Lettre au Père Noël
J’avais écrit une lettre au Père Noël, mais je l’ai perdue. Je n’ai donc pas pu la lui envoyer… Maintenant que je l’ai retrouvée, j’ai peur que l’occasion soit passée. Mince alors ! Je comprends mieux, du coup, pourquoi je n’ai pas eu le cadeau que je lui avais demandé à Noël…
Je ne crois pas au Père Noël, en temps normal. Mais peut-on dire que les temps que nous vivons sont normaux ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’en ce moment, ce que j’observe me pousse dans mes retranchements. J’ai donc décidé d’écrire une lettre au Père Noël.
Petit papa Noël…
Cher Père Noël,
En cette fin d’année, tu dois être bien occupé par tous les préparatifs qui vont déboucher sur la grande fête de la naissance du Christ. Tu vas recevoir des millions de lettres et des demandes de cadeaux que tu liras, sans aucun doute, très attentivement. Ma lettre va sûrement te paraître décalée et je ne suis pas sûr qu’elle retienne ton attention, parce que je ne te demande pas de cadeau, cette année.
En effet, avec ma petite famille, nous nous sommes mis d’accord : nous ne voulons pas de cadeaux. Nous voulons nous mobiliser pour vivre un temps ensemble, du mieux que nous pouvons, où nous allons nous retrouver dans la simplicité, sans nous pourrir la tête avec le devoir impératif de nous offrir des cadeaux inutiles qui nous obligeraient à faire mieux et plus grand la prochaine fois. Je vis depuis des années un vrai ras-le-bol des cadeaux de fin d’année.
Il est possible que cette attitude qui m’habite devienne pour moi une nouvelle manière de fêter Noël : je préfère mettre l’accent sur les liens plutôt que sur les biens. Et je trouve que les biens sont un frein aux liens, lorsqu’ils ne sont pas le fruit d’une solidarité.
Mais ce n’est pas le sujet de ma lettre.
Ce qui m’inquiète, aujourd’hui, c’est la grande confusion qui s’est installée depuis des années. Une confusion comme un chaos. Noël est sensé être une fête centrée sur l’intériorité, sur la profondeur de l’être humain, en résonance avec la solidarité. Noël c’est un moment où on ralentit, on se pose pour regarder ce qui se passe autour de nous, et où on se mobilise pour veiller à ce que personne ne se trouve en marge de l’humanité qui nous est commune. Voir que des gens passent ces « fêtes » dans une solitude non choisie me semble inadmissible. Et plus jeune, j’imaginais qu’on allait étendre cette solidarité aux êtres vivants autres qu’humains… Mais je vois bien que nous ne prenons pas cette direction.
En réalité, ces fêtes de fin d’année sont exactement le contraire de l’intériorité-solidarité. C’est la fête aux apparences, l’orgie ultra-consommatoire et le mois de décembre est pour beaucoup de gens le mois le plus actif de l’année, où on court partout, tout le temps, pour remplir les commandes et faire des super-courses, en plus du reste. Il n’y a pas de place pour faire une pause. Pour réfléchir. Observer. Méditer. Pas de place pour vivre. Juste pour produire et s’agiter. Ça n’a aucun sens.
Individualisme de masse
Mais ce qui m’inquiète dans tout ça, cher Père Noël, c’est la place de l’individualisme. Comme protestant – et je dirai même comme chrétien – je tiens beaucoup à la place que l’on fait à l’individu. C’est à partir de l’individu que beaucoup de choses se jouent, et je trouve que l’écrasement de l’individu par le groupe est une mauvaise chose. Depuis des années nous vivons dans une société qui tend à l’individualisme – et je constate que l’individualisme ne met pas l’individu au centre, mais la masse. Nous ne formons plus des groupes (familles, amis, relations professionnelles, Églises, associations, etc.) mais des masses. Et pour qui sait se servir d’une masse, on sait combien la masse peut écraser, et violemment !
Dans cette logique de masse, l’émotion est à son comble. Chacun et chacune réagit émotionnellement à ce qui lui arrive, sans même se demander quelles conséquences aura sa réaction. Ou son action, d’ailleurs. Nous considérons que la liberté que nous avons de faire ce qui nous plaît est plus forte que l’intérêt commun. Nous refusons l’effort de faire une place à l’autre, parce que tout ce qui compte, c’est « moi, moi, moi ». Comme si nous étions, socialement, retombés au stade de la petite enfance.
Sauf que nous ne sommes plus des enfants.
Petites aventures – les trottoirs
Quand je me promène dans les rues de ma ville, je vois des gens qui se garent sur les trottoirs. Comment des adultes responsables peuvent-ils se dire : « je vais me garer sur le trottoir, je n’en ai que pour 5 minutes », sans prendre conscience qu’ils vont empêcher des personnes de circuler librement, notamment des personnes à mobilité réduite ? Il y a des personnes porteuses de handicaps, mais aussi des personnes qui poussent des poussettes, des personnes âgées qui ont des difficultés à se déplacer, des enfants qui flippent à l’idée de descendre du trottoir dans une rue où les conducteurs de voiture sont dangereux, etc.
Petites aventures – les chiens
Quand je promène mon chien le long des voies d’eau de ma ville, je rencontre régulièrement des gens qui promènent leur chien. Et souvent, les maîtres détachent leurs chiens. D’un côté, je comprends : c’est vachement mieux pour le toutou de ne pas être restreint par une limite physique. Et puis mince, on est libre, on fait bien ce qu’on veut. N’empêche que de l’autre coté, il faut parvenir à gérer. Et si je libère mon chien, parce que j’ai confiance en lui – je suis persuadé que mon chien ne ferait pas de mal à une mouche – je ne sais absolument pas comment va réagir le chien qui se trouve en face.
Il y a des toutous qu’on ne peut pas détacher – pour plein de raisons, mais il faut juste avoir en tête que tous les chiens ne sont pas « dressables », et que la contrainte du dressage peut-être plus cassante que le fait d’être en laisse. Mais surtout, dans un espace public, il y a des règles. Tenir nos chiens en laisse en fait partie, les maires prennent des arrêtés municipaux, et ce n’est pas pour rien. Je ne parle même pas des gens qui ne ramassent pas les crottes…
Petites aventures – les voitures
Quand je suis dans ma voiture, je respecte les limitations de vitesse – en tout cas j’essaye, quand je sais à quelle allure il faut rouler (il faut dire qu’en Eure-et-Loir la signalisation n’est pas toujours au top…). Mais quand en centre-ville je roule à 30km/h, et que la plupart des gens qui sont derrière moi me font des appels de phare, voire me klaxonnent, afin de pouvoir rouler plus vite, pensent-ils, ces gens, que la circulation automobile n’est pas une course de vitesse ? Que nous ne sommes pas sur un circuit ? Que la vie a un prix, et qu’il serait avantageux pour tout le monde d’éviter de prendre quelqu’un sur notre capot ?
Petites aventures – la propreté
Quand je sors de chez moi, il m’arrive de croiser quelqu’un en train de pisser contre le mur du temple. Je me racle la gorge et la personne réagit. La dernière fois, le mec me disait, le froc complètement baissé : « Oh, excusez-moi, je viens de me faire opérer des reins et j’étais pressé ». Parfois je retrouve dans la petite cour du presbytère des emballages plastique de trucs qui ne sortent pas de chez moi. Ou encore des personnes jettent des déchets dans ma poubelle, sans les emballer (les éboueurs ne ramassent pas ce qui n’est pas mis en sac poubelle).
Petites aventures – les boîtes à livres
Quand je fouille dans les boîtes à livres de ma ville (il y en a une très bien fournie à-côté du temple), je ne trouve pas que des livres en bon état. Il y a des gens qui viennent y déposer des trucs pour éviter de remplir leurs poubelles. Non, je ne suis pas trop sévère ! Quand on voit des bouquins qui ne se tiennent plus, avec des pages déchirées ou gribouillées, ou bien des revues de type « Chartres-Métropole » ou quelque autre magazine qu’on ne trouve même plus dans les salles d’attente des médecins… je me questionne.
Petites aventures – les médecins
Ah, et quand je vais chez un médecin, sauf exception, je tombe sur quelqu’un qui n’écoute rien de ce que je lui dis. J’ai beau lui expliquer où j’ai mal, quels ont été mes traitements antérieurs, les difficultés que j’éprouve, la plupart du temps je suis face à un professionnel qui cherche à se débarrasser du problème selon un protocole qui m’a l’air d’être tout droit sorti du manuel du parfait « j’en ai rien à foutre ».
Alors il met souvent les formes, et écrit un rapport du type : « J’ai consulté Lionel Thébaud, il se plaint de ceci, il souffre toujours, il s’inquiète de l’évolution future de sa pathologie, je n’ai rien trouvé, mais je l’ai rassuré et lui ai proposé un traitement médical (identique au précédent) associé à des règles hygiénodiététiques ». Je n’invente rien, j’ai le document en ma possession – si vous voulez une preuve.
Foutage de gueule. Ça fait des années que les médecins me suivent pour ces problèmes et qu’ils me les rappellent, ces foutues « règles hygiénodiététiques ». Des années que je les mets en pratique et ça ne change rien. A part le catéchisme médical, tu sers à quoi, toi qui as ton diplôme de médecine ? Tu ne peux pas simplement me dire : « Je suis désolé, mais je ne comprends pas, je ne sais pas quoi faire » ? Ou encore : « Puisque j’ignore tout du mal dont vous souffrez, je propose qu’on fasse tel ou tel examen » ou encore qu’on demande à tel spécialiste réputé dans le domaine concerné ? Non, il faut sauver ta petite face et faire comme si le problème venait de ma mauvaise volonté. Surtout, garde ta fierté et ta conscience bien propre, hein.
Et moi, et moi, et moi…
Je n’ai pas prévu de faire la liste des incivilités que je rencontre au quotidien dans ma ville. Le fait d’écrire cet article montre déjà bien assez à quel point j’ai vieilli, ces derniers temps. Je finis l’année en mode vieux con. Mais vois-tu, Père Noël, je me rends compte que les gens posent ces actes pour une seule raison : « Moi, moi, moi ». Il n’y a que moi qui compte. Je me fiche des conséquences. Mon confort passe avant tout. L’autre est un con, de toute façon. Voilà ce que j’entends, systématiquement, à chaque fois que je constate ces choses.
Et ce qui m’épate, le plus souvent, c’est que ce sont les mêmes personnes qui râlent contre « les jeunes qui ne respectent rien », ou « les étrangers qui ne connaissent pas nos valeurs », bref qui critiquent chez les autres ce qu’ils font eux-même. Des personnes qui prônent des « valeurs chrétiennes », comme ils disent. La valeur de leur domination sur les personnes moins valides qu’elles. Bravo. Des personnes qui mettent leurs enfants dans une école catholique, « parce que là on sait ce qu’ils apprennent », ou qui tiennent vachement à la notion de République (la Chose Publique, le commun, quoi), mais qui n’en respectent pas les principes élémentaires.
Donc si je devais faire une demande, Père Noël, ce n’est pas pour avoir un cadeau. Je suis déjà bien assez encombré. Si je devais faire une demande, c’est pour que les gens fassent un peu plus attention aux autres. Qu’ils ne se considèrent plus comme le centre du monde, mais qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls au monde, et qu’ils ne peuvent bien vivre leur liberté que s’ils permettent aux autres de vivre libres.
Et comme je poste ce billet bien après Noël, il se transforme comme par magie en vœux pour 2025 !
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