L'homme de Vitruve, croquis de Léonard De Vinci

Être humain ? Quelques pistes mathémapoétiques…

3 mai 2022Lionel Thébaud

Être humain ? Il est bien difficile de dire ce que ça signifie. Mais les textes bibliques et leurs mathématiques poétiques peuvent nous faire penser ! Dans cet article, je vais jouer aux chiffres et aux lettres, c’est une émission qui vous dit quelque chose ? Aujourd’hui je vais vous montrer comment je joue, moi, aux chiffres et aux lettres.

Je vais prendre un verset – très court, je vais en dire quelques mots, puis je vais me pencher sur un mot spécifique et je vais jouer avec lui, d’une manière très particulière, puisqu’il s’agit d’un procédé rabbinique d’interprétation des textes qu’on appelle « guématria » et qui va agacer les plus scientifiques d’entre vous.

Donc très rapidement, pour moi, ces principes d’interprétation n’ont évidemment rien de scientifique, et les résultats de ces observations n’ont pas pour but de démontrer ou d’affirmer quelque chose. A mes yeux, il s’agit d’un jeu, qui permet d’ouvrir les sens d’un mot, d’une phrase ou d’un verset. J’y trouve une dimension poétique qui produit en moi de l’émerveillement.

Et franchement, si les textes ne nous émerveillaient pas, ils deviendraient bien tristes.

Deux petits points encore, avant d’entrer dans le vif du sujet.

D’abord, cette prédication a été donnée lors de l’assemblée générale du service de l’Entraide de la paroisse dont je suis pasteur. C’est un contexte important.

Et d’autre part, j’ai appris – par hasard – que mon collègue Robert Philipoussi, pasteur à l’Église protestante unie de Port-Royal Quartier Latin (Paris 13), a utilisé le même procédé lors de sa prédication du même jour, mais pas sur le même texte, ce qui est tout de même un hasard assez étonnant. Vous pouvez lire son message ici.

Ce qui me fait dire que toute coïncidence nous pousse à faire du lien et à déterminer un sens. Trouver un sens aux choses est une création intellectuelle (ce qui ne veut pas toujours dire que c’est savant : la preuve ! Il peut y avoir de l’intelligence à faire des exercices non-scientifiques). Et c’est ce que je fais avec ces exercices de mathémapoétique inspirés par la lecture des ouvrages du rabbin Marc-Alain Ouaknin.

Être humain… mais avant ça ?

D’abord, Dieu créée.

Il créée quoi ? Les cieux et la terre. Magnifique.

Et il créée tout ça à partir de quoi ? On a longtemps dit et fait croire que Dieu avait créé tout ça à partir de rien. Ex-nihilo disent les latinistes. Mais ex-nihilo, il n’en est rien !

Le premier verset du premier chapitre du livre de la Genèse n’est pas à lire comme si c’était le premier acte de création. Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre est un titre, qui annonce comment Dieu va s’y prendre pour créer le ciel et la terre. J’en veux pour preuve que ce n’est qu’au verset 8 qu’il fabrique ce qu’on appelle le « ciel ». Il ne le créé donc pas au verset 1, vous me suivez ?

Bien.

Alors le verset 1 est un titre, qui annonce comment Dieu va créer le ciel et la terre. Au verset 2, on nous dit que la terre était informe et vide. Tohu-bohu. Tohu-bohu, ça veut dire mélangé, confus. C’est ça, c’est la confusion.

La terre n’était que confusion, il y a la terre, il y a l’obscurité, il y a l’abîme, il y a des eaux, et il y a l’Esprit de Dieu. Il n’y a pas rien.

Et c’est à partir de ces choses que Dieu va créer le ciel et la terre, y compris à partir de la confusion. Vous voyez que le texte est plus complexe que ce à quoi nous avons été habitué·e·s. Il existait déjà quelque chose avant que Dieu ne crée le ciel et la terre. Et ce que le texte de la création décrit, c’est la manière dont Dieu a créé : il a créé en séparant.

Plutôt, d’ailleurs, que le verbe « séparer », je préfère employer le verbe « distinguer » : il a distingué l’obscurité pour créer la lumière. Il a distingué les eaux d’en haut et les eaux d’en bas pour créer le ciel. Il a distingué le solide du liquide pour créer la terre ferme et la mer.

« Séparer » voudrait dire que nous n’aurions que du liquide d’un côté, et que du sec de l’autre. C’est souvent comme ça que ça nous est présenté. On a d’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Les vieux, les jeunes. La gauche, la droite. Le ciel, la terre. Bref. Séparé.

Mais dans le réel, on a quoi ? On a entre le solide et le liquide des tas de zones mixtes. Prenez n’importe quel objet et faites-le analyser, vous verrez qu’il est plein d’eau. Moi-même, je suis composé à 65 % d’eau, et pourtant, même si je suis souple, je ne suis pas liquide. On trouve même des molécules d’eau dans des minerais, c’est dire ! De l’autre côté, ce qui est absolument liquide est certainement rare : on trouve même de l’or dans l’eau !

Vous me direz : oui, mais les masses, elles, sont soit solides, soit liquides. Si vous voulez, mais enfin la séparation n’est pas toujours nette. On a la boue, les sables mouvants et les marécages, par exemple.

Bref, ce que je veux dire, c’est que nos cloisonnements sont bien artificiels : tout se trouve entre gris clair et gris foncé. Nous avons besoin de tiroirs pour distinguer et comprendre notre monde, mais nos tiroirs doivent rester ouverts. Parce que nous sommes dans un monde complexe, dès son origine.

L’être humain… enfin lui (elle ?)

Et comme si le monde organisé par Dieu n’était pas déjà assez complexe, le voilà qui se met à créer l’être humain. Quelle idée !

Adam. Adam, ce n’est pas un homme. C’est le premier être humain, et personne n’est en mesure de dire s’il est mâle, femelle, asexué ou androgyne. Notre mythe biblique ne le précise d’ailleurs pas, mais il est le premier être humain.

Adam, c’est ça que ça veut dire : être humain. Plus tard, quand Dieu distingue le mâle de la femelle (toujours dans ce processus de déconfusion), le mâle va s’approprier le nom d’Adam.

Adam, ça vient de Adamah (la terre). C’est pourquoi Dieu crée l’adam à partir de la terre. Mais si on l’écrit ha dam, ça veut dire le sang. Jouer avec les lettres peut m’aider à penser ce qu’est l’être humain, vous voyez. D’ailleurs, une des premières question qu’Eve a posé à son homme c’est : « où as-tu mis ma brosse, Adam ? »…

Oui, bon, d’accord…

Adam, l’être mathématique

C’est là que je vais parler mathématiques. Un tout petit peu.

Adam, ça s’écrit comme ça en hébreu : aleph – daleth – mem.

En hébreu, les chiffres et les nombres s’écrivent avec les 22 lettres de l’alphabet. Par conséquent, chaque lettre de l’alphabet reçoit une valeur numérique, et pour vous le dire simplement et rapidement, la valeur numérique du mot « ADAM », ça donne ça : 1 – 4 – 40. Faisons la somme de ces données : 40+4+1=45. Et 45, c’est la moitié de 90. Étonnant, non ?

Ah, il faut que j’explique où je veux en venir, peut-être ?

90°, c’est l’angle droit. Un angle droit, c’est une abscisse, qui dit la relation horizontale (donc la relation des humains entre eux) et une ordonnée, qui dit la relation verticale (donc la relation des humains avec Dieu).

Mais à 90° on peut se sentir écrasé par la divinité et tellement englué dans le collectif qu’on pourrait ne plus bouger. Bref, 90 ce n’est pas le nombre de l’être humain réel. Au mieux c’est l’être humain idéalisé, qui serait pleinement humain et pleinement divin.

Le nombre de l’être humain, c’est 45.

A 45°, l’être humain se met en mouvement dans cette tension entre le spirituel et l’humain. Il ne peut être vraiment humain que s’il est spirituel, et il ne peut être spirituel que s’il est véritablement humain. Il fait se rejoindre le vertical et l’horizontal. Sur la terre comme au ciel. Dans la dynamique d’un mouvement d’être qui marche, à l’image de cette œuvre de Giacometti, intitulée « l’homme qui marche ».

Il est aussi intéressant de remarquer que tous nos nombres s’écrivent avec les chiffres qui vont de 0 à 9. Et alors ? Me direz-vous. Vous avez raison de poser la question. Eh bien la somme de ces chiffres (0+1+2…+9) est égale à 45. Étonnant, non ?

Ce 45 exprime la somme de la création, puisque tout peut être compté à partir de ces chiffres, et peut-être que c’est à cause de ça que les théologiens ont imaginé que l’être humain était le couronnement de la création.

Il paraît que nous sommes appelés à bien gérer la création… Visiblement, nous ne savons pas compter !

L’être humain, une question

Maintenant, jouons encore un tout petit peu avec le nombre de l’être humain.

La valeur numérique de Adam, c’est 45. Mais 45… Comment ça s’écrit en hébreu ?

Mem-hé : ça donne le mot mah, ce qui signifie « quoi ? »

L’être humain est un « quoi ? », c’est-à-dire une question qui porte sur l’identité. Toutes les réponses que nous essayons d’apporter à nos questions existentielles ne sont que partielles. Parce que notre identité, c’est le questionnement. Dieu a prévu que nous ne puissions pas nous installer dans nos certitudes.

Je ne sais pas si les autres espèces animales ont cette faculté, mais je sais que l’être humain a la faculté de se questionner, et de se questionner toujours. Depuis tout petit on me répète « tu ne devrais pas te poser autant de questions », mais je réponds systématiquement : « dis-moi où est le bouton stop ! »

Il y aurait beaucoup à dire pour développer ces notions. Mais je vais m’arrêter là. Si ça vous laisse sur votre faim, c’est très bien : vous pourrez vous-même prolonger la réflexion si ces éléments vous inspirent.

Mais retenons tout de même ceci : joindre le spirituel et l’humain, c’est ce que nous faisons quand nous, paroissiens et paroissiennes, nous engageons dans le service d’entraide. Nous ne sommes pas une grosse association d’entraide, mais avec nos moyens nous pouvons déjà faire pas mal de petites choses, et nous avons besoin de vous pour faire quelques petits pas supplémentaires.

Donner de l’argent, bien entendu. Mais enfin ce n’est pas la seule implication possible, et si l’argent est le nerf de la guerre, comme on dit, pour le moment nous avons surtout de mains, de bras et de cerveaux pour nous aider à réfléchir et à faire ce que Dieu nous met dans le cœur. Il me semble difficile de nous considérer comme des êtres vraiment spirituels si notre foi ne s’ancre pas dans des actions concrètes en faveur des autres.

Ma grand-mère disait : « avec des moyens moyens, on peut peu ». Mais j’ajoutais – en silence, dans ma tête : le peu qu’on peut, c’est déjà un pas de plus. C’est dans cet esprit, et avec ces mathématiques solidaires, que nous allons réfléchir à notre implication dans ce que j’ai appelé « la main de l’Église ».

Comments (2)

  • Jean-Michel Ulmann

    3 mai 2022 at 10:00

    Bonjour Lionel,
    j’aime la façon convaincante que tu as de combiner l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie. C’est une belle équation qui ouvre une brêche sur l’inconnu.
    jmu

  • GAGIN Jenyfer

    4 mai 2022 at 08:39

    Bonjour Lionel,
    Tout simplement merci pour la citation de grand-mère ! Je t’embrasse fort.
    A bientôt j’espère !

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