Une manière protestante d’être disciple de Christ

12 septembre 2021Lionel Thébaud

Le Seigneur Dieu m’a enseigné ce que je dois dire,
pour que je sache avec quels mots je soutiendrai celui qui est abattu.
Chaque matin,
il éveille mon oreille,
il me réapprend à écouter,
comme doivent écouter les disciples.
Le Seigneur Dieu m’ouvre les oreilles
et je ne lui résiste pas, je ne recule pas.
J’offre mon dos à ceux qui me battent,
je tends les joues à ceux qui m’arrachent la barbe.
Je ne cache pas mon visage aux crachats, aux insultes.
Le Seigneur Dieu me vient en aide,
c’est pourquoi je ne m’avoue pas vaincu,
je rends mon visage dur comme la pierre,
je sais que je n’aurai pas le dessous.
Le Seigneur est à mes côtés, il me donnera raison.
Qui osera me faire un procès ?
Qu’il vienne avec moi devant un juge !
Qui veut être mon adversaire ?
Qu’il se présente en face de moi !
C’est le Seigneur Dieu qui me vient en aide,
qui donc pourrait me déclarer coupable ?
Mes adversaires s’useront tous comme un habit qui tombe en lambeaux, dévoré par les mites.

Ésaïe 50.4-9

 

Jésus et ses disciples partirent ensuite vers les villages proches de Césarée de Philippe.
En chemin, il leur demandait :
« Au dire des gens, qui suis-je ? »
Ils lui répondirent :
« Certains disent que tu es Jean le baptiste, d’autres que tu es Élie,
et d’autres encore que tu es l’un des prophètes. »
« Et vous, leur demandait Jésus, que dites-vous ?
Pour vous, qui suis-je ? »
Pierre lui répondit :
« Tu es le Christ ! »
Alors, Jésus leur ordonna sévèrement de ne parler de lui à personne.
Jésus se mit à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup,
qu’il soit rejeté par les anciens, les grands-prêtres et les spécialistes des Écritures ;
qu’il soit tué, et qu’après trois jours, il ressuscite.
Il disait cette parole très clairement.
Alors Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches.
Mais Jésus se retourna, regarda ses disciples et reprit sévèrement Pierre :
« Va-t’en, passe derrière moi Satan !
Car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des êtres humains. »

Évangile selon Marc 10,27-33

 

Six siècles avant la venue de Jésus, face au découragement de ses compagnons qui sont déportés à Babylone, Ésaïe le prophète rappelle qu’Israël reste le serviteur de Dieu.

 

Pour Ésaïe, c’est Israël qui est ce serviteur qui chaque matin se nourrit de la Parole de Dieu, mais aussi qui est persécuté à cause de sa foi dans le Dieu unique. Ésaïe dit que écouter Dieu, c’est lui faire confiance. « Je ne lui résiste pas, je ne recule pas (…). Je sais que je n’aurai pas le dessous. Le Seigneur est à mes côtés, il me donnera raison », etc.

 

Tous les prophètes au fond ont ce même discours : écouter Dieu, c’est lui faire confiance.

Faire confiance à Dieu

Que signifie « faire confiance à Dieu » ?

 

Est-ce que ça veut dire que si je me coupe la jambe, Dieu va la faire repousser ? Ou que je vais pouvoir marcher sur l’eau pour traverser l’Eure sans avoir besoin de passer par une passerelle ?

 

Non, je ne crois pas.

 

Mettre sa confiance en Dieu, ça veut dire, nous disent nos textes, que nous allons pouvoir traverser nos vies avec Dieu à nos côtés, en étant assuré·e·s de son amour pour nous, assuré·e·s de sa bienveillance, et assuré·e·s que du mal qui nous arrive, il parviendra à faire surgir du bien.

Dieu, de son côté, fait confiance à son serviteur : il lui confie une mission. Le serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon dans l’adversité, dans l’opposition, dans la maladie, et dans les persécutions.

 

Dieu équipe son serviteur, et son serviteur est rendu capable d’accomplir sa mission. « Le Seigneur Dieu m’a enseigné ce que je dois dire, pour que je sache avec quels mots je soutiendrai celui qui est abattu ». Voilà le disciple équipé par Dieu pour être témoin auprès des personnes qui sont découragées.

 

« Dieu m’ouvre les oreilles », ce qui signifie que même là c’est Dieu qui rend les disciples capables d’écouter et de faire confiance. On ne peut pas se forcer. Les disciples reconnaissent que tout est don de Dieu. Bien plus tard, l’apôtre Paul dira : « qu’as-tu que tu n’aies reçu » ? Nous avons tout reçu.

 

Le prophète Ésaïe, donc, dit à ses compagnons : le Seigneur ne vous a pas abandonné. Au contraire, les souffrances qui sont les vôtres sont normales, parce que vous êtes engagés dans une mission pour lui. Votre mission et votre témoignage, voilà qui va déplaire. Les gens ne vont pas tous recevoir vos paroles avec joie. Peut-être même vont-elles fortement déranger.

 

Quand je proclame le message d’amour de Dieu, je vois des gens capables de violence – si ce n’est physique, c’est au moins verbal – et avoir des mots très durs, des paroles très menaçantes.

 

Martin Luther, qui a fondé le mouvement protestant, s’est opposé à l’Église catholique de son temps, parce qu’elle opprimait les gens les plus pauvres, en leur promettant le paradis contre de l’argent. Parce que les pauvres qui ne pouvaient pas payer étaient culpabilisés : on leur disait que Dieu les punirait. On disait qu’ils étaient de mauvais chrétiens.

 

Dieu était avec Luther dans sa lutte, j’en suis persuadé. Mais Dieu n’a pas empêché Luther de souffrir. On l’a convoqué plusieurs fois pour qu’il s’explique, et pour tenter de le convaincre qu’il avait tort. Pendant 3 ans, on a essayé de le pousser à bout à force d’arguments et de menaces. Puis on l’a considéré comme un ennemi de l’Église. On l’a excommunié, parce qu’il remettait trop de choses en question. Un an plus tard il a été contraint de vivre caché, car sa vie était en jeu. Isolé, il a beaucoup écrit, mais il a aussi beaucoup été malade. C’est après cet épisode que la situation politique s’est peu à peu débloquée, et que la Réforme protestante a pu être mise en œuvre, mais vous l’imaginez, cela ne s’est pas fait facilement.

 

C’est au prix de grandes luttes que le protestantisme a vu le jour. Le serviteur ne cherche pas à souffrir, mais il n’échappe pas à la souffrance.

 

Jésus connaissait son destin

Je ne crois pas que les choses avaient été écrites en avance, comme on l’imagine parfois. Je crois simplement que Jésus était très lucide sur le caractère subversif de son message.

 

L’amour de Dieu, voilà qui renverse l’ordre établi. La logique des puissants est bien embêtée devant l’amour. C’est ainsi que Pilate, par exemple, ne savait pas quoi faire de Jésus. Qu’il exerce sa puissance ou non, il perdait de toute façon la face. Jésus sortirait vainqueur. Et la logique du monde, de toute façon, ne pouvait pas laisser Pilate rester sans réagir brutalement.

 

Jésus le savait.

 

Donc quand il annonce sa mort, une mort dans laquelle il devait souffrir beaucoup à cause de la parole qu’il portait, Pierre, son disciple, n’a pas eu confiance. Il s’est insurgé. Parfois, ceux qui s’opposent au disciple sont des gens qui font partie de sa propre communauté, voire de sa propre famille. C’est encore plus dur que d’être désapprouvé par nos ennemis. Quand c’est ceux qui nous aiment qui ne comprennent rien, c’est terrible pour le moral.

 

Et Jésus rappelle à Pierre que quand il s’oppose à Dieu, comme il le fait, alors il est un satan, un adversaire.

 

Bref, « tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des êtes humains ». Tout ce qui n’est pas conforme à la pensée de Dieu est qualifié d’adversaire. Tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’amour, et de l’amour assumé.

 

Quand des gens cachaient des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, ils savaient qu’ils risquaient la mort. Pourquoi est-ce qu’ils allaient quand-même jusqu’au bout, pour sauver d’autres êtres humains ? Parce qu’ils étaient prêts à payer le prix de l’amour.

 

Comme Jésus était prêt à payer ce prix.

 

Les communautés chrétiennes, donc, au regard des souffrances endurées par le Christ, identifient Jésus au serviteur souffrant d’Ésaïe. C’est une allégorie : on regarde des points communs entre deux récits qui n’ont rien à voir. C’est comme une métaphore si vous voulez.

 

Luther considérait – à la lecture de l’apôtre Paul – que toute personne qui croit en Dieu par Jésus-Christ était un saint, une sainte. Je suis saint, ça veut dire que j’accepte l’amour que Dieu déverse sur moi. Ça veut dire que j’essaye de vivre selon l’amour de Dieu. Ça veut aussi dire que je n’y arrive pas, ou du moins, pas toujours.

 

Pour Luther, un chrétien est un saint, mais il est aussi – en même temps – un pêcheur. Je ne peux pas ne pas pécher. Mais je ne peux pas ne pas être pardonné. Tout ça, en même temps donc. Et c’est très concrètement le sens du baptême chrétien. C’est la vie des disciples de Jésus-Christ. Chaque personne qui croit en Jésus-Christ est disciple.

 

En effet, Jésus nous enseigne une voie qui nous permet de vivre dans l’amour de Dieu. Nous essayons de comprendre ses paroles et de comprendre ses actes, et nous essayons de nous inspirer de ces choses pour vivre notre vie, sous le regard bienveillant de Dieu. Bref, vous êtes disciples de Jésus-Christ.

 

Ça veut d’abord dire que vous avez été touché·e·s par l’amour de Dieu et que vous l’avez accepté.

 

Ça veut aussi dire que vous voulez vivre en vous rappelant de cet amour que Dieu a pour vous. Être disciple de Jésus, c’est essayer, le plus possible, de donner de l’amour aux autres. C’est venir en aide à son prochain quand il en exprime le besoin. C’est chercher le plus possible à faire ce qui est bien, à mettre de côté votre intérêt personnel quand ça peut profiter au groupe.

 

Pour citer Martin Luther : « Un chrétien est un libre seigneur sur tout, et n’est soumis à personne. Un chrétien est un esclave asservi en tout et est soumis à tous. » Les deux, en même temps.

 

Nous n’avons pas peur que Dieu nous punisse quand nous ne faisons pas le bien, mais nous voulons faire le bien parce que nous savons que Dieu nous aime.

 

Être disciple, ça veut aussi dire que nous pouvons traverser les difficultés, la maladie, les persécutions. Nous ne sommes pas différents des autres êtres humains : la condition humaine, nous la vivons aussi. Mais nous la vivons avec Dieu – ce n’est pas toujours plus facile. Et nous vivons ces choses en tant que témoins. Dans nos malheurs, nous sommes les témoins de la présence de Dieu à nos côtés.

 

Enfin, nous mettons notre confiance dans ce Dieu qui nous aime et qui nous envoie, parce que nous savons qu’il nous a complètement pardonnés.

 

Aussi, je rappelle que la grâce de Dieu est pour nous, et que rien ne peut enlever la grâce qui nous a été faite.

 

Cette année, nous allons pas à pas rappeler ce qui fait nos spécificités protestantes, histoire de ne pas oublier qui nous sommes et ce que nous croyons. Bien que vivant notre vie de foi à l’ombre de la cathédrale, nous existons, non pas comme des crypto-catholiques, mais comme des protestants et des protestantes qui affirment leur différence, dans un dialogue apaisé avec les autres religions.

 

Pour finir, une dernière citation de Luther :

 

« Le chrétien ne vit pas en lui-même,
mais dans le Christ et dans son prochain,
dans le Christ par la foi,
dans son prochain par l’amour :
par la foi il s’élève au-dessus de lui-même en Dieu,
de Dieu il redescend en-dessous de lui-même par l’amour,
et demeure cependant toujours en Dieu et en l’amour divin (…).
Telle est la véritable liberté chrétienne (…) qui libère le cœur de tout péché, loi et commandement
et qui dépasse toute autre liberté (…).
Que Dieu nous donne de bien la comprendre et la conserver. »


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