègne tous les interstices de notre société.
Ça a toujours été comme ça.
Malgré mon vote, le réchauffement climatique ne va pas s’arrêter, la pauvreté ne sera pas éradiquée, l’argent public ira encore enrichir des personnes qui n’ont pas besoin de ça pour survivre…
Et malgré tout, malgré tout, j’ai quelque chose à faire dans ce monde désespérant, avec conviction – mais sans illusion. Je peux bénir le pays dans lequel je me trouve, je peux participer à la vie citoyenne et je peux essayer d’orienter notre vivre ensemble vers les valeurs humaines qui sont celles de l’Évangile.
Je peux aussi arrêter de culpabiliser celles et ceux qui ne font pas comme moi. Celles et ceux qui ne croient pas comme moi. Celles et ceux qui en ont ras-le-bol. Ce ne sont pas les vrai·e·s responsables.
Au fond, rien n’est plus important – rien n’a jamais été aussi important – que de maintenir les liens qui nous unissent. Nous ne devons jamais laisser nos différences nous séparer.
En agissant ainsi, je n’éteins pas la flamme qui brûle en moi.
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