De l’esprit de parti dans l’Église

20 juin 2021Lionel Thébaud

Frères et sœurs, je vous en supplie au nom de notre Seigneur Jésus Christ :
mettez-vous d’accord, qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous ;
soyez bien unis, en ayant la même façon de penser, les mêmes convictions.
En effet, mes frères et sœurs,
des personnes de la famille de Chloé m’ont informé qu’il y a des rivalités entre vous.
Voici ce que je veux dire :
parmi vous, l’un déclare : « Moi, j’appartiens à Paul ! » ;
l’autre : « Moi à Apollos ! » ;
un autre encore : « Moi à Pierre ! »
mais moi j’appartiens au Christ. Pensez-vous qu’on puisse diviser le Christ ?
Est-ce Paul qui est mort sur la croix pour vous ?
Avez-vous été baptisés au nom de Paul ?
Dieu merci, je n’ai baptisé aucun de vous, à part Crispus et Gaïus.
Ainsi, personne ne prétendra que vous avez été baptisés en mon nom(…).
Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser :
il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle,
et cela sans utiliser le langage de la sagesse humaine,
afin de ne pas priver de son pouvoir la mort du Christ sur la croix.
En effet, proclamer la mort du Christ sur la croix est une folie pour ceux qui se perdent ;
mais nous qui sommes sur la voie du salut, nous y discernons la puissance de Dieu.
Voici ce que l’Écriture déclare :
« Je détruirai la sagesse des sages,
je rejetterai le savoir des gens intelligents. »

1 Corinthiens 1.10-19

Il y a une blague juive qui circule depuis très longtemps qui dit que quand 3 juifs sont ensemble, il y a 4 avis différents. Et j’ai entendu cette plaisanterie chez les protestants aussi, sous la forme : « Quand on a 3 protestants dans une ville, on y trouve 4 temples ». Oui, nous l’assumons, nous aimons le débat, nous tenons à nos différences, et nous tenons aussi à vivre ensemble. Ce qui parfois peut paraître un poil compliqué. Paul rencontre ça chez les Corinthiens. Il y a ceux qui se réclament de Paul, ceux qui se réclament d’Apollos et ceux qui se réclament de Pierre. Enfin, il y a ceux qui, comme Paul, se réclament de Christ. Examinons un peu ces dynamiques.



Les partis.


D’abord, il y a le parti de Paul, qui est peut-être composé de personnes qui se sont converties suite à sa prédication. Si c’est le cas, il s’agirait plutôt de non-juifs convertis à la foi chrétienne.

Il y a le parti d’Apollos, qui préférait l’éloquence d’Apollos à la manière de parler de Paul. Apollos, si l’on en croit le livre des Actes, était très bon prédicateur, connaissait très bien le premier testament, c’était un juif d’Alexandrie qui avait reçu le baptême de Jean-Baptiste et qui avait été instruit de la foi chrétienne par Priscille et Aquillas, lorsqu’il les rencontra à Éphèse. Il est possible que le parti d’Apollos ait été composé d’autres disciples de Jean-Baptiste.

Il y a le parti de Pierre, ou Képhas dans certaines versions, probablement un groupe de judéo-chrétiens venus de Palestine.

Et il y a enfin le parti de Christ, qui est sans doute le parti qui permet à tout ce beau monde de cohabiter dans une entente fraternelle.

En réalité, Paul insiste sur l’œuvre de la croix, ici.

En gros, il dit que ce qui compte, ce n’est pas nos préférences personnelles. Ce n’est pas notre culture. Ce n’est pas le parti dont nous nous revendiquons. Ce n’est pas non plus la performance ou la maîtrise technique. Ce qui compte, c’est le message de la croix. Et ce message est dérangeant pour nous qui sommes abreuvés de l’idéologie d’entreprise, qui vise à toujours être plus efficace, plus performant, et qui vise la réussite.

La croix c’est un échec cuisant. C’est un échec cuisant, et c’est un retournement : au final, avec le Christ, ce qui compte ce n’est pas le puissant, c’est le pauvre. Ce n’est pas l’adulte, c’est le petit enfant. Ce n’est pas la victoire de celui qui écrase ses ennemis, c’est la victoire de celui qui succombe à leurs assauts. Dieu nous promet un retournement, et donne la victoire à celui qui a été défait. Les premiers seront les derniers. Les serviteurs seront les maîtres. Les plus petits régneront. La croix montre ce retournement, et c’est ce qui est vraiment important pour Paul. C’est une folie pour ce monde. Mais c’est dans cette dynamique que se trouve la vérité chrétienne, vérité… que nous refusons de tout notre être. C’est que le sens de la croix dérange encore aujourd’hui, au 21è siècle.

Et il dérange même les personnes qui veulent suivre le Christ.

Moi je suis de Paul.

Moi d’Apollos.

Moi de Pierre.



Que nous dit l’esprit de parti ?


On a l’impression, en lisant l’apôtre Paul, que la communauté de Corinthe est divisée au sujet de l’autorité d’une personne, ou bien de ses orientations théologiques. On a l’impression que les partisans de Paul considèrent les partisans de Pierre comme des ennemis qu’il faudrait vaincre. Je veux avoir raison contre toi. Et si je peux t’écraser en t’humiliant, je le ferai. Terrible, l’esprit de parti.

Paul rappelle alors que l’esprit de parti ne vient pas de Dieu, que le sens de la croix nous pousse à reconnaître en l’autre un frère, une sœur, à qui nous devons tendre la main. Paul explique aux Corinthiens que les apôtres (ou les chefs de partis, si l’on veut) ne sont pas des médiateurs : les croyants sont à Dieu seul, et c’est l’Esprit qui est en eux qui permet la relation. Il ne faut pas confondre l’auteur du message avec le messager.

D’ailleurs, c’est à cette confusion que Paul s’attaque : prenons l’exemple d’Apollos. Apollos était un intellectuel formé à Alexandrie à la sagesse et à la philosophie juive hellénistique, comme Philon. C’était un orateur brillant et un exégète formidable, qui maîtrisait la lecture allégorique. Ses qualités ont fasciné une grande partie de l’Église de Corinthe.

Contrairement à ce que l’on a pu comprendre parfois, Paul ne critique pas du tout la manière dont Apollos exerce son ministère. Ce que Paul critique, c’est la manière dont les Corinthiens on reçu Apollos, c’est-à-dire comme le chef d’un parti. Il en va de même pour la manière dont Pierre et Paul ont été reçus. S’ils sont d’un parti, c’est du parti de Christ, point. Christ est-il divisé ? Eh bien même quand il y a des désaccords dans l’Église, ces désaccords ne devraient pas créer un esprit de parti. Ils ne devraient pas être clivants. Ils ne devraient pas diviser. J’aime les épinards, et toi tu ne les aimes pas… Allons-nous nous jeter des vilains mots à la tête à cause d’une histoire de préférences personnelles ? Est-ce à ces choses futiles que tient notre relation à Dieu ?



Le diabolos.


Je rappelle ici utilement que le diable, c’est celui qui divise, celui qui accuse, celui qui calomnie. Là aussi, ce qui divise, ce n’est pas le fait d’avoir une autre opinion que mon frère ou que ma sœur. Ce qui divise, c’est de faire de cette opinion un objet de clivage. C’est de projeter sur l’autre du soupçon, et de faire de l’autre autre chose qu’un frère ou une sœur en Christ. C’est d’en faire un ou une ennemi·e. Nous devons résister au diable.

Diable, ici, bien évidemment, est à prendre au sens symbolique. Il ne s’agit pas de prétendre qu’il existe un être concret animé d’une volonté de détruire parce qu’il serait pervers depuis le début. Il s’agit plutôt selon moi d’une force qui mène notre égo par le bout du nez en voulant lui donner une image surdimensionnée de son importance réelle. Tout ce qui écrase l’autre est diabolos. Tout ce qui ferme le clapet de l’autre est diabolos. Tout ce qui veut couper la relation à l’autre est diabolos. Accorder plus d’importance à notre idéologie qu’à la personne, c’est faire le jeu du diabolos. L’esprit de parti, celui qui clive et qui me pousse à ne plus reconnaître l’autre comme étant un être humain, avec des sentiments, des émotions, une histoire… voilà le diable auquel nous devons résister fermement.

La grande difficulté, c’est de trouver où se situe la limite de l’angélisme. Pour donner une image (qui ne vaut que ce qu’elle vaut), je vois notre Église comme une grande bâtisse dont les portes sont ouvertes. Ces portes indiquent : « Venez comme vous êtes. Vous êtes libres d’entrer et de sortir à votre guise. Vous êtes libres de rester qui vous êtes, avec vos qualités, avec vos défauts, avec tout ce qui fait que vous êtes une personne différente des autres ». Alors les gens vont et viennent, certaines personnes restent et s’inscrivent dans une relation durable avec elle, en s’engageant, en s’impliquant concrètement, et d’autres piochent ici et là ce dont elles ont besoin pour avancer dans leur vie. Et c’est très bien, cette ouverture : elle est la raison pour laquelle je me suis senti bien dans cette Église Protestante Unie de France.

Cependant je vois un point de vigilance. Il y a des personnes qui ont le désir de fermer la porte. C’est-à-dire que le principe de la porte ouverte les dérange, et elles souhaitent devenir gardiennes des portes pour fermer l’accès de l’Église à celles et ceux qui ne correspondent pas à leurs critères. Je me dis qu’il est important de bien réfléchir, collectivement, à la manière dont nous préservons l’ouverture de nos portes, sans mettre dehors qui que ce soit, mais en n’autorisant personne à prendre le contrôle de fermeture de nos portes. En veillant à ce que chaque personne se sente bien accueillie. Et les personnes qui veulent absolument fermer nos portes restent libres de sortir et de bâtir leur propre édifice avec des portes qu’ils pourront gérer à leur guise. Ce n’est pas un rejet de ces personnes, dans mon cœur, c’est une vraie volonté de préserver l’esprit de dialogue et d’ouverture qui nous caractérise, en tant qu’Église protestante. C’est ne pas permettre au diabolos de prendre place. Et pour parler un langage clair : il n’est pas question d’exclure un parti théologique, il est question de poser des limites à des personnes qui voudraient s’emparer des portes.

Nos différences ne doivent jamais nous pousser à regarder l’autre comme un ennemi. Nos préférences personnelles ne doivent jamais être le terreau de la division. Nous pouvons trouver un moyen de faire vivre ces différences, dans le respect et dans l’entente fraternelle. Résistons au diable.




Le changement.


Un pasteur me disait l’autre jour que l’Église qu’il connaît aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’Église qu’il connaissait quand il était jeune. Et dans son discours, il ressentait des pointes de nostalgie, parce qu’il y avait des choses qu’il aimait bien dans l’Église de sa jeunesse, mais il m’a dit qu’en même temps il était content de ce que son Église était devenue, parce qu’elle a été capable de se remettre en question pour essayer d’être pertinente là où elle se trouve. Que certaines choses lui manquaient, mais que ces choses appartenaient au passé, et que c’est comme ça.

Regardez-moi : je n’ai plus les longs cheveux bouclés que j’avais lorsque j’étais adolescent. D’une part, j’ai plein de cheveux gris, et d’autre part, quand je les laisse pousser, ils sont tous plats. C’est fini. Ça appartient au passé. C’est comme ça, je dois vivre avec ça.

En même temps il y a des choses que nous devons garder car elles sont la marque d’une histoire, notre histoire. Il nous faut trouver comment articuler mémoire et modernité, hier et aujourd’hui, nostalgie et créativité, car ces deux pôles sont importants. Si nous focalisons sur un seul de ces pôles, alors nous allons créer un clivage. Or, nous appartenons au Christ, et rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. Quelles que soient nos opinions, nous avons un même Père qui nous aime également, qui bénit nos projets et qui fait avancer son Royaume en nous et par nous. Nous avons à résister au diable et à apprendre à faire de la place à l’autre et à ses idées, tout en veillant à ne pas perdre notre place.

Apprendre, en un mot, à vivre ensemble.

Dans une même foi.

Pour la gloire de Dieu.



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Comments (3)

  • Ulmann

    20 juin 2021 at 13:58

    Merci Lionel, voilà une parole qui tombe bien en ce jour d’élections.
    Amitiés
    jmu

    1. Lionel Thébaud

      20 juin 2021 at 20:39

      Merci à toi d’avoir repéré que – sans le vouloir, honnêtement – ça collait fort bien avec l’actualité politique !

  • marc antoine

    21 juin 2021 at 21:48

    superbe article que j’attendais avec impatience, la complexité de l’humain à trouver des compromis pour le « vivre enssemble », c’est presque un exercice de tout les jours. merci.

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