Les protestant·e·s et les saint·e·s

22 août 2021Lionel Thébaud

Prends bien garde alors de ne pas oublier le Seigneur,
qui t’a fait sortir de l’esclavage d’Égypte.
Reconnais l’autorité du Seigneur ton Dieu
et adore-le lui seul !
Ne prête serment qu’en son nom.
Vous ne rendrez pas de culte à d’autres dieux,
les dieux des peuples alentour,
car le Seigneur ton Dieu,
qui est présent avec toi,
est un Dieu exclusif.

Deutéronome 6.12-15

La Réforme protestante a mis l’accent sur un retour au texte biblique pour poser les fondements de la foi chrétienne. On peut dire qu’une des grandes différences qui existent entre le protestantisme et les autres religions, c’est son refus du culte des saints. Les protestants se basent sur la Bible pour établir leurs croyances, et à ce titre il déclare que toute personne qui a accepté de suivre les enseignements de Jésus est considérée par Dieu comme saint. En protestantisme, saint signifie chrétien. Du coup, nous ne considérons pas que quelqu’un serait plus saint que quelqu’un d’autre, ça n’a pas de sens chez nous. Tout comme leur rendre un culte serait largement inapproprié. C’est dans ce cadre qu’intervient pour nous la question de Marie, la mère de Jésus.

Le culte des saints

En catholicisme – comme dans beaucoup de religions – un saint ou une sainte, c’est une personne qui sert d’intermédiaire entre Dieu et les êtres humains. Si vous voulez un schéma, en voici un.

On a là une belle structure hiérarchique, où les humains, pas très sûrs que Dieu ait des oreilles disponibles pour les entendre prier, s’adressent à des êtres extraordinaires (divinisés) que l’Église a béatifiés, voire à des êtres célestes, qui intercéderont auprès de Dieu et qui sauront le convaincre de leur venir en aide. C’est intéressant, parce que c’est exactement ce type de structures qu’ont les religions polythéistes.

La Bible, elle, prétend que toute personne qui a reçu la foi en Jésus le Christ est devenue sainte. C’est-à-dire qu’elle a reçu la capacité de vivre sa vie avec Dieu. Et qu’en ce domaine, il n’y a pas de concours céleste organisé pour savoir qui y est mieux arrivé que les autres, parce que nous ne sommes pas sauvé·e·s par les œuvres, mais par la grâce. Ainsi, pour nous, il n’y a pas ceux qui sont saints, et les autres : tous et toutes, vous êtes des saints et des saintes aux yeux de Dieu.

Les catholiques croient que les mort·e·s continuent de prier pour les vivant·e·s, et que l’on peut leur adresser nos prières pour augmenter les chances que Dieu y réponde favorablement. Les saints sont des morts qui ont vécu une vie jugée exemplaire, et à qui on attribue des miracles, ce qui leur confère un pouvoir de prière supérieur. En protestantisme on dit que, une fois que la mort vous aura touché, vous irez directement auprès de Dieu. On ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais il n’y a pas de phase intermédiaire.

En effet, les vivants savent au moins qu’ils mourront,
mais les morts, eux, ne savent rien du tout.
Ils n’ont plus rien à attendre puisqu’ils sont tombés dans l’oubli.
Leurs amours, leurs haines, leurs jalousies
sont mortes avec eux
et ils ne participeront plus jamais
à tout ce qui arrive sous le soleil.

Ecclésiaste 9.5-6

Plus de communication possible. Personne, donc, pour entendre nos prières et les acheminer jusqu’à Dieu. Enfin, le Nouveau Testament affirme qu’il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les êtres humains, c’est Jésus-Christ. Personne d’autre ne peut jouer ce rôle auprès de Dieu. Donc dans l’esprit de la Réforme, c’est clair, on s’en tient à ce que dit la Bible. Et ça ouvre des portes folles puisqu’il y a bel et bien plusieurs manières de comprendre ce que dit la Bible.

En catholicisme, donc, on a établi ces strates pyramidales, et on voit bien comment la structure hiérarchique de l’institution catholique correspond bien à cette vision. Si à la place de Dieu, anges, etc. vous mettez pape, cardinaux, etc., alors vous comprenez l’une des différences majeures entre catholiques et protestants, et vous comprenez que les rôles du prêtre et du pasteur ne sont pas tout à fait identiques. Normalement en tout cas.

Résumons : chez les protestant·e·s, on considère d’une part que les personnes, lorsqu’elles meurent, rejoignent directement le cœur de Dieu. On considère d’autre part que les prières doivent s’adresser à Dieu seul, donc qu’il est inutile de s’adresser aux morts. La question des saints telle qu’elle est conçue en catholicisme n’a aucun sens en protestantisme. Avec cette question s’explique la relation que les catholiques ont avec Marie, la mère de Jésus. Celle-ci est très vénérée, priée et parfois adorée en catholicisme, au point que des dogmes récents lui confèrent des attributs qui auparavant n’étaient conférés qu’à Jésus. Le protestantisme a beaucoup de respect pour Marie, mais il la traite comme il traite toutes les personnes défuntes : on ne communique pas avec elle, parce qu’on croit que c’est tout simplement impossible et inutile. Dieu est le seul sujet des prières de ses fidèles.

En général, dans notre protestantisme, nous ne parlons pas de Marie. C’est commode, mais ce n’est pas très juste. Comment penser Marie dans notre approche de la foi, si on la cache ? En plus, la foi mariale répond à un besoin, et il convient de chercher à comprendre ce besoin si nous voulons y répondre avec notre spécificité protestante.

Tour rapide de l’histoire de la foi mariale.

D’abord, le Nouveau Testament parle très peu de Marie, mère de Jésus. Pour nos textes, Marie n’existe que par rapport à Jésus. Juste pour vous donner quelques chiffres : j’ai comparé rapidement les occurrences des 3 principales Marie de nos textes (ces chiffres correspondent aux nombres de récits qui existent pour chacune de ces femmes).

Les chiffres ne sont peut-être pas tout-à-fait exacts, comme dit j’ai fait ça rapidement. Une erreur à éviter à tout prix : on ne peut pas cumuler ces chiffres. Ce qu’on peut faire, en revanche, c’est comparer ces chiffres, par exemple en montrant que Matthieu et Luc accordent de l’importance à Marie, mère de Jésus, tandis que Marc préfère parler de Marie de Magdala et Jean de Marie la sœur de Marthe. Ce qui n’est pas très étonnant, car c’est dans Matthieu et Luc que l’on a les récits de la naissance de Jésus. On entend parfois dire que Marie est la personne la plus importante du Nouveau Testament après Jésus, mais force est de constater qu’il n’en est rien. D’abord, les hommes comme Pierre, Jacques, Jean ou même Hérode sont plus importants qu’elle, et d’autre part, dans Marc c’est Marie de Magdala qui est la femme la plus importante, et c’est Marie sœur de Marthe pour Jean. Les auteurs de la Bible de toute façon – même s’ils laissent de la place à des femmes – ne sont pas préoccupés par nos questions d’égalité.

En dehors des textes de la Bible, d’autres écrits ont vu le jour dans les communautés chrétiennes : ont trouve certains récits dans des apocryphes composés à partir du IIe siècle. Lors du concile de Nicée (325) – d’où est tirée notre confession de foi, appelée Credo – il n’y a rien sur Marie, sinon le fameux « Jésus-Christ (…) né de la Vierge Marie ». Il faut attendre 431, le concile d’Éphèse, pour avoir le premier dogme marial : on y qualifie Marie de « mère de Dieu », parce qu’on a établi qu’elle a donné naissance à un être qui était à la fois vrai homme et vrai Dieu. En 649, le pape Martin 1er affirme le dogme de la virginité perpétuelle : Marie était vierge avant la naissance de Jésus et elle l’est restée jusqu’à sa mort. Puis le pape Pie IX affirme le dogme de l’Immaculée Conception en 1854 : Marie n’a pas connu le péché originel. Et enfin le pape Pie XII affirme le dogme de l’Assomption en 1950 : la Vierge Marie, à la fin de sa vie terrestre, est élevée corps et âme dans le ciel. Ces deux derniers dogmes ne sont pas partagés par l’Église Orthodoxe. Je vous fais donc remarquer que l’Assomption, fêtée par les catholiques dimanche dernier, est une célébration très récente. Au regard de ces éléments, il ne faut pas vous attendre à ce que je parle de Marie le jour de la fête de l’Assomption, qui est une fête exclusivement catholique et qui, par conséquent, ne concerne pas les églises protestantes.

Quel sens profond a le culte marial ?

On me dit souvent que Marie incarne une approche féminine de la spiritualité. D’ailleurs, beaucoup de catholiques avec qui j’ai discuté de la figure mariale insistent sur le fait qu’on se sent plus proche de notre part féminine en priant Marie qu’en priant un Dieu mâle. Marie est peu à peu devenue le modèle parfait de ce qu’une femme devrait être. Ça veut dire qu’une femme doit être comme Marie pour être une vraie femme reconnue en tant que telle. On a tout dit sur Marie : elle est soumise, elle est pieuse, elle accepte sa souffrance sans ciller, elle est humble, elle veut servir Dieu, etc. Mais surtout, elle est vierge. Ça veut dire qu’elle n’a aucune sexualité. Et elle enfante. En gros, une femme doit être tout ça, et si elle est vierge elle n’est pas vraiment une femme, mais si elle a une activité sexuelle c’est uniquement dans le but d’avoir des enfants. Bref, il faut parvenir à relire le personnage de Marie avec une certaine distance critique de manière à en dégager ce qui peut vraiment nourrir notre foi, plutôt que de l’utiliser pour renforcer les systèmes de domination.
Pour résumer, donc, le besoin profond exprimé par les personnes qui cherchent à prier Marie, c’est le besoin d’une religion qui soit plus féminine. Le problème est que Dieu a été représenté comme un vieil homme barbu. Et même quand on quitte cette représentation – qui nous habite, quoi qu’on fasse – on reste avec des personnages bibliques très majoritairement masculins, un Jésus homme – et pas seulement au sens de « être humain », des disciples très majoritairement masculins, des apôtres très majoritairement masculins, les 12 sont des hommes, exclusivement, et les femmes semblent n’avoir que des places subalternes. Je dis « semblent », parce qu’heureusement on a développé des lectures alternatives. Mais nos Écritures ont été écrites par des hommes dans une société d’hommes et ils n’auraient jamais pu écrire quelque chose qui soit radicalement différent de ce que leur société portait comme idéologies.

Il est vrai aussi que la Bible utilise beaucoup d’images masculines pour décrire Dieu et ses actions. Mais il y a deux choses qu’il faut garder en mémoire. La première, c’est que la Bible utilise aussi des images féminines pour décrire Dieu et ses actions. Elles sont moins fréquentes, mais elles existent. La deuxième, et ça me semble le plus important à retenir, c’est que Dieu n’est ni masculin ni féminin. Il porte sans aucun doute ces caractéristiques en lui, ainsi que beaucoup d’autres, parce que c’est lui qui a créée le monde sensible, mais enfin, ce n’est pas parce que nos textes le décrivent comme « Père » qu’il est un mâle poilu et musclé. Quand je prie Dieu, ce n’est pas un mâle que je prie. Je prie l’être spirituel qui donne la vie vivante et vivifiante. Cet être, ce Dieu, comble mes besoins de valorisation masculine et féminine, parce qu’il en est le Créateur. Et pour moi, Jésus est médiateur en ce sens qu’il nous a révélé qui était cet être plein d’amour. Et dans ma foi je n’ai pas besoin d’autre médiateur, ni céleste ni humain.

Lorsqu’on a reçu et intégré l’image d’une religion masculine et hiérarchique, on a besoin d’autre chose, et cette image ne s’efface pas à grands coups de proclamations prononcées du haut de la chaire. Il faut souvent du temps pour retrouver l’être de Dieu, et parfois, ça passe par des figures plus douces telles que les saints et les saintes, telles que Marie. Honnêtement, ça ne me pose aucune difficulté. Je ne fais pas dans l’anticatholicisme primaire. Ni dans le secondaire d’ailleurs. Simplement, nous sommes une église protestante, qui ne pratique pas le culte des saints. Du coup, si vous faites partie de ces personnes qui ont besoin de cette figure féminine dans votre foi, le pasteur que je suis va avoir du mal à assurer. Rien ne vous empêche de vous rendre de temps à autre dans un lieu qui valorise ces figures. Après tout, si le jour de l’Assomption vous ressentez le besoin de vivre une célébration mariale, ce n’est pas moi qui vous jugerai. Ni personne d’autre ici, j’espère. Je penserai à intégrer les récits qui concernent Marie dans mes prédications, pour nous donner à penser la foi, notamment à Noël par exemple, qui n’est pas une fête exclusivement catholique. Parfois même de manière critique, d’ailleurs, comme je le fais avec les autres personnages de la Bible. Et si vous n’êtes pas là au culte le jour où je le fais, rien n’est perdu, tout est disponible via notre site internet, soit en audio, soit en fichier texte. Et je termine ce message par une citation de Luther, qui aimait beaucoup le personnage de Marie : « mieux vaut diminuer exagérément [Marie] que la grâce de Dieu ».

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