Un pas dans la douleur

7 février 2021Lionel Thébaud

Le temps de l’humain sur la terre n’est-il pas une corvée ?
Sa vie n’est-elle pas comme celle d’un ouvrier ?
Comme un serviteur soupire après l’ombre et comme un ouvrier attend sa paye,
ce que j’ai en partage, ce sont des mois de misère,
ce que j’ai gagné, ce sont des nuits de peine.
Dès que je suis couché, je me dis : « Quand me lèverai-je ? »
La soirée n’en finit pas.
Je suis envahi de cauchemars jusqu’au matin.
Mon corps est recouvert de vermine et de croûtes,
ma peau écorchée n’est que plaies purulentes.
Ma vie passe plus vite que la navette d’un tisserand ;
à bout de fil, elle tire à sa fin !
Souviens-toi que ma vie n’est qu’un souffle,
que mes yeux ne verront plus le bonheur.

Job 7.1-7.


J’aborde là un sujet moins sympa que d’habitude. Parce que, que voulez-vous ? La vie ce n’est pas un parterre de pétales de roses. La réalité de notre quotidien est plus difficile que ce que nous aimerions. Je vais donc parler de la douleur. Tout le monde sait ce que c’est que la douleur. La chose que nous partageons tous et toutes, c’est le fait d’éprouver de la douleur. J’aimerais bien qu’il en soit autrement, mais l’Évangile nous force à regarder le réel en face. Explorons un peu cette question. J’espère que cet examen nous aidera à mieux comprendre ce qui se joue dans la douleur, et que nous pourrons mieux l’utiliser pour exercer notre foi.

D’abord, la douleur, c’est ce que nous ressentons lorsque notre biologie est attaquée. Une jambe cassée, une dent cariée, une indigestion… notre corps souffre. La douleur est détectée par les terminaisons nerveuses des cellules, puis transmise au cerveau. La plupart des maladies sont redoutées à cause de la douleur qu’elles provoquent. Il semblerait que la lèpre soit une maladie qui agisse comme un anesthésique. Elle assommerait les cellules, qui ne répondraient plus lorsqu’elles sont attaquées. Qu’est-ce qui rend si horrible une maladie qui ne provoque pas de douleur ? Chez les personnes atteintes de la lèpre, les terminaisons nerveuses n’envoient plus le signal électrique de la douleur au cerveau. Un lépreux, dont les membres deviennent insensibles, continuent de marcher sur leurs moignons, ce qui aggrave la détérioration de leur corps. Ou se brûlent terriblement sans s’en rendre compte. On peut dire que la douleur est comme un signal d’alarme qui nous indique quand nous devons cesser de faire ce que nous faisons. C’est une sécurité qui a pour objectif de préserver notre corps. La douleur est de ce fait l’une des plus ingénieuses inventions de Dieu. On pourrait presque dire que la douleur est une bénédiction, puisqu’elle met des limites à nos actions dans le but de nous protéger.





Il était nécessaire de présenter la douleur comme ça pour que nous nous rendions compte que la fonction de la douleur est de nous préserver. Mais cette description de la douleur n’a de valeur que si notre corps fonctionne bien. Il y a bien des cas où notre système est déréglé et où la douleur prend une telle place qu’il est impossible de vivre normalement. Un article a été publié cette semaine dans un journal, où un médecin spécialisé dans la douleur nous explique que « pendant longtemps, on a seulement reconnu les douleurs (…) responsables d’une inflammation comme la polyarthrite, de maladies comme le cancer. Avoir mal était forcément le signe d’un problème. Puis, il y a vingt ans, on a compris qu’il pouvait y avoir des douleurs inutiles. Par exemple, une femme opérée d’un cancer du sein continuait de souffrir. On se disait, ce n’est pas possible, elle est pourtant guérie. Mais lors de l’intervention, on lui avait coupé des petits nerfs, son circuit électrique de la douleur était donc abîmé. (…) Et aujourd’hui, une troisième classification (…) vient d’être enfin reconnue, celle d’une perturbation du fonctionnement de la douleur. (…) Conséquence, elles ont des douleurs diffuses sans raison. C’est le cas de la fibromyalgie, du syndrome de l’intestin irritable. » Ce qu’il nous dit donc, dans cet article, c’est qu’il n’existe pas de douleurs imaginaires. Quand on a mal, on a mal, un point c’est tout. Même quand on ne comprend pas d’où ça vient – c’est le rôle des médecins de chercher d’où vient la douleur. Souvent on entend « la douleur, c’est dans la tête ». Pour ce médecin, c’est bien dans le cerveau que ça se passe, mais ce n’est pas psychologique. Il y a un problème de fonctionnement qu’il faut identifier et essayer de réparer.

Et puis il y a d’autres types de douleurs. C’est un événement qui survient, comme la mort de quelqu’un, la frustration, le contexte social… Il y a parfois de ces douleurs qui nous font terriblement souffrir, comme la solitude, la culpabilité ou l’angoisse par exemple. En ce moment, on met enfin l’accent sur la souffrance des jeunes, qui vivent très mal la situation sanitaire, parce qu’ils n’ont plus de vie sociale. Leur avenir est très incertain, puisque étudier est devenu un défi insurmontable pour la plupart. Leur motivation est abîmée par cette souffrance sociale. Il y a aussi toutes ces personnes qui vivent en institution, dans l’attente d’une visite ou d’un coup de fil qu’elle n’auront pas. C’est là que le cri de Job nous martèle les oreilles : « Souviens-toi que ma vie n’est qu’un souffle, que mes yeux ne verront plus le bonheur ». Avec une douleur de ce type, on risque de perdre confiance en la vie.





Job est, pour les personnes qui vivent de la Bible, l’exemple-type de celui qui souffre. Il perd ses enfants, il perd ses biens, et il perd la santé. La douleur le touche de tous les côtés, il est malade, seul – car même ses amis ne le soutiennent pas – et il tombe en dépression. Il garde la foi, il continue de plaider sa cause devant Dieu, mais il ne comprend pas pourquoi Dieu n’intervient pas. Car vous l’avez peut-être remarqué, Dieu n’intervient pas en faveur de Job. Il le laisse sur son tas d’ordures. Dieu l’a-t-il abandonné ? Le livre de Job nous apprend que Dieu se tient tout près de Job, qu’il l’accompagne dans ses mésaventures, qu’il souffre avec lui. Le livre de Job nous apprend que la conception que nous avons d’un Dieu magique, qui nous arracherait au réel, est une fausse conception de Dieu : Dieu ne nous protège pas du malheur, il se tient à nos côté pour nous aider à le traverser.

Mon objectif ce n’est pas de vous dire : « La douleur existe, il n’y a rien à faire, serrez les dents ». Il y a moyen d’améliorer nos conditions pour rendre la douleur plus légère, voire de l’éradiquer. Mais pour cela, il faut accepter cette douleur que nous éprouvons. Pour la douleur physique, je bénis Dieu parce qu’il a suscité des femmes et des hommes qui se sont battu·e·s et qui continuent de se battre pour alléger les souffrances des malades. Nous avons des remèdes qui nous soulagent et les recherches permettent de diversifier les approches et d’améliorer les techniques, pour nous rendre la vie plus supportable. Pour les autres types de douleurs, il y a bien sûr le soutien médical : psychiatres, psychologues, traitements médicaux, qui peuvent être un vrai soutien. Mais je pense surtout à la dynamique de l’amitié développée dans le cadre des relations humaines – parce que ça, c’est vraiment de notre compétence en tant qu’Église. Devant cette solitude qui fait souffrir les jeunes et les vieux, nous avons un rôle à jouer. Je vous rappelle que nous formons un corps. Si un membre du corps souffre, c’est tout le corps qui souffre. Si nos jeunes et nos vieux souffrent de solitude, ça doit nous alerter : l’expression de cette douleur est le signal que quelque chose ne va pas. Il y a un agent extérieur, c’est vrai : c’est le contexte dans lequel nous sommes qui provoque cette crise de douleur aiguë. Mais nous pouvons agir pour réduire la souffrance du corps. La santé du corps tout entier dépend de la façon dont les parties les plus fortes sont attentives aux parties les plus faibles. C’est un appel vibrant que Dieu nous lance au travers de la douleur que vivent les être humains.

La souffrance existe, et Dieu a décidé de partager cette souffrance avec nous. Jésus-Christ n’a pas été épargné. Les Écritures le disent bien : « Ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ». Et Paul nous invite à porter les fardeaux les uns des autres. Prendre en compte la réalité de la douleur et la partager, c’est, selon la Bible, faire preuve de foi. Car avoir foi en Dieu, c’est mettre notre confiance dans la force que Dieu nous donne pour nous relever, pour ressusciter et pour transformer notre condition. La foi, c’est cette expérience d’être saisi par une parole, un geste ou un événement, expérience qui nous raccroche à la vie et nous pousse à aller de l’avant, du mieux que nous pouvons. La douleur nous fait peut-être boiter, mais au moins, nous marchons ! La foi, c’est le mouvement de la vie dans sa lutte patiente et courageuse contre tout ce qui veut nous empêcher d’exister. Quand nous mettons notre foi en action, nous manifestons l’amour que nous avons les uns pour les autres, et la personne affaiblie a toutes les chances de se relever un jour. Parce que l’amour redonne de vraies forces. Et notre espérance, c’est que Dieu, au terme de notre épreuve, vienne restaurer la personne dans son intégrité physique, psychique et sociale. Qu’il lui restitue tout ce qu’elle a perdu. Comme il l’a fait pour son serviteur Job.

Job, d’ailleurs, qui s’écrie : « Je ne me tairai pas ». Job, le souffrant, refuse de se taire. Il ne va pas fermer la bouche au prétexte que sa douleur peut mettre les autres mal à l’aise. Celui qui souffre a droit à la plainte et à la révolte. Jésus lui-même s’est écrié « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Parce que même lorsque nous savons que Dieu est présent, il nous arrive de nous sentir abandonnés, et ce sentiment est bien réel. Nous ne devons jamais juger un tel sentiment. Ce que nous devons faire, c’est assurer les personnes qui se sentent abandonnées de notre présence, de notre amour, ce qui sera la meilleure démonstration de la présence et de l’amour de Dieu. L’engagement à soulager la souffrance et à faire tout ce qui est possible pour en éliminer les causes est une obligation pour quiconque veut suivre Jésus. Un tel engagement suppose une authentique compassion humaine. Il faut aussi avoir la volonté ferme et persévérante d’être présent là où quelqu’un souffre, même si la personne souffre de manière chronique. Le malaise que nous ressentons devant quelqu’un qui passe beaucoup de temps à dire qu’il a mal est moins dérangeant que la souffrance de cette personne. Puissions-nous être sensible aux douleurs des autres, pour nous tenir à leur côté.





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