Une vie de chien : 2.Willy
Dans cet article, j’ai envie de vous parler de mes toutous. Une vie, deux chiens… ça peut vite devenir une vie de chien. Mais ce n’est pas que pour le pire – même si l’expression ne permet pas de l’entendre ! Aujourd’hui je vais vous parler de Willy, puisque la dernière fois je vous avais parlé de Sky. Comme ça, vous saurez tout !
Mise au point
D’abord, il faut que je sois honnête. Vraiment honnête.
Quand je relis mon article sur Sky, je me rends compte qu’il manque quelque chose de très important. J’ai très bien indiqué – et vous l’avez bien compris – que Sky n’est pas un chien « parfait » ou « idéal », mais je n’ai rien précisé concernant la relation que j’avais avec Sky.
Eh bien… jusqu’à récemment, en fait, je tolérais Sky. Je vous l’ai dit, je suis plutôt team chat, et avoir un chien à la maison me soûlait. Mais je la tolérais, parce que c’était le bébé de Léa. Et comme j’aime Léa, « les amis de mes amis sont mes amis », etc. Si je ne tolérais pas Sky, je ne pouvais pas vivre avec Léa. La boucle est bouclée, mais vous sentez bien qu’en matière d’affection, ce n’était pas vraiment ça.
Malgré tout, je ne veux pas trop noircir le tableau, parce que j’ai toujours été triste de voir Sky souffrir quand elle était malade, quand on l’emmenait chez le véto, ou quand d’autres lui faisaient vivre des misères. Mais malgré ça, Sky et moi, ce n’était pas une amitié. C’était une cohabitation (ce qui n’était déjà pas si mal).
Un événement a tout fait basculer. Ce que je vais décrire ci-dessous n’est pas très glorieux. Vous verrez que ce ne sont pas de hautes aspirations spirituelles qui m’habitent, mais des trucs boueux qui stagnent au fond de moi et qui, de temps à autres, refont surface. Humain, quoi. Normal.
Un grand vide
Août 2024. Tous nos rats sont morts. Le dernier, Elie, est parti rejoindre Judas, Chouchenn, Schnapps et Abraham, après quelques jours de souffrance intolérable. La piqûre du véto l’aura soulagé définitivement. Qu’est-ce qui se passe, quand un copain nous quitte, comme ça ? Qu’est-ce qui se joue dans nos têtes ? Dans nos cœurs ? C’est différent pour chaque personne, mais ça remue. Forcément.
Jusqu’ici, il était hors de question pour moi d’avoir un deuxième chien. Ma tolérance avait des limites. Mais la mort d’Elie a changé quelque chose en moi : si Léa me demandait quelle serait ma position concernant l’accueil d’un autre toutou à la maison, je dirai que j’y suis favorable.
Septembre 2024. Léa – qui par son travail a établi un partenariat avec la Société de Protection et de Défense des Animaux (SPDA) – me propose d’aller y faire un tour. Et là, dans le premier box, on voit un chien de chasse. Un braque allemand. Qui aboie, évidemment.
C’est un brave toutou, prénommé Ilky, qui est ici depuis 10 mois. Il a 11 ans. Et là, déjà, je me dis : « Ce n’est pas possible. Un chien de onze ans, personne n’en voudra. Il va finir sa vie ici… » Nous, nous ne voulons pas finir notre vie en EHPAD – et pourtant, c’est chauffé, on y a trois repas par jour, on est soignés, etc. A la SPDA les animaux sont accueillis, mais au regard des moyens qui sont à leur disposition, ça ressemble plus à un camp de rétention qu’à un EHPAD (et je ne minimise pas du tout la qualité du travail incroyable des professionnels et des bénévoles sur place. Simplement, un chien ne peut pas être heureux en refuge, même s’il est mieux là qu’en errance).
Indifférence
Léa et moi, on décide de le rencontrer, mais il ne s’intéresse pas à nous. Tout ce qu’il veut, c’est faire sa balade quotidienne. La balade se passe bien, mais il se fout de notre présence. Il faut dire que depuis 10 mois, des bénévoles viennent, mais les visages changent sans cesse. Donc ce qui l’intéresse, ce n’est pas les gens, c’est de sortir se dégourdir les pattes et consulter les messages privés laissés par ses congénères sur les réseaux sociaux canins.
En repartant, je constate qu’il n’y a pas vraiment de coup de cœur avec Ilky, mais une grande compassion. « On ne peut pas le laisser crever comme ça », c’est une idée qui me hante. Et cette idée est partagée par Léa. Alors on se décide à faire un pas de plus.
Le lendemain, Léa se rend sur place avec Sky, pour voir si ça matche (hors de question d’accueillir un chien qui ne s’entendrait pas avec notre doudouille). Elle sent que la cohabitation est possible. On retourne à la SPDA pour signer les papiers d’adoption. Et nous le rebaptisons Willy. Nous trouvons que ça lui va bien. Et étrangement, il répond très bien à ce prénom.
Le trajet en voiture a été un enfer. Il n’a pas cessé d’aboyer, en mettant sa tête à-côté de notre épaule. Les oreilles éclatées à chaque aboiement, j’essayais de conduire sans nous mettre en danger. On commence à sentir le mauvais plan. Et en parlant de sentir… l’énergumène se met à lâcher une caisse telle que je n’ai jamais rien senti d’aussi horrible. On se retient de vomir, s’il vous plaît. Nous avons embarqué un animal terriblement malheureux. Qui sentait bon les déchets corporels, ceux-la même dans lesquels ils vivait. Un bonheur.
Angoisse
Les premières semaines, Willy était à un niveau de stress que je n’avais jamais perçu nulle part. Dès que quelqu’un faisait un geste, il se levait et pleurait. Et surtout, il nous collait, partout où nous allions, mais en plus, dès qu’il le pouvait, il s’allongeait sur nous (avec son petit 30kg). En insécurité permanente. Dès que l’un de nous sortait de la maison, c’était la crise, et quand nous partions tous les deux… nous ne restions pas très longtemps dehors !
Pauvre Sky : elle était empêchée de rester tranquille. Willy lui cassait les oreilles. Léa a mis en place des exercices pour l’aider à gérer l’absence. Pour le canaliser. Et pour qu’il se sente en sécurité. Et j’ai découvert, très rapidement, à quel point j’aimais Sky ! Vraiment, j’ai pris conscience de l’affection que j’avais pour la Doudouille et de l’amitié que je lui portais, sans m’en être rendu compte. Et j’ai trouvé que Sky était vraiment une crème de toutou. En comparaison. Parce que j’ai comparé, oui. Boueux, je vous l’ai dit.
Willy, on ne sait pas grand-chose de lui. Son compagnon avait environs 65 ans quand il l’a accueilli chez lui. C’est son fils qui l’a remis à la SPDA, parce que le vieux monsieur (presque 75 ans) était très malade. Il est décédé quelques temps après. On ne sait rien de plus : ni où il a vécu, ni comment il a vécu, s’il a connu plusieurs maisons, ni même s’il a déjà chassé. Mais il y a des choses que nous pouvons déduire – aussi hasardeuses que soient nos déductions.
Les balades
D’abord, j’ai commencé à le sortir en laisse en ville. A Chartres, on a quand-même quelques espaces de promenade bien sympas pour les toutous. Donc on met le collier, on met la laisse, et on marche sur le trottoir, vers la destination souhaitée. Normal, me direz-vous. Sauf qu’on sent bien, en situation, que Willy n’a jamais connu la laisse, d’une part, ni la ville, d’autre part.
Là, on devient hyper vigilant sur la vitesse à laquelle roulent les automobilistes (qui respecte les 30 km/h en ville ? Pas grand-monde, je vous le dis. Ils s’en foutent si t’as un chien ou un enfant qui s’échappe, ce n’est pas leur problème). Et on se rend compte que le compagnon est un veau : il tire comme un malade et on a bien du mal à suivre avec notre petite santé. On achète donc un harnais adapté, et on attache la longe de 5 mètres sur le devant, ce qui réduit considérablement le désir de tirer comme un fou. Les choses deviennent plus agréables pour tout le monde.
Quand on se promène sur les bords de l’Eure, la vue des canards affole complètement l’instinct du chasseur. Je pensais naïvement qu’un chien de chasse ne chassait que s’il était éduqué à la chasse. Que l’instinct lui donnait les qualités du chasseur, mais que le goût de la chasse ne venait qu’avec l’éducation. Que nenni ! Il court après les canards et les poules d’eau, n’hésite pas à aller dans l’eau même quand il fait froid, pour notre plus grand bonheur (prévoir des skis nautiques serait une option). Mais je vous le dis : s’il a l’instinct du chasseur, il est nul pour attraper les proies. C’est très bien comme ça. D’ailleurs, les souris du presbytère ne s’y sont pas trompées !
L’attachement
Autre chose qu’on sent : il n’a pas souvent dû rester seul. A mon avis, son ancien maître était tout le temps avec lui, de nuit comme de jour. Du coup, la solitude, il la vit comme un abandon. Déchirant. Insupportable. J’imagine à peine ce qu’il a ressenti quand il a été mis à la SPDA. On nous a dit là-bas qu’il n’a rien mangé pendant longtemps, au point de perdre 10 kg. Imaginez la tristesse de ce bonhomme.
Voilà, vous le sentez là, j’espère, sous les caractères typographiques que j’aligne sous vos yeux : le bonhomme est peu à peu devenu « mon bonhomme ». Je n’ai pas apprécié qu’il me bave dessus comme ça (mais aujourd’hui il ne bave presque plus), ni qu’il aboie dans mes oreilles (c’est moins fréquent aujourd’hui), ni qu’il traverse n’importe où n’importe quand au point de me décrocher les rotules des coudes (mais maintenant il marche bien en ville)… n’empêche qu’il a touché mon p’tit cœur.
Willy, il ne vit avec nous que depuis 3 mois. Bientôt 4. Et c’est fou les progrès qu’il a faits. Il tire beaucoup moins pendant les balades. Quand nous nous absentons (parce que nous pouvons nous absenter, maintenant), il continue de pleurer, parfois il aboie, mais il peut se poser sur son dodo pendant quelques minutes, alors qu’au départ c’était impossible. Comment je sais ça ? Ah mais parce que pour voir l’évolution du toutou, nous avons investi 20€ dans une caméra. C’est vachement bien : on voit qu’il progresse. Et avec Sky, ils sont comme frère et sœur. C’est vraiment chouette.
Moi aussi, je progresse
Et l’énooooooooorme changement que ça a produit sur moi, au-delà de l’aspect affectif, c’est que ça m’oblige à sortir pour la promenade. Deux chiens, deux personnes pour la promenade. Et depuis, je me fais du bien. D’abord parce que ça m’oblige à avoir une activité physique (si ce n’est pas pour un autre être vivant, je ne le fais pas). Ensuite parce que ça m’oxygène. Pendant la balade, je peux rêver, penser, imaginer, contempler, etc. Ce dont je ne prends pas le temps d’ordinaire, puisque j’ai « tellement de choses à faire ». Là, pas le choix. Je dois prendre ce temps. Et ça me fait un bien fou.
Ça m’aide à relativiser beaucoup de choses et à comprendre, dans mes tripes, que je suis pasteur. Pas pompier ou urgentiste, pas technicien informatique ou agent immobilier, pas secrétaire ou concierge. Pasteur. Une personne qui se sent appelée à s’entretenir avec Dieu, à méditer sur la Bible et sur l’état du monde, à être attentif aux personnes les plus fragiles, à inventer l’Église de demain tout en respectant celle d’aujourd’hui, qui regarde ce qui se passe en dehors de l’Église et qui s’implique dans la société, bref, une vocation particulière, qui a besoin de prendre le temps de se ressourcer.
Alors, une vie, deux chiens, c’est exactement ça que ça veut dire. Sky comme Willy m’aident énormément à faire en sorte que ma vie de pasteur ne soit pas une vie de chien.
En savoir plus sur Chemins Libres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.