Ruth et le changement climatique

11 juin 2023Lionel Thébaud

L’avenir est assez angoissant. Surtout quand on regarde aux prévisions des scientifiques concernant la planète. Le changement climatique bouleverse nos sociétés, et encore, il semble que ce que nous vivons aujourd’hui en la matière n’en soit que l’apéritif. Y a-t-il une porte de sortie ? Difficile de répondre. Mais ce qui m’apparaît certain, c’est que nous pouvons nous organiser. Et à ce titre, il m’a semblé intéressant de faire le lien entre Ruth et le changement climatique. Voyons quels enseignements nous pouvons en tirer.

Ruth – le récit

L’histoire que raconte le livre de Ruth se passe au temps des juges. Noémi, qui vit en Israël et qui pratique la foi de ses ancêtres, quitte son pays avec son mari et ses deux fils, parce qu’il y a une famine en Israël. Comme à chaque fois quand il y a une famine quelque part, on va voir ailleurs si on a une chance de survivre.

Ce couple quitte donc Israël pour aller dans le pays de Moab, qui se trouve à l’est de la mer morte. Mais les Moabites ne sont pas les amis d’Israël. Les relations sont tendues depuis des générations. Naomi et son mari viennent donc s’installer dans ce pays ennemi, comme des étrangers.

Là, dans cette nouvelle vie, les enfants du couple se marient. Deux femmes Moabites intègrent la famille juive. Parmi elles, il y a Ruth. Puis assez rapidement, les trois hommes meurent. On fuit la famine pour ne pas mourir, et voilà qu’on meurt quand-même. C’est malheureusement ce que vivent beaucoup de gens qui fuient la mort.

Noémi décide de retourner en Israël – que va-t-elle faire seule et veuve dans ce pays qui n’est pas le sien ? Si encore elle avait pu s’établir, elle serait restée, mais là, il n’y a rien pour elle. Alors elle retourne dans le pays de ses ancêtres.

Ruth veut l’accompagner… Elle ira partout où Noémi ira.

Arrivée en Israël, Ruth va croiser le chemin de Booz, qui va vouloir se marier avec elle. Si bien qu’à la fin, ils donnent naissance au grand-père du roi David, l’ancêtre de Jésus ! Noémi, du coup, devient une femme qui a permis la naissance du messie des chrétiens.

L’exode climatique

Ce récit, bien entendu, vous pouvez le lire dans le livre biblique appelé Ruth, tout simplement. Seulement 4 chapitres, c’est vite lu et je vous assure que si vous prenez bien le temps, vous allez découvrir la richesse de ce tout petit livre, qui pose plein de questions à des occidentaux du 21è siècle.

Comment cette histoire peut-elle donc nous parler à nous aujourd’hui ? D’abord, on a cette histoire de famine et de migration. Ces histoires résonnent particulièrement. En effet, avec le changement climatique, les scientifiques prévoient que nous allons vers des situations de plus en plus difficiles : certains pays vont subir des inondations répétées, tandis que d’autres vont subir des sécheresses infernales et des incendies.

On constate que depuis 10 ans, chaque année dans le monde, c’est plus de 20 millions de personnes qui migrent à cause du climat. C’est deux fois plus que les personnes qui migrent à cause de la guerre. Mesure difficile, puisqu’on ne sait pas toujours quelles guerres sont causées par le climat. On estime qu’on atteindra 216 millions de réfugiés climatiques en 2050.

L’histoire de Ruth et Noémi nous aide à mesurer la détresse des personnes qui cherchent un endroit où ils pourront survivre.

S’arracher et s’enraciner

Quand un tchadien est riche et qu’il veut venir en France, il ne rencontre pas beaucoup de difficultés. L’argent lui ouvre les portes, et son niveau social lui donne des facilités pour apprendre la langue et les codes de vie en société. Mais quand un tchadien pauvre arrive en France, quelles sont ses chances de s’intégrer ?

La volonté ne suffit pas. Notre paroisse a accueilli 3 jeunes mineurs en provenance de pays d’Afrique, il y a 3 ans. Aujourd’hui, ils sont vraiment en bonne voie d’être autonomes. Je peux vous assurer que sans l’acharnement de deux paroissiennes, on n’en serait pas là : notre paroisse a été généreuse, elle a donné ce qu’il fallait pour leur assurer le nécessaire, mais l’argent ce n’est pas suffisant. Il fallait que quelqu’un soit présent et les accompagne dans leurs démarches.

Nos enfants, quand ils ont 18 ans, ont besoin de notre aide pour se dépatouiller dans cette société. Alors imaginez ces jeunes qui viennent d’une autre culture, et dont les repères sociaux et administratifs ne sont pas du tout les mêmes ! Il faut quelqu’un qui fasse le pont entre leur culture et la notre, quelqu’un qui prenne le temps de la relation et de l’explication, quelqu’un qui ne les expédie pas.

C’est ce qu’a fait Noémi avec Ruth : elle lui a expliqué les règles de son pays et de sa religion. Elle l’a accompagnée pour qu’elle se comporte comme il faut auprès de Booz, afin qu’elle puisse trouver sa place dans la société. Il en a fallu de l’énergie et de la patience.

Et Booz aussi c’est un beau personnage, parce qu’il a été touché par la situation de Ruth, et il a tout mis en œuvre pour ne pas l’expédier. Il a accepté de l’accueillir.

Ruth et l’agriculture

Il n’y a pas que la question de la famine et des migrants qui fait le lien entre le livre de Ruth et la Création. Il y a tout un contexte agricole.

D’abord, le mari de Noémi vient de Bethléhem, et c’est la que Noémi revient vivre. Bethléhem… ça veut dire : « la maison du pain » ! C’est dans cette maison qu’il n’y avait plus de pain.

Et justement, à son retour, elle envoie Ruth glaner l’orge dans les champs de Booz. Au moment de la moisson, le cultivateur emploie des ouvriers pour récupérer les épis. Ce travail n’est pas des plus faciles, et on laisse toujours quelques épis derrière soi, parce qu’il faut aller vite et qu’on ne peut de toute façon pas tout ramasser.

Le glanage, c’est une pratique très ancienne qui consiste à autoriser les pauvres à récupérer les grains de blé qui ont échappé aux ouvriers. La loi juive dit : « Quand tu moissonnes, ne coupe pas les épis qui ont poussé en bordure de tes champs, et ne retourne pas ramasser les épis oubliés ; ne repasse pas non plus dans tes vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Laisse-les pour les pauvres et pour les immigrés. Je suis le Seigneur votre Dieu. » Et la conclusion de ce passage de la loi se termine au verset 18 avec cette phrase bien connue : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Ça veut dire : si tu fais ça, si tu permets au pauvre et à l’étranger de se nourrir, ça montre que tu aimes ton prochain.

Ruth est donc autorisée à ramasser les épis non moissonnés.

Dépasser la loi

Et le récit indique que Booz l’autorise même à glaner alors que les ouvriers n’ont pas fini leur travail – c’est-à-dire qu’elle a le droit de prélever des épis là où normalement les pauvres n’ont pas le droit de glaner. Ça montre la générosité de Booz, qui n’hésite pas à aller au-delà de la loi, par amour pour son prochain.

Est-ce qu’il nous arrive d’aller au-delà de la loi par amour pour notre prochain ?

Quand nous avons suffisamment d’argent pour acheter des légumes au juste prix auprès d’un petit paysan, est-ce qu’on ne préfère pas en général faire ses courses au supermarché pour mettre de l’argent de côté ? Pourtant, on sait combien les supermarchés payent mal leurs paysans…

La loi, souvent, nous permet de nous cacher derrière notre égoïsme.

Booz nous montre qu’on peut faire mieux que ce que la loi exige, et c’est le message de Jésus dans les Évangiles ! C’est tout le message du nouveau testament, d’ailleurs ! Nous pouvons faire mieux que la loi ! Encore faut-il aimer son prochain…

Booz est même généreux au point d’inviter Ruth à manger avec les moissonneurs ! La loi ne l’y obligeait pas, mais l’esprit de la générosité qui habite tous ceux et toutes celles qui reconnaissent Dieu comme leur Père l’a poussé à aller au-delà de la loi.

Ruth : un livre d’interactions

Souvent, quand on parle d’écologie, on parle de la nature, de l’environnement, de l’agriculture même parfois, en oubliant que les conséquences écologiques ont un impact sur les sociétés humaines.

On oublie que quand on prend soin de la nature, on prend soin des solidarités humaines. Et on oublie que pour résoudre les crises écologiques, il faut développer le plus possible les actions de solidarité.

Bien sûr, il faut prendre la nature en compte et améliorer nos pratiques. Il faut mieux consommer. Il faut moins polluer. Bien sûr. Mais en même temps il faut prendre soin de l’autre, notre prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes en lui donnant ce dont il a besoin pour trouver sa place dans ce monde.

Il n’y a pas d’écologie sans solidarité : l’écologie (la vraie) se préoccupe au fond de tout ce qui fait les relations entre les êtres vivants et leur environnement, ainsi qu’entre les êtres vivants entre eux. Donc, l’écologie s’intéresse aussi aux relations entre les êtres humains.

L’écologie cherche la justice et les relations équilibrées.

S’il n’y a pas la prise en compte de tout l’humain, ce n’est pas de l’écologie. Tout ce que vous faites ici et aujourd’hui a un impact sur le monde qui vous entoure. Et quand vous tendez la main à une personne, ça change sa vie.

Vous n’en voyez pas toujours les fruits tout de suite – mais c’est normal : quand vous transplantez un arbre, vous devez avoir un peu de patience. Les fruits ne viendront que plus tard. Surtout si les conditions de la transplantation ne sont pas idéales. Il faut du temps et de la patience. Et surtout, beaucoup d’amour. Parce l’arbre transplanté doit d’abord refaire ses racines.

Changement climatique : comment se comporter ?

Au final, le fruit de l’amour de Ruth et Booz, c’est la naissance du Messie. C’est l’espérance que tout sera rétabli, restauré. C’est la venue du Royaume de Dieu, dans lequel tout est bien.

Je termine alors avec cette promesse évangélique : Jésus est venu, nous dit Paul, pour restaurer toute chose. Ce n’est pas quelque chose de magique, c’est une promesse liée à l’idée que si nous avons vraiment confiance en Dieu, alors nos comportements changeront.

Si la foi nous habite vraiment, alors par amour, il y a des choses que nous ne ferons plus, et d’autres choses que nous ferons, parce que nous ne serons pas soumis à notre intérêt personnel, mais nous regarderons aux intérêts des autres.

Je suis persuadé que si nous nous laissons toucher par l’Esprit de Dieu, alors nos comportements vont changer. Et que, par amour, nous allons chercher à mieux faire ce que nous faisons, à mieux consommer, à faire attention à notre environnement, à être plus généreux et à soutenir comme nous pouvons les actions qui visent à défendre l’environnement.

Nous allons aussi veiller à exercer l’hospitalité, en organisant l’accueil des réfugiés, notamment climatiques. Parce que nous savons que l’écologie et la solidarité sont liées, dans un même élan de foi.


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