Le Père et la loi
Dans sa lettre aux Galates, Paul parle beaucoup de la loi. Par loi, il faut surtout entendre la loi juive, en référence à la Torah, qui, pour Paul, s’adresse aux Juifs. Paul comprend la loi comme étant un système destiné à protéger Israël jusqu’à ce que le Messie vienne réaliser la promesse divine. Ça vous semble obscur ? Pour moi aussi. Alors lisons dans la lettre de Paul aux Galates, le chapitre 4, aux versets 4 à 6. Je vais essayer d’expliquer un petit peu ce que tout ceci veut dire, en montrant quels liens Paul fait entre Dieu le Père et la loi.
La loi comme pédagogue
Paul indique que les Juifs étaient « prisonniers sous la loi » (lettre aux Galates, chapitre 3, versets 23-24) : ça nous semble négatif, mais en grec c’est positif. Garder prisonnier, dans ce contexte, c’est un peu l’image de l’enfant que nous surveillons et que nous contraignons pour qu’il puisse grandir dans un environnement sain, jusqu’à ce qu’il ait l’âge de quitter le nid familial.
Vous avez connu tous les « Ne mets pas tes doigts dans la prise électrique », « non, à quatre ans il est hors de question que tu ailles à la Japan expo », « si, si, tu dois manger des légumes »… Bref, vous savez ce que signifie l’enfance : c’est à la fois la contrainte et l’insouciance. Dans l’enfance, nous ne portons pas la responsabilité de nos actes : nos parents nous imposent leur loi. Je parle en général, bien sûr – et je sais bien qu’il y a parmi vous des gens qui pourront m’objecter que les lois parentales ne sont pas toujours justes et légitimes. Mais dans l’idée, c’est ça : l’enfant obéit aux lois parentales pour son bien. Ces lois sont sensées lui offrir un cadre sécurisant dans lequel il peut grandir et faire ses expériences.
Paul dit que la loi est comme un pédagogue. Le pédagogue, c’était, dans la société de la Grèce antique, un esclave chargé de conduire l’enfant à l’école. Il guidait ses pas, partageait ses jeux et discutait avec lui. Sur le chemin de l’école, il apprenait à l’enfant comment il faut se comporter en société. C’est une image positive.
Le juif soumis à la loi est donc pour Paul comme cet enfant soumis au pédagogue : un mineur qui a besoin d’un cadre sécurisant pour grandir.
L’enfant et l’adulte
Personnellement, cette image me gêne parce qu’elle me semble terriblement condescendante : je n’aime pas du tout l’idée de considérer les Juifs comme des enfants. Mais à l’époque de Paul, les relations entre les communautés juives et chrétiennes étaient tendues. On est là dans un cadre polémique.
Il faut entendre ce cadre – sans pour autant accepter l’infantilisation. Néanmoins, cette image – toute méprisante qu’elle est – peut produire en nous quelque chose d’intéressant.
Il arrive qu’un jour l’enfant devienne adulte. Quand il est prêt, il se libère de son pédagogue. Pour Paul, c’est la foi qui provoque le passage de l’enfance à l’âge adulte, spirituellement parlant. Faisons comme si Paul n’insultait pas les Juifs en disant qu’ils n’ont pas la foi, et concentrons-nous sur les aspects positifs de son message (vous aurez tout le temps, plus tard, de critiquer la position de Paul, je vous fais confiance pour ça).
La loi est forcément limitée dans le temps : on en a plus besoin, à un moment. Paul dit : « après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce surveillant » (Galates 3,25). Pour l’apôtre Paul, c’est la venue du Christ qui inaugure une nouvelle possibilité de foi.
Avec le Christ, le peuple de Dieu est entré dans la maturité spirituelle. Il n’a donc plus besoin de la loi pour le protéger. Il lui faut maintenant apprendre à vivre sa vie sous le regard de Dieu – c’est-à-dire dans une libre relation de confiance.
Paul le dit sans cesse : le désir que nous avons, nous, chrétiens et chrétiennes, de vivre une vie entièrement réglementée par la loi, est le signe d’un retour à l’immaturité. L’enfant, dans l’antiquité grecque, avait le même statut que l’esclave. Ce désir est donc un retour à l’esclavage spirituel.
Dieu le Père
Apprendre à vivre sa vie sous le regard de Dieu – c’est-à-dire dans une libre relation de confiance. Mais quelle est cette relation dans laquelle la foi nous fait entrer ? C’est une relation de filiation : nous sommes fils et filles de Dieu.
Je ne dis pas « enfants de Dieu », justement parce que d’après Paul, nous ne sommes plus des enfants, des esclaves, des personnes qui doivent obéir, mais nous sommes des êtres libres, donc responsables. Fils et filles, ça veut dire que Dieu est Notre Père.
L’appellation « Notre Père » est une image, qui est très forte et très importante pour les communautés chrétiennes, mais c’est une image. Entendons-nous bien, donc.
Chez les Juifs de l’Antiquité, qui n’ont pas attendu Jésus pour appeler Dieu « Père », vous savez que les femmes sont importantes, mais enfin, beaucoup moins importantes que les hommes (les hommes, eux, ne sont jamais stériles, c’est toujours les femmes qui le sont). Appeler quelqu’un « père », c’est reconnaître en lui la source de notre existence. Pour l’époque, ce n’est pas la mère qui est la source, c’est le père, avec sa semence. Oui, c’est très critiquable, mais c’est comme ça qu’on pense à l’époque, et c’est cette image que nous véhiculons dans nos traditions. Là encore, je ne vous invite pas à éteindre votre critique – je vous demande juste de la mettre de côté un instant pour voir les bons côtés de cette image de « père ».
Les prophètes, déjà, avaient qualifié Dieu de père. Ce qui semble nouveau, avec Jésus, c’est l’appellation « Abba ».
Dieu : Abba (Papa) ?
J’ai souvent entendu dire que Abba était l’équivalent du mot « papa » attribué aux enfants. Abba est bien un terme affectueux, mais il comporte aussi une nuance de respect : c’est ainsi qu’un enfant parle à son père, mais c’est aussi comme ça qu’un adulte s’adresse à un vieillard, ou un disciple à son maître. Il y a bien une proximité affective, mais elle n’efface pas le fait que Dieu est le Seigneur.
La nouveauté de Jésus, en réalité, n’est pas dans l’utilisation du mot père, mais elle est dans le fait d’utiliser, pour désigner Dieu comme père, non pas un mot hébreu, mais un mot araméen. Le renversement est là : l’hébreu était la langue du culte, la langue du sacré, alors que l’araméen était la langue de la vie quotidienne. Ça me fait penser à Luther, quand il traduit la Bible en langue allemande : Dieu se dit dans la langue de tous les jours.
La révolution de Jésus, c’est en quelque sorte de faire descendre Dieu d’un espace sacré, pour le plonger dans la vie réelle des êtres humains. Dieu, devenu accessible. Dieu, notre Père. Ici, Père signifie que Dieu est la source de notre être. C’est lui qui est à l’origine de notre vie.
Et dans son élan d’amour, nous qui nous sentons désaffiliés, parce que nous lisons qu’Israël est le fils bien aimé de Dieu, Paul nous rappelle que Dieu nous a adoptés, c’est-à-dire qu’il nous a reconnus comme étant issus de lui.
Nous et la loi
Alors, puisque nous sommes fils et filles de Dieu, qui est la source de notre être, nous Dieu comme notre source (qu’on appelle Père dans la tradition, mais qu’il est possible d’appeler Mère, ou Père et Mère, ou source, etc. Je rappelle que l’appeler « Père » a du sens, mais qu’il ne faudrait pas commettre l’erreur de voir en Dieu un mâle ou un géniteur), et nous entretenons une relation personnelle avec Dieu, une proximité affective, nous partageons avec Dieu des moments privilégiés, dans le respect et dans l’amour, dans une confiance inouïe.
Cette relation, habitée par le Saint-Esprit, fait de nous des femmes et des hommes libres à l’égard de la loi de la Torah. Il n’y a qu’une exception à ce que je viens de dire : c’est la loi d’amour. Tout ce qui est le fruit de l’amour pour votre frère ou votre sœur résonne en vous comme une obligation.
Mais ce n’est pas une loi extérieure, qui vous dirait « fais ceci, ou fais cela ».
Vous le savez bien, ça bouillonne en vous : même si votre égoïsme vous souffle de garder pour vous ce temps, ou cet argent, dont l’autre a besoin, l’Esprit en vous vous convainc qu’il est bon de faire don de ce que vous avez pour que l’autre, qui est dans le besoin, soit enrichi.
Nous sommes héritiers et héritières des promesses de Dieu. Devenus matures par la foi de Jésus le Christ, en tant que femmes et hommes sauvés par grâce, nous appartenons pleinement à la vie divine. Cette vie nous habite, elle coule en nous, et nous la répandons autour de nous pour que soient bénies toutes les familles de la terre – c’est-à-dire tous les êtres que nous rencontrons et que nous fréquentons.
En savoir plus sur Chemins Libres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.