Accueillir les autres

4 juin 2023Lionel Thébaud

Dans la lettre aux Hébreux, il est écrit : « N’oubliez pas de pratiquer l’hospitalité ». Mais accueillir l’autre, qui vient d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire ? Quelle est l’intention de cette exhortation ? Et qu’est-ce que ça peut changer en nous ?

La lettre aux Hébreux

La lettre aux Hébreux n’est pas une lettre. Elle n’a pas du tout la forme des lettres de l’antiquité. En revanche, elle est une prédication.

On a cru que l’apôtre Paul avait écrit ce texte. Que nenni ! L’auteur se place en retrait, il parle de Dieu et il fait de Jésus-Christ le Grand-prêtre juif parfait qui réalise un sacrifice parfait, le seul sacrifice que Dieu aurait pu accepter. L’auteur, donc, s’efface, et ce n’est jamais le cas de Paul, qui parle beaucoup de lui.

L’auteur reste anonyme, mais il connaît bien les traditions juives, même si on trouve ça et là quelques approximations. On remarque qu’il a lu Philon d’Alexandrie, ce qui fait de lui quelqu’un de cultivé dans la société grecque. On estime que ce texte a été écrit après la destruction du temple, sans doute vers 80-90, c’est-à-dire dans la même décennie que Matthieu et Luc, et que des communautés juives en sont destinataires.

Jusqu’à la fin du chapitre 12, on a une prédication. Mais le chapitre 13 est rempli de recommandations, comme celles qu’on retrouve dans une lettre. C’est donc à cause de ce chapitre 13 qu’on a appelé ce texte « lettre aux Hébreux ».

Il semble que les auditeurs de la lettre soient des gens plutôt aisés qui sont en position de donner, de partager, de redistribuer ce qu’ils ont. L’auteur les appelle donc à pratiquer l’hospitalité envers les étrangers, au verset 2, puis à visiter les personnes qui sont en prison (verset 3), à former des foyers solides et solidaires (verset 4), à se méfier de l’amour de l’argent (verset 5), à ne pas se laisser capter par les préoccupations de la société (versets 13 et 14), à redistribuer leur argent aux personnes qui en ont besoin (verset 16), etc. Des recommandations éthiques, donc.

L’hospitalité, ou la nécessité d’accueillir

Ces détails sont toujours un peu fastidieux, ça fait scolaire, mais c’est important pour moi de situer le texte. Maintenant, passons aux choses sérieuses : la recommandation éthique qui nous intéresse particulièrement ce matin c’est celle relative à l’hospitalité.

« N’oubliez pas de pratiquer l’hospitalité. En effet, en la pratiquant, certains ont accueilli des anges sans le savoir. »

Pardon ? Certains ont accueilli des anges ? Sans le savoir ?

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Un peu de vocabulaire.

Hospitalité, dans le grec de ce passage, c’est xénophilie. Xénophilie, vous l’entendez, c’est le contraire de xénophobie. C’est compliqué, parce que le racisme existe, et qu’il imprègne nos cultures. Souvent, nous sommes racistes sans le vouloir. Mais le prédicateur aux Hébreux nous dit : puisque vous adorez Dieu, soyez xénophiles. Aimez les étrangers.

Il y a un effort à faire.

Je comprends qu’on ait peur des étrangers, peur de perdre notre culture ou je ne sais quoi, tout ça je peux l’entendre et il faut créer des lieux où la peur puisse s’exprimer sans jugement. Il faut des personnes capables d’entendre cette peur. Mais en tant qu’enfants de Dieu, nous avons à ouvrir nos cœurs aux étrangers. Même si on est raciste.

Mais xénophilie – ou hospitalité – ça va plus loin que le fait d’ouvrir nos cœurs. Il s’agit – avec le cœur – d’ouvrir nos mains. Et nos maisons. Il s’agit de partager, de prendre soin, de redistribuer.

Nulle part vous ne trouverez dans la bible qu’il est positif de garder pour soi et de mettre vos biens sur un compte en banque pour qu’ils fassent des intérêts. Partout vous lirez qu’on ne peut pas à la fois servir Dieu et l’argent. Et qu’être chrétien, ou chrétienne, c’est être généreux ou généreuse.

Là, dans notre texte, c’est principalement les personnes étrangères que nous sommes encouragé·e·s à accueillir.

Accueillir des anges (1)

C’est quoi cette histoire d’anges ? Les anges sont des créatures ailées qui peuplent tous les imaginaires de toutes les religions du monde – ou presque. Mais ange, ça veut surtout dire « messager », « porteur d’une nouvelle », et on entend le mot ange dans « évangile », bonne nouvelle. Dans la bible, on donne plusieurs sens au mot « ange », mais en gros, les messagers envoyés par Dieu disent la présence de Dieu parmi les êtres humains. Regardons quelques passages des Écritures de plus près.

Voici ce qu’on lit en Luc 9 :

Lorsque le moment approcha où Jésus devait être enlevé au ciel, il prit la ferme résolution de se rendre à Jérusalem. Il envoya des messagers (anges) devant lui. Ceux-ci partirent et entrèrent dans un village de la Samarie pour lui préparer tout le nécessaire. Mais les habitants refusèrent de le recevoir parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Quand les disciples Jacques et Jean apprirent cela, ils dirent : « Seigneur, veux-tu que nous commandions au feu de descendre des cieux et de les exterminer ? » Jésus se tourna vers eux et leur fit des reproches. Et ils allèrent dans un autre village.

Certains des disciples de Jésus sont appelés des anges dans ce passage.

Accueillir des anges (2)

Dans la lettre de Jacques, au chapitre 2, nous lisons ceci :

Rahab la prostituée fut reconnue comme juste à cause de ses actes, car elle avait accueilli les messagers (anges) israélites et elle les avait fait partir par un autre chemin. En effet, de même que le corps sans le souffle de vie est mort, de même la foi sans les actes est morte.

Les espions israélites venus pour trouver comment prendre la ville de Jéricho sont ici appelés des anges. Étonnant, non ?

Dernier exemple, dans le livre de l’apocalypse. Dans une vision, le prophète entend Dieu qui lui dit :

Écris à l’ange de l’Église de [telle ville].

Vous avez déjà essayé d’écrire à un ange, vous ? C’est étrange !

En fait, dans le judaïsme de l’époque, on désignait souvent les justes – les personnes qui avaient fait la volonté de Dieu – par ce mot : anges. Donc on pourrait traduire : « Écris au juste de telle Église ». On imagine le représentant d’une communauté. Peut-être le pasteur, ou la présidente du conseil presbytéral !

L’hospitalité d’Abraham

Tout ça pour dire que le mot « ange » peut désigner un être céleste, un annonciateur de nouvelle, un disciple de Jésus, un espion ou un ministre de l’Église, par exemple. Dans tout les cas c’est quelqu’un d’important, parce que c’est une personne qui porte la présence de Dieu.

Le prédicateur aux Hébreux nous dit qu’en exerçant l’hospitalité auprès des étrangers, c’est exactement ce qu’on fait : on accueille la présence de Dieu. Et le texte le plus fort auquel notre prédicateur fait écho se trouve en Genèse 18.

Souvenez-vous.

Abraham est devant sa tente, et il voit 3 hommes qui passent. Il devient fou de joie, et il dit à Sarah de préparer à manger pour accueillir ces étrangers bien comme il faut. On apprend plus tard que ces étrangers étaient des messagers de Dieu, venus pour voir ce qui se passe dans la ville de Sodome.

Sodome, que Dieu va juger justement à cause de son inhospitalité, à cause de sa xénophobie : les habitants de la ville maltraitent les étrangers ! En accueillant ces étrangers, Abraham accueille la présence de Dieu, et Dieu se révèle à lui et lui annonce qu’il sera béni, et que par lui toutes les nations (tous les étrangers, donc) seront bénis.

La boucle est bouclée. Enfin, je crois.

So help me God

A la fin du chapitre 13, le prédicateur aux Hébreux élève cette prière :

Dieu, source de la paix, a ramené d’entre les morts notre Seigneur Jésus, devenu le grand berger des moutons grâce à son sang, qui garantit l’alliance éternelle. Que ce Dieu vous rende capables de pratiquer tout ce qui est bien, pour que vous fassiez sa volonté ; qu’il réalise en nous ce qui lui est agréable, par Jésus Christ, à qui soit la gloire pour toujours ! Amen.

Cette prière nous dit que Dieu rend les fidèles capables de pratiquer tout ce qui est bien. C’est la promesse que Dieu nous donnera tous les outils dont nous avons besoin pour faire sa volonté.

Quels sont ces outils ?

Quand je regarde ma vie, je me dis que souvent, ce qui me manque pour faire la volonté de Dieu, c’est le désir de faire sa volonté (c’est-à-dire l’envie de faire passer les intérêts du Royaume de Dieu avant mes propres intérêts), et c’est la confiance, aussi, dans le fait qu’il va m’aider.

Eh bien justement, la volonté et la confiance, je me dis que ce sont des outils que Dieu met à ma disposition, qu’ils sont là, en moi, et que je n’ai plus qu’à m’en servir.

Et toi, quels sont les outils dont tu as besoin ? Crois-tu que Dieu te les a déjà offerts en cadeau, et que tout ce qu’il te faut pour participer à son œuvre, c’est de te mettre au travail ?

Accueillir l’autre comme on accueille la grâce

Il faut le rappeler : nous avons des choses à faire, mais ces choses, nous ne les faisons pas pour être aimés de Dieu ou pour accéder au salut.

Dieu nous aime. Point.

Il nous a sauvés. Point.

Et s’il fallait faire quelque chose pour recevoir l’amour de Dieu, alors considérez ce que Jésus a fait : « Dieu, source de la paix, a ramené d’entre les morts notre Seigneur Jésus, devenu le grand berger des moutons grâce à son sang, qui garantit l’alliance éternelle. »

Si vraiment vous avez besoin de faire quelque chose pour mériter votre salut, alors voyez : quelqu’un l’a déjà fait à votre place, il a donné le sang de sa vie, et c’est le sang d’une alliance indestructible. Dieu nous a prouvé son amour.

Maintenant, par amour, nous voulons entrer dans les œuvres qu’il a préparées d’avance. Et c’est comme ça que nous allons jouer notre partition. Pas par devoir, pas en vue d’une récompense, mais parce que l’amour nous y pousse.

N’oubliez pas l’hospitalité

Et parce que l’amour nous y pousse, justement, nous n’allons pas oublier l’hospitalité.

Nous allons nous questionner et réfléchir ainsi : qu’est-ce que je peux faire pour montrer de l’hospitalité ? Je sais que telle personne est dans le besoin – besoin financier, besoin d’amitié, besoin d’une oreille attentive… Besoin de manger, besoin de faire un break, besoin d’un coup de pouce… Qu’est-ce que je peux faire ?

Ces questions-là, que vous vous posez parfois, ce n’est pas de la culpabilité.

C’est une prise de conscience que si vous n’agissez pas selon l’amour, vous passez à côté de votre vocation.


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