Zacharie et Élisabeth… le début d’une révolution spirituelle ?
Pour cet article, j’ai regroupé les passages qui parlaient de Zacharie et d’Élisabeth, les parents de Jean le Baptiseur (« Jean-Ba » pour les intimes). J’ai voulu m’intéresser à la dynamique du récit au tout début de l’évangile selon Luc, et en tirer des conséquences pour notre foi. Et j’ai vu que Luc organisait une révolution… spirituelle !
Présentation de Zacharie et d’Élisabeth
Au temps où Hérode était roi de Judée,
il y avait un prêtre nommé Zacharie
qui appartenait au groupe de prêtres d’Abia.
Sa femme, une descendante d’Aaron le grand-prêtre, s’appelait Élisabeth.
Ils étaient tous deux justes aux yeux de Dieu
et ils suivaient toutes les lois et les commandements du Seigneur.
Mais ils n’avaient pas d’enfant,
car Élisabeth ne pouvait pas en avoir
et ils étaient déjà âgés tous les deux.
Un jour, Zacharie exerçait ses fonctions de prêtre devant Dieu,
car c’était au tour de son groupe de le faire.
Selon la coutume des prêtres,
il fut désigné par le sort pour entrer dans le sanctuaire du Seigneur
et y brûler l’encens.
Une foule de gens du peuple priait au-dehors
à l’heure où l’on brûlait l’encens.
Un ange du Seigneur apparut alors à Zacharie :
il se tenait à la droite de l’autel où on brûlait de l’encens.
Quand Zacharie le vit,
il fut troublé et saisi de crainte.
Mais l’ange lui dit :
« N’aie pas peur, Zacharie, car Dieu a entendu ta prière :
Élisabeth, ta femme, te donnera un fils
auquel tu donneras le nom de Jean.
Tu en seras profondément heureux
et beaucoup de gens se réjouiront au sujet de sa naissance.
Car il sera grand aux yeux du Seigneur.
Il ne boira ni vin, ni aucune autre boisson alcoolisée.
Il sera rempli de l’Esprit saint dès le ventre de sa mère.
Il ramènera beaucoup d’Israélites au Seigneur leur Dieu.
Il marchera devant, sous le regard du Seigneur,
avec l’esprit et la puissance du prophète Élie,
pour réconcilier les pères avec leurs enfants.
Il ramènera les désobéissants à la sagesse des justes ;
il préparera un peuple bien disposé pour le Seigneur. »
Zacharie dit à l’ange :
« Comment saurai-je que cela est vrai ?
Car je suis vieux et ma femme aussi est âgée. »
L’ange lui répondit :
« Moi, je suis Gabriel ; je me tiens devant Dieu pour le servir ;
il m’a envoyé pour te parler et t’apporter cette bonne nouvelle.
Mais tu n’as pas cru à mes paroles,
qui s’accompliront pourtant au moment voulu ;
c’est pourquoi tu deviendras muet,
tu seras incapable de parler jusqu’au jour où ces événements arriveront. »
Pendant ce temps, le peuple attendait Zacharie
et s’étonnait qu’il reste si longtemps à l’intérieur du sanctuaire.
Mais quand il sortit,
il était incapable de leur parler
et les gens comprirent qu’il avait eu une vision dans le sanctuaire.
Il leur faisait des signes et restait muet.
Quand Zacharie eut achevé la période où il devait servir dans le temple,
il retourna chez lui.
Quelque temps après, Élisabeth sa femme devint enceinte,
et elle se tint cachée pendant cinq mois.
Elle se disait :
« Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi :
il a bien voulu me délivrer maintenant
de ce qui causait ma honte devant tout le monde. »
Le moment arriva où Élisabeth devait accoucher
et elle mit au monde un fils.
Ses voisins et les membres de sa parenté apprirent
que le Seigneur lui avait donné cette grande preuve de sa bonté
et ils s’en réjouissaient avec elle.
Le huitième jour après la naissance,
ils vinrent pour circoncire l’enfant ;
ils voulaient lui donner le nom de son père, Zacharie.
Mais sa mère déclara :
« Non, il s’appellera Jean. »
Ils lui dirent :
« Mais, personne dans ta famille ne porte ce nom ! »
Alors, ils demandèrent par gestes au père comment il voulait qu’on nomme son enfant.
Zacharie se fit apporter une tablette à écrire
et il y inscrivit ces mots :
« Jean est bien son nom. »
Ils s’en étonnèrent tous.
Aussitôt, Zacharie put de nouveau parler :
il se mit à louer Dieu à haute voix.
Alors, tous les voisins éprouvèrent de la crainte,
et dans toute la région montagneuse de la Judée on se racontait ces événements.
Tous ceux qui en entendaient parler y repensaient et ils se demandaient :
« Que deviendra donc ce petit enfant ? »
La puissance du Seigneur était en effet avec lui.
Zacharie, le père du petit enfant,
fut rempli de l’Esprit saint ;
il se mit à prophétiser :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu du peuple d’Israël,
parce qu’il est venu secourir son peuple et l’a délivré !
Il a fait lever pour nous une force qui nous sauve,
parmi les descendants du roi David, son serviteur.
C’est ce qu’il avait annoncé depuis longtemps par les prophètes de Dieu :
il avait promis qu’il nous délivrerait de nos ennemis
et du pouvoir de tous ceux qui nous veulent du mal.
Il a manifesté sa bonté envers nos ancêtres
et il s’est souvenu de son alliance qui est sainte.
En effet, Dieu avait fait serment à Abraham, notre ancêtre,
de nous libérer du pouvoir des ennemis
et de nous permettre ainsi de le servir sans peur,
en vivant tous les jours d’une façon digne de lui,
accordée à sa volonté et sous son regard.
Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Dieu très-haut,
car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses chemins
et pour faire savoir à son peuple qu’il vient le sauver
en pardonnant ses péchés.
Notre Dieu est plein de tendresse et de bonté :
il fera briller sur nous une lumière d’en haut,
semblable à celle du soleil levant,
pour éclairer ceux qui se trouvent dans la nuit et dans l’ombre de la mort,
pour diriger nos pas sur le chemin de la paix. »
L’enfant grandissait et son esprit se développait.
Il demeura dans des lieux déserts
jusqu’au jour où il se présenta publiquement devant le peuple d’Israël.
Evangile selon Luc, chapitre 1, versets 5 à 25 et 57 à 80.
Celui qui a écrit l’évangile selon Luc connaissait très bien les Écritures juives traduites en grec. Cependant, il ne connaissait pas très bien le judaïsme ni même la Judée : on voit des descriptions très approximatives des rites juifs et de la géographie palestinienne.
On pense généralement que l’auteur de cet évangile, que l’on appelle Luc pour plus de commodité, était un grec que l’on appelait un « craignant-Dieu », c’est-à-dire quelqu’un qui, bien que n’étant pas juif, cherchait à suivre les enseignements des rabbins sans pour autant se convertir.
On pense qu’il écrit vers 85 après Jésus-Christ, c’est-à-dire 15 ans après la destruction du Temple de Jérusalem, et quelques 55 ans après la mort de Jésus-Christ. Luc place le début de son récit sous le règne d’Hérode le Grand, qui a régné de l’an -37 à l’an -4, à l’époque, donc, où le temple était encore debout.
Une révolution spirituelle qui naît… dans le temple !
Le temple… Le premier récit du texte que nous avons lu a lieu exclusivement dans le temple. Luc est tellement fasciné par le Temple, que tout son évangile est encadré par cet édifice religieux : notre récit débute son évangile dans le temple, et le dernier verset de son évangile se situe dans le temple.
Ainsi, dès le début de son histoire, Luc introduit deux personnages qui sont liés au temple : Zacharie et Élisabeth. Zacharie, c’est un prêtre. Élisabeth est descendante du grand-prêtre Aaron, le frère de Moïse dans la tradition juive. Voilà un couple pieux, appartenant à la classe des prêtres, un couple modèle, dirons-nous, et pourtant voilà un couple qui ne pouvait pas avoir d’enfants.
Encore un.
Vous avez vu combien la Bible aime bien ces histoires où les gens ne peuvent pas avoir d’enfants ? C’est vraiment le thème récurrent. Bref.
Pour Zacharie, c’était plié : ils étaient tous les deux trop vieux pour espérer avoir des enfants.
Zacharie se trouve dans le temple, l’ange Gabriel lui rend visite et lui annonce que son épouse va donner naissance à un garçon, mais Zacharie n’y croit pas. Alors l’ange le rend muet jusqu’à ce que l’enfant naisse et que Zacharie lui donne le nom que sa chérie a choisi. Puis Zacharie se lance dans un poème prophétique.
Le récit d’une révolution antérieure
Mais je m’emballe, je vais trop vite.
Est-ce que cette situation vous rappelle une histoire ?
… ?
Une femme stérile dans un couple trop vieux ?
Abraham et Sarah, oui, bien sûr !
Élisabeth, donc, stérile comme la matriarche, et Zacharie incrédule, comme Abraham l’a été en Genèse 17, où Abraham dit à Dieu : « Comment aurai-je un enfant, moi qui ai cent ans, et comment Sara qui en a 99 deviendrait-elle mère ? », et comme Sarah l’a été en Genèse 18, où il est écrit : « Elle se mit à rire en elle-même, car Abraham et elle étaient déjà vieux et elle avait passé l’âge d’avoir des enfants ».
Remarquez la réponse de Zacharie à l’ange au v.18 : « A quoi le saurai-je ? Car je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge ». C’est presque mot pour mot ce qui est écrit en Genèse 17.
Notez aussi que, dans Genèse 18, on raconte que trois personnages rendent visite à Abraham et Sarah, et on devine plus tard que ces 3 personnages sont en fait Dieu lui-même et 2 de ses anges.
Chez Luc, on a aussi un ange – et pas n’importe lequel ! – qui apporte son message à Zacharie (mais pas à Élisabeth).
Dans les deux récits, le message est le suivant : « tu vas avoir un fils, ce sera quelqu’un d’important ». Dans les deux récits on a la stérilité, l’apparition angélique, l’incrédulité…
De l’incrédulité, donc, dans la bouche d’Abraham, de l’incrédulité aussi dans la bouche de Sarah. Et de l’incrédulité, encore, chez Zacharie. On voit bien comment Luc reprend Genèse pour développer son histoire, et posons-nous la question : pourquoi fait-il ça ? Je suis curieux de savoir ce qui se joue, dans le message qu’il veut transmettre aux non-juifs de son époque…
Au coeur de cette révolution spirituelle
Pour essayer de comprendre son projet, il faut reprendre le cœur du cantique de Zacharie, les versets 72 à 74 : « il a manifesté sa grâce envers nos ancêtres et il s’est souvenu de son alliance qui est sainte. En effet, Dieu avait fait serment à Abraham… »
Et là, nous avons un dévoilement sur le projet théologique de Luc. Je vous montre ?
Jean, en hébreu, veut dire « Dieu a fait grâce ». Zacharie veut dire « Dieu s’est souvenu ». Et Élisabeth veut dire « Dieu a prêté serment ».
Vous voyez mieux, comme ça ?
Luc est le seul à nous parler de la naissance de Jean-Baptiste, et il est le seul à nous dire qui sont ses parents. Nous n’en avons aucune autre trace. Et avec cet indice fort, nous sommes autorisés à penser que Luc invente ces personnages pour illustrer son propos et développer sa théologie. Ce qui, je vous le rappelle, était monnaie courante dans l’Antiquité.
Ce n’est pas une fraude ou un mensonge : on n’avait pas à l’époque le sens absolu du littéralisme que nous avons aujourd’hui.
On savait détacher la lettre de l’esprit.
Zacharie et Elisabeth : un récit qui sert une révolution spirituelle et théologique
Que fait Luc en rattachant le récit de Zacharie et Élisabeth au récit d’Abraham et Sarah ? Il recrée les conditions de l’histoire du peuple de Dieu : l’histoire du peuple hébreu commence avec Abraham et Sarah. L’histoire du peuple chrétien commence avec Zacharie et Élisabeth.
Jean le baptiseur est en fait l’élément charnière, qui fait passer du judaïsme à l’universel, de l’ancienne alliance à la nouvelle, de la Torah à l’Évangile. Avec la prière de Zacharie, Jean devient le prophète de l’accomplissement de l’alliance d’Abraham, pas de l’alliance du Sinaï.
Luc situe Jésus dans une critique de la loi de Moïse, mais dans la continuité de la foi d’Abraham. Luc ne veut rien savoir d’autre qu’Abraham. Il fait un choix théologique.
Luc s’adresse aux non juifs, et s’il était centré sur la loi de Moïse il n’aurait pas pu se faire entendre des païens. De son côté, Matthieu s’adresse aux Juifs et c’est pour ça qu’il fait un lien avec l’histoire de Moïse (notamment avec le voyage en Égypte et l’histoire d’Hérode qui veut tuer les enfants. Mais je n’en dis pas plus, ça fera l’objet d’une autre analyse, une autre année).
La révolution de Luc, c’est qu’il construit son évangile comme pour dire : je refuse que le judaïsme soit la voie obligée pour obtenir le salut. Il ouvre la porte pour une autre compréhension du salut, plus universelle.La révolution de Luc, c’est qu’il construit son évangile comme pour dire : je refuse que le judaïsme soit la voie obligée pour obtenir le salut. Il ouvre la porte pour une autre compréhension du salut, plus universelle.
C’est pourquoi il place son histoire dans le temple, en montrant que Dieu a choisi de dépasser le temple, en le rendant inutile. Oui, Luc rend le temple inutile, avant même que Jean ne naisse.
Le grand remplacement
En effet, pendant la bénédiction, tout le monde attend dehors d’être béni par le prêtre qui a eu le privilège d’y faire brûler de l’encens, et Zacharie ne peut pas bénir le peuple parce qu’il est rendu muet : le temple et la loi juive ne peuvent plus rien pour vous. Il faut chercher ailleurs.
Cet ailleurs nous le trouvons dans le dernier chapitre de Luc, le chapitre 24. Je vous le lis :
Jésus leur dit :
« Quand j’étais encore avec vous, voici ce que je vous ai déclaré :
ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse,
dans les livres des Prophètes et dans les Psaumes,
tout cela devait s’accomplir. »
Alors il leur ouvrit l’intelligence
pour qu’ils comprennent les Écritures,
et il leur dit :
« Voici ce qui est écrit :
le Christ souffrira,
et ressuscitera d’entre les morts le troisième jour,
et l’on proclamera son nom devant toutes les populations,
en commençant par Jérusalem ;
on appellera chacun à changer de vie et à recevoir le pardon des péchés.
Vous êtes témoins de tout cela.
Et j’enverrai moi-même sur vous ce que mon Père a promis.
Et vous, restez dans la ville
jusqu’à ce que vous soyez remplis de la puissance d’en haut. »
Puis Jésus les emmena hors de la ville, près de Béthanie,
et là, il leva les mains et les bénit.
Pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut enlevé au ciel.
Quant à eux, ils se prosternèrent devant lui et retournèrent à Jérusalem,
remplis d’une grande joie.
Ils se tenaient continuellement dans le temple et louaient Dieu.
Les complotistes d’extrême droite s’effrayent du grand remplacement. Mais le grand remplacement a déjà eu lieu, et sans lui, le christianisme n’existerait pas !
Jésus a remplacé le prêtre Zacharie car c’est lui désormais qui lève les mains pour bénir le peuple. Et cette bénédiction, il la donne en dehors du temple, et les gens qui sont là retournent à Jérusalem et vont dans le temple.
La bénédiction, qui vient d’ailleurs, le temple doit en bénéficier : il n’en est plus la source, mais le destinataire. On a trouvé plus que le temple, on a trouvé plus que le prêtre, on a trouvé plus que la loi. Ces choses existent, mais elles ont été dépassées par Jésus le Christ.
D’ailleurs, regardez bien : le récit de Jean est placé sous le roi juif Hérode. Jean, qui est charnière, fait partie de l’histoire juive. Le récit de Jésus est placé sous l’histoire romaine, avec César Auguste. Jésus n’est déjà plus dans l’histoire juive, pour Luc.
Une révolution placée sous l’alliance avec Abraham
Si Luc inscrit le début de son Évangile dans la lignée d’Abraham, ce n’est pas pour rien. Abraham commence l’histoire juive, mais il est là bien avant le don de la loi. Abraham est loué pour sa foi, dans le nouveau testament. Il est le père des croyants.
Et Jésus semble être venu pour dire à ces gens qui avaient oublié l’importance de la foi que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’ils font, mais le cœur avec lequel ils le font. Les apparences qu’ils entretiennent ne comptent pas. Ce qui compte, c’est la relation qu’ils entretiennent avec Dieu.
En nous préparant à Noël, revisitons la manière dont nous faisons les choses, et examinons si nos cœurs sont plus obsédés par les œuvres que par la relation.
Regardons les apparences que nous chérissons, ce que nous paraissons, comment nous apparaissons… Examinons si l’amour de Dieu et du prochain, qui vont ensemble et qu’il ne faut surtout pas séparer, sont bien au cœur de nos motivations. Parce que c’est vraiment pour que nous comprenions cela que Jésus est venu au monde.
C’est ce chemin que Jean-Baptiste avait pour mission de préparer.
En savoir plus sur Chemins Libres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.