Qui suis-je pour vous ?
Qui suis-je pour vous ?
Il y a beaucoup de questions que nous n’osons pas poser. Certaines questions sont trop intimes. D’autres questions risquent de révéler aux autres que nous sommes peu instruits. Et puis il y a des questions qui nous mettraient dans l’embarras, parce qu’elles montreraient que nous sommes égocentré·e·s. En général, nous pensons beaucoup trop à la manière dont les autres nous considèrent.
La question « qui suis-je, pour vous ? » (lire dans l’évangile selon Matthieu, chapitre 16, versets 13 à 20) me pose une grosse difficulté. Car c’est une question que je n’oserai jamais poser à quelqu’un, j’aurais trop l’impression d’être orgueilleux en la posant.
Mais en y réfléchissant, je me dis que ne pas la poser pour ces raisons, c’est être tout aussi orgueilleux que de la poser. Et puis, est-ce que j’ai envie de savoir ce que les autres pensent de moi, en vérité ? Pas si sûr… Il faut beaucoup de courage et de confiance pour affronter la vérité des autres.
Réponses traditionnelles
Jésus se rend en territoire non-juif, dans la ville de Césarée de Philippe, et il demande à ses disciples ce que les gens pensent de lui. Et les disciples, dans leur réponse à la question de Jésus, donnent des noms de personnages marquants :
– Certains disent qu’il est Jean le Baptiseur, dont la prédication était centrée sur le jugement et la conversion. On a du mal à comprendre comment les gens pouvaient assimiler Jésus à Jean-Baptiste,puisqu’ils se sont connus et qu’ils étaient contemporains. Comment auraient-ils pu être les mêmes ? Il y a quelque chose, dans les croyances des gens, qui n’est pas toujours très simple à comprendre.
– Élie est la deuxième figure prophétique évoquée par les disciples. Sans doute le plus grand prophète de la Bible hébraïque, il devait revenir sur terre avant le jugement dernier. Jésus a dit que Jean-Baptiste était, symboliquement, l’Élie qui devait venir.
– Enfin, on dit de Jésus qu’il est Jérémie, qui était un prophète important, qui a été très malmené par les rois et par le peuple de l’époque à laquelle il a vécu – un temps de grosse crise politique. Les évangiles de Marc et de Luc, lorsqu’ils racontent cet épisode où Jésus demande « que disent les gens de moi ? » n’évoquent pas Jérémie. Matthieu met ici Jérémie en avant, comme figure du prophète incompris des siens, voulant par là expliquer le rejet de Jésus.
Dans tous les cas, les gens reconnaissent Jésus comme un prophète, et ils cherchent à l’identifier à un prophète connu et reconnu. Les gens perçoivent Jésus à la lumière de ce qu’ils connaissent déjà, c’est-à-dire à la lumière de leur tradition. Sans rejeter la tradition de son peuple, Jésus invite les disciples à se méfier du levain qu’elle contient. Le levain, qui gonfle la pâte (il préférait les pains sans levain).
Réponses personnelles
Après ces réponses, Jésus pose la question directement à ses disciples : « et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». On retrouve la pédagogie divine, qui avance doucement dans le questionnement pour amener les gens à formuler par eux-mêmes une réponse à une question existentielle.
Là, Pierre – le disciple qui deviendra l’apôtre – fait sa profession de foi : « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». La différence avec les déclarations précédentes, c’est que la réponse de Pierre est personnelle. Tout juif attend le Messie, mais Pierre comprend que le Messie (= Christ) n’est comparable à personne de connu. C’est une révélation, là, que Dieu donne à Pierre.
Jésus fait une promesse à Pierre : « tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église… Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ». L’évangile ne dit rien d’une succession instituée par Jésus. Jésus n’a pas dit à Pierre : « quand je ne serai plus là, c’est toi qui sera le chef ».
La question des clés du royaume semble être une question de responsabilité : celle de prononcer une parole qui délivre, une parole qui proclame pur ce qui était considéré comme impur. Une parole qui déclare le pardon pour les erreurs commises. Au final, cette responsabilité sera donnée aux disciples en Matthieu 18.
« Je suis » celui qui te déplace
Puis le récit se poursuit avec l’annonce de la mort de Jésus. L’image que les gens s’étaient fait du Messie qui devait venir, c’était un Messie puissant, victorieux, un homme fort qui allait chasser les envahisseurs. Et jésus se présente comme étant faible et il ne chasse pas les Romains. C’est autre chose que ce qui était attendu.
Ça n’a pas beaucoup rassuré ses disciples. Jésus ne nie pas être le Messie, il dit simplement qu’il ne faut le dire à personne. C’est un peu flippant, quand on croit que le Messie doit venir en fanfare ! Jésus est peut-être bien le Messie, mais il n’est pas le genre de Messie qu’on attend.
Jésus le Juif, ancré dans son peuple et dans son histoire, pose la question de son identité alors qu’il se trouve sur un territoire étranger, loin de chez lui. A cheval, donc, entre deux cultures.
Nous, qui sommes au 21è siècle, nous nous trouvons aussi entre deux civilisations : celle d’hier, lente et ordonnée, et celle d’aujourd’hui, ultra-rapide et numérique. Une troisième culture nous attend, qui nous fait peur, c’est la culture de l’effondrement. Avec la crise climatique notamment, nous sentons bien que tout ça peut s’arrêter d’un coup et qu’il va nous falloir tout réinventer pour continuer de vivre ensemble.
Nous avons parfois le sentiment d’être en territoire étranger. Le monde ne tournera plus jamais comme avant. Confronté·e·s à un changement radical de civilisation, cette question s’adresse de nouveau à nous, aujourd’hui. « Pour vous, qui suis-je ? » Jésus est-il un prophète ? Est-il un enseignant ? Un maître spirituel ? Est-il le Messie ? Est-il l’être humain parfait ? Est-il Dieu ? Jésus est-il un hippie, comme le chantait Johnny ? Ou était-il le premier communiste, comme j’entends dire parfois ?
Toutes ces réponses existent, et bien d’autres encore. Parfois, on peut valider plusieurs de ces réponses, et toutes ces réponses trouvent des justifications, plus ou moins valables, à partir de la Bible. Mais il faut bien avouer que très souvent, nos réponses sont façonnées voire dirigées par la tradition à laquelle nous nous rattachons.
« Je suis » celui à qui TU parles
Jésus autorise ses disciples à penser par eux-mêmes. La tradition leur ouvrait des pistes, mais vous savez bien ce que nous faisons de nos traditions : au lieu d’être des lieux qui nous inspirent, elles deviennent des boites trop étroites. Jésus nous autorise à penser différemment. Il nous autorise à le connaître lui, tel qu’il se présente à nous, même quand d’autres le connaissent différemment.
Jésus nous rend personnellement responsables du sens de notre vie.
En donnant la parole aux disciples et en accueillant la réponse de Pierre, Jésus met son interlocuteur dans une position de liberté. Pierre peut activement participer à la formulation de sa propre réponse. Nous sommes invité·e·s à formuler notre propre réponse, avec notre propre manière de parler, en partant de la relation intime que nous avons avec lui.
Concrètement, ça veut dire que votre réponse pourra ne pas être la mienne. Ça ne fait pas de moi quelqu’un de moins chrétien que vous ! Ce qui compte, c’est que votre confession de foi soit en harmonie avec la relation que vous entretenez avec Jésus.
Et les confessions de foi, dans tout ça ?
Trop souvent, on insiste pour que nous professions un même contenu de foi. Ce contenu commun est important, il nous permet de vivre quelque chose ensemble, d’avoir le sentiment d’être dans l’unité. Il ne s’agit bien sûr pas d’affirmer des dogmes, mais de vivre réellement cette relation à laquelle Dieu nous invite. Nous sommes engagé·e·s avec Jésus, et cet engagement nous l’avons pris avec le Jésus réel. Celui qui a touché nos vies. Nous ne l’avons pas pris avec les explications traditionnelles de l’expérience de Dieu en Jésus. C’est bien différent.
Il y a une affirmation forte que nous avons en commun, c’est « Jésus est Seigneur ». C’est une affirmation qui fait rupture avec la marche du monde. Ce n’est pas le roi, ou l’empereur, ou le président qui a un pouvoir sur nos vies, ce ne sont pas non plus nos patrons ou nos parents, mais c’est Jésus-Christ.
On se dit : « un seigneur, c’est puissant ». Mais le notre s’est laisser dépouiller à la croix et nous a dit : « suivez-moi ». Il est un seigneur qui refuse de dominer, qui prétend que la vraie force c’est la faiblesse, que la seule couronne est faite d’épines. Alphonse Maillot écrivait : « C’est un seigneur qui n’exige rien de nous mais tout de lui-même : lui seul doit obéir, lui seul doit donner, lui seul doit se dépouiller ».
Et en effet, Jésus a dit en Matthieu 20 : « Vous savez que les chefs des peuples les commandent en maîtres et que les personnes puissantes leur font sentir leur pouvoir. Mais cela ne se passera pas ainsi parmi vous. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur… » – avant de dire qu’il est lui-même venu pour servir. Alors Jésus est peut-être Seigneur, mais ce n’est pas le genre de Seigneur que nous imaginons.
Jésus était tellement humain, tellement complet, tellement accompli… que les gens étaient convaincus que Dieu l’habitait, qu’il était le porteur de ce que signifie la notion même de Dieu. C’est ce Jésus-là, moi, que je désire servir, le Jésus que j’appelle Seigneur, et qui me montre ce que signifie être pleinement humain.
Il y a beaucoup de questions que nous n’aimons pas poser. Parce que des fois, les questions nous font peur. Mais il y a une question que je veux vous poser. Je n’ai pas besoin de connaître la réponse, mais vous avez peut-être besoin que quelqu’un vous la pose : « et vous, qui est Jésus pour vous ? »
Je vous invite à prendre le temps d’y réfléchir et à trouver votre propre réponse, une réponse personnelle, celle qui vibre au plus profond de votre être, et de l’écrire quelque part en y apposant la date d’aujourd’hui (pourquoi pas dans votre bible ?).
Plus tard, quand vous vous relirez, vous aurez l’occasion de vous reposer la question. Et vous ne vous étonnerez pas s’il arrive que votre réponse n’est plus exactement la même.
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