Elie et la voix d’un petit silence
Dans la Bible, Élie est sans doute l’un des plus grands prophètes. A l’époque de Jésus, on croyait qu’Élie devait revenir d’entre les morts pour accueillir le Messie. Souvent, des synagogues laissent une chaise vide qu’Élie puisse s’y asseoir quand il reviendra. Élie n’est pas mort, nous dit la Bible, mais il a été enlevé aux cieux dans un char de feu. C’est un grand prophète donc. Ce n’est pas pour rien qu’il apparaît dans le fameux passage dit « de la transfiguration » : Jésus se rend sur une haute montagne, et Moïse et Élie apparaissent pour papoter avec lui. D’un côté, on a Moïse, qui représente la Loi, et de l’autre Élie, qui représente les prophètes. Mettre ces trois personnages ensemble est hautement symbolique, et je ne pourrai pas faire le tour de ces choses dans cet article. Mais ce que je peux faire c’est vous partager l’oratorio de Felix Mendelssohn : Elias, composé en 1846, dans son interprétation par l’Orchestre National de France (concert diffusé sur Arte). Eh bien oui, j’aime bien partager mes trouvailles et un peu de diversité culturelle ne fait de mal à personne, surtout pas à moi, qui n’y connais rien en musique dite classique. J’aime bien lire en musique :
Notre récit se situe dans un épisode de la vie d’Élie qui peut nous sembler peu glorieux. Dans l’Israël de l’époque, il y avait un roi, Achab, et une reine, Jézabel. Le livre des Rois condamne le roi Achab, disant de lui qu’il fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur, et qu’il était pire que les rois précédents. En effet, il fait construire un temple pour le dieu Baal pour des gens y pratiquent des sacrifices. Pire, peut-être, pour l’auteur de ce livre : il fait dresser un poteau sacré de la déesse Achéra. Il serait bon qu’un jour je me penche sur la question de cette déesse dans la Bible et dans l’histoire…
Le prophète Élie se rend donc un jour devant le roi Achab, et le prévient : il n’y aura plus de pluie dans le pays, sauf si je le demande ! Une sécheresse débute, qui dure trois années. Au bout de ces années sans pluie, donc de famine, il se rend de nouveau devant le roi et lui annonce que cette famine est la conséquence du mauvais comportement du roi, mais que la pluie va bientôt revenir. Et le voilà qui lance un défi au roi Achab : devant tout le peuple va avoir lieu un concours. Les 450 prophètes de Baal et les 400 prophètes d’Ashéra ont rendez-vous avec Élie sur le mont Carmel, devant tout le peuple. Il s’agira de préparer des sacrifices, et de demander au dieu invoqué de mettre lui-même le feu sur l’autel. Les prophètes de Baal font leurs invocations, mais le dieu Baal ne répond pas. Élie se moque : Peut-être qu’il dort, et qu’il faut le réveiller ! Élie prépare le sacrifice à son tour, mais il en profite pour ajouter douze cruches d’eau sur la préparation. L’eau est si abondante (je me demande quelle taille ont ces cruches) que l’eau remplit le fossé autour de l’autel. Et Dieu répond à la prière d’Élie en faisant descendre du feu, qui brûla le sacrifice, le bois, les pierres et la poussière, et qui fit évaporer l’eau du fossé. Devant cette victoire, Élie dit aux gens de son peuple d’attraper les prophètes de Baal, et il les fait égorger. Beurk. Il fallait sans doute s’occuper en attendant le retour de la pluie.
Le prophète Élie est en donc conflit sévère avec le roi Achab, ainsi qu’avec la reine Jézabel. En effet, Jézabel menace de tuer le prophète, puisque dans son excès de zèle Élie avait tué tous les prophètes du dieu Baal – ce qui n’était peut-être pas très malin. Mais les gens agissent toujours ainsi quand ils sont trop persuadés d’être dans le vrai. Non contents d’avoir gagné, il veulent écraser les autres. Suites à ces menaces, Élie a peur. Il entre dans une sorte de dépression. Il fuit en marchant une journée dans le désert et il demande à Dieu de lui enlever la vie. Élie va très mal. Puis il marche quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb. Pour rappel, l’Horeb, c’est – pour la tradition biblique – la même montagne que le Sinaï. Le parallèle symbolique avec Moïse est frappant : le désert, le Sinaï, les quarante jours et quarante nuits, tout ceci n’est pas le fruit d’un hasard. Or, qu’arrive-t-il à Moïse sur le Sinaï ? Il reçoit la révélation divine. Et qu’arrive-t-il à Élie sur l’Horeb ? Il reçoit une révélation divine. Pas du même ordre, mais tout de même, il s’agit de ce que l’on appelle une théophanie, c’est-à-dire une apparition de Dieu. C’est donc au cœur de sa détresse que le prophète va recevoir une révélation divine.
C’est là que ce texte survient :
Arrivé à l’Horeb, Élie entra dans une caverne, où il passa la nuit. Alors la parole du Seigneur lui fut adressée :
« Pourquoi es-tu ici, Élie ? »
Il répondit :
« Seigneur, Dieu de l’univers, j’ai tant de zèle pour toi que je ne supporte plus la façon d’agir des Israélites ! En effet, ils ont rompu ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul, et ils cherchent à m’ôter la vie ! »
– « Sors, lui dit le Seigneur ; tu te tiendras sur la montagne, devant moi ; je vais passer. »
Aussitôt un grand vent souffla, avec une violence telle qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers devant le Seigneur ; mais le Seigneur n’était pas présent dans ce vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre ; mais le Seigneur n’était pas présent dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; mais le Seigneur n’était pas présent dans le feu. Après le feu, il y eut le bruit d’un souffle léger. Dès qu’Élie l’entendit, il se couvrit le visage avec son manteau, il sortit de la caverne et il se tint devant l’entrée. Il entendit de nouveau une voix qui disait :
« Pourquoi es-tu ici, Élie ? »
Il répondit :
« Seigneur, Dieu de l’univers, j’ai tant de zèle pour toi que je ne peux plus supporter la façon d’agir des Israélites ! En effet, ils ont rompu ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes prophètes ; je suis resté moi seul et ils cherchent à m’ôter la vie. »
Mais le Seigneur lui dit :
« Va, retourne par le même chemin à travers le désert, et rends-toi à Damas. Tu y choisiras de ma part avec l’huile d’onction Hazaël comme roi de Syrie. Puis tu choisiras comme roi d’Israël avec l’huile d’onction, Jéhu, fils de Nimchi, et tu choisiras Élisée, fils de Chafath, d’Abel-Mehola, pour te succéder comme prophète. Ceux qui échapperont à l’épée d’Hazaël seront mis à mort par Jéhu, et ceux qui échapperont à l’épée de Jéhu seront mis à mort par Élisée. Mais je laisserai survivre 7 000 hommes du peuple d’Israël, à savoir tous ceux qui ne se seront pas mis à genoux devant le dieu Baal et qui n’auront pas donné de baisers à ses statues. »
(1 Rois 19.9-18)
Élie grimpe sur l’Horeb, dont le nom hébreu évoque le désert, le lieu aride et la forte chaleur. C’est l’état spirituel d’Élie : la traversée du désert. Il grimpe sur l’Horeb, donc, et il se cache dans une caverne. La caverne est lieu qui à la fois peut nous aider à nous sentir en sécurité, mais qui aussi peut nous inquiéter, car il y fait sombre et qui sait quels monstres d’y cachent, eux aussi ? La caverne symbolise pour moi le désespoir, la déprime voire la dépression. Là, Dieu rejoint Élie.
Il le questionne : Que fais-tu ici ? Littéralement : Quoi pour toi ici ? Ça peut sonner bizarre, écrit comme ça, mais étrangement la question me semble plus profonde ainsi, elle entre plus facilement dans mon cœur. Question de sensibilité, j’imagine. Élie dit à Dieu qu’il est le seul à être resté fidèle. Le seul vrai croyant de son peuple. Élie a rejeté sa communauté, persuadé que tous les siens étaient des infidèles. Comment en arrive-t-on à une telle décision ? Il suffit de considérer que les autres n’ont pas la vraie foi. Ils ne croient pas comme nous, ils ne pratiquent pas comme nous, quand on les regarde, on ne voit que du péché, que des pratiques qui nous semblent inacceptables. Transposé à aujourd’hui, ça pourrait donner (attention, ces exemples ne sont pas fictifs !) : lui, il fume du cannabis, il ne peut pas être un vrai chrétien. Elle s’est faite avorter, elle ne peut pas être chrétienne. La communauté LGBT++, les gauchistes, les grands patrons, les racistes, bref, tou·te·s les « pas comme nous », celles et ceux que je ne comprends pas, dont je déteste les actions, ne peuvent pas être dépositaires de la foi. Et en allant au bout de cette logique, on se retrouve seul. Élie pense être le seul « pur ». Dieu dit alors à Élie : Sors, je vais passer. Mais Élie ne sort pas de sa caverne.
Ce qui m’interpelle, c’est que Dieu parle, mais qu’Élie ne voit pas que Dieu est présent à ses côtés. Dieu le questionne, mais c’est comme si Dieu n’était pas là, comme s’il l’appelait au téléphone. Comme si la question de Dieu n’était rien, ou presque. Comme si la voix de Dieu n’était pas le signe de sa présence. Du coup, Dieu est comme obligé de lui dire : Je vais passer. Comme s’il n’était pas déjà là quoi. C’est-à-dire que Dieu va devoir se manifester d’une manière particulière, qui permette à Élie de voir ce qui se passe réellement. En effet, Dieu n’est-il pas toujours présent ? S’il nous parle, n’est-ce pas le signe qu’il est là, tout près ? Ça n’a pas l’air si évident que ça pour la personne en détresse.
Dieu montre à Élie qu’il est là, tout près de lui. Le texte nous le dit bien : Dieu n’est pas dans le vent violent. Dieu n’est pas dans le tremblement de terre. Dieu n’est pas dans le feu. Élie a déjà fait des signes et des prodiges au nom de Dieu, et ces démonstrations de force ne l’impressionnent plus. Dans le désert, il a rencontré un ange qui lui a servi à manger, mais ça non plus ça n’a pas impressionné Élie. Ce qui impressionne Élie et qui lui montre que Dieu est là, c’est cette formulation qui sonne étrangement en hébreu : la voix d’un petit silence. Ce que la Nouvelle Bible en Français Courant traduit par le bruit d’un souffle léger. C’est là, précisément, que Dieu se tient. Dans la voix d’un petit silence… Imperceptible à quiconque n’est pas très attentif. C’est une invitation à la méditation, à la contemplation. Une invitation au cœur de l’intime. L’expérience que fait Élie symbolise un changement dans l’image qu’il se faisait de Dieu. Dieu se présente au prophète autrement que ce dont il avait l’habitude. Autrement que ce que lui disait sa culture, sa théologie ou ses a priori. Le Dieu fort, le Tout-Puissant, le terrible, le redoutable… Nous percevons Dieu en fonction des images qui nous habitent, et nos choix personnels découlent de ces images : la conception d’un dieu saint nous pousse à nous séparer des autres, la conception d’un dieu juste nous pousse à militer pour le droit, un dieu Amour nous incite à la grâce et au pardon, etc. Évidemment, Dieu c’est sans doute tout ça en même temps. Mais je n’oublie pas que le plus important, c’est l’amour.
Élie s’adresse à Dieu en l’appelant Dieu de l’univers. En hébreu, Adonaï Tzevaot signifie littéralement « le Seigneur des armées ». Mais contrairement à ce qu’il pourrait nous sembler, il ne s’agit pas des armées composées pour faire la guerre aux autres : il s’agit par cette expression de désigner « l’armée des cieux », à savoir les étoiles, et peut-être même les signes du zodiaque. C’est pourquoi la Nouvelle Bible en Français Courant a choisi de rendre l’expression par Dieu de l’univers, évitant ainsi une confusion malheureuse. Le Dieu de l’univers, donc, celui qui fait trembler le monde, n’est pas le Dieu qui vient pour l’aider. Le Dieu qui se présente à Élie est un dieu capable d’être présent dans le souffle d’un murmure silencieux. Dans ce qu’il y a de plus fragile. De plus insignifiant. Là, Élie reconnaît que Dieu est là, et il sort de la caverne. Il se couvre le visage de son manteau, ce qui rappelle encore une fois le geste de Moïse, qui s’est couvert le visage en descendant du Sinaï. Le même geste, mais les raisons sont différentes : Moïse ne voulait pas choquer le peuple parce que la gloire de Dieu rayonnait, émanant de son visage. Élie a peur et il est angoissé : il pense qu’il n’est pas digne de rencontrer Dieu.
Ce silence, dans lequel est Dieu, laisse la place à une parole vraie. Existentielle. Avant ce moment, Élie n’était pas capable de recevoir les paroles divines. Mais là, toute son attention est focalisée sur Dieu. Il n’oublie pas ses problèmes, mais il sait que Dieu est là. Au cœur de la voix de ce petit silence, il entend de nouveau une voix : Pourquoi es-tu ici, Élie ? Et le prophète répète ses paroles, mot pour mot, faisant état de sa séparation d’avec son peuple, parce que lui seul est resté fidèle. Comme quoi, se rendre compte de la Présence divine ne rend pas forcément plus lucide. Ce n’est pas parce qu’on vit une expérience spirituelle forte qu’on a compris quoi que ce soit.
« Je suis le seul vrai croyant ». Quel orgueil spirituel ! Voilà qu’une telle attitude mène d’une part – je l’ai dit – à se séparer des autres, d’autre part à « tuer » (même symboliquement) nos ennemi·e·s, et enfin cette solitude nous mène droit à la dépression et au désespoir. Tout ça pour, au final, entendre Dieu nous dire que nous nous sommes trompés, que nous ne sommes pas seuls, et qu’il va falloir revoir nos critères et ne pas juger, parce que d’autres, qui croient différemment de nous, dont l’engagement est différent, sont tout autant dépositaires de la foi. Quand on ne fait pas preuve d’humilité, on est humilié en découvrant la réalité : il y a 7000 hommes qui sont restés fidèles à Dieu. 7000, c’est un chiffre énorme, et Élie ne l’a même pas remarqué, tellement il était aveuglé par ses jugements et ses critères bien trop restrictifs. Il y a plus de bonnes personnes que ce que tu perçois. Tu peux espérer. Voilà ce que j’entends. Nos sens et nos raisonnements nous faussent une partie de la réalité.
La pédagogie de Dieu est extraordinaire. Vous remarquez que Dieu ne fait pas de reproche à Élie. Il le questionne : Pourquoi es-tu ici ? Il pousse Élie à formuler sa propre réponse, et à bien réfléchir à la situation dans laquelle il se trouve. Il le force à sortir de la caverne dans laquelle il s’était enfermé. A Adam, Dieu avait demandé : Où es-tu ? La pédagogie était la même. On voit ici que Dieu n’est pas le grand moralisateur qui apporte des réponses définitives, mais qu’il est le Dieu qui nous questionne et qui nous accompagne dans nos questionnements. C’est à nous de trouver nos propres réponses à ses questions. A nous de nous laisser déplacer par Lui, ce Dieu de l’univers que l’on trouve dans le plus fragile des silences.
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Comments (1)
Ulmann
9 août 2020 at 22:53
Bonsoir Lionel,
j’aime ta façon de faire vibrer le silence et de le remplir de la présence de Dieu. Quelle belle musique tu as composée.
Amitiés
Jmu