Esprit de compétition
Les JO mettent en avant l’esprit de compétition, parce que c’est quelque chose de très important dans notre société. Mais quel regard critique les chrétiens et les chrétiennes pourraient adopter devant cette volonté de dominer les moins forts? Et Dieu dans tout ça ?
Jeux (para)Olympiques
Nous sommes le 8 septembre 2024. Ce soir, c’est la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques. Oui, je suis têtu, je refuse de dire « Jeux paralympiques ». On ne doit pas, à mon avis, séparer les choses à ce point. Ce sont les Jeux Olympiques, et si je comprends que les infrastructures et l’organisation ne sont pas tout-à-fait les mêmes pour les personnes en fonction de leurs limites physiques liées à une maladie ou à un handicap, ce sont quand-même les JO. Après tout, on n’a pas d’un côté les JO masculins et les JO féminins.
Bref. Je pointille. Comme toujours.
Je disais donc que ce soir, c’est la cérémonie de clôture. J’espère que celles et ceux qui aiment le sport et les JO en particulier mettront un point d’honneur à regarder cette cérémonie avec la même ferveur que lorsqu’il s’agissait des athlètes valides.
Valides… Quel mot horrible. Valides !
Qui les a validés ? Qui leur a donné leur validation ?
La santé bonne
Valide, dans le dictionnaire, signifie deux choses. Premièrement : « sain et en bonne santé ». On peut déjà se dire que tout dépend de la définition qu’on donne à la santé. Entre les gens malades qui savent qu’ils sont malades, ceux qui ignorent quelle maladie ils ont, ceux qui ignorent qu’ils sont malades et ceux qui ne sont pas malades, il y a un peu de complexité. Le monde ne se divise pas entre gens malades et gens sains. Il y a un arc-en-ciel de possibilités.
Et je me demande toujours ce que ça veut dire être sain et en bonne santé. Si j’ai un peu de cholestérol, est-ce que je suis sain ou malade ? Si j’ai une maladie chronique non identifiée, est-ce que je suis sain ou en mauvaise santé ? Si j’ai un peu d’arthrose ? Un doigt en moins ?
Je trouve que classer les gens en fonction d’un handicap ou d’une maladie n’est pas simple. Et en même temps, je reconnais qu’une personne en fauteuil, par exemple, ou bien une personne malvoyante ou malentendante a besoin d’aménagements spécifiques pour pouvoir vivre le plus normalement possible dans notre société. Cette classification a du sens.
Je ne dis donc pas qu’il faut nier la classification en soi, mais juste signaler que les choses ne sont pas aussi binaires qu’on le dit.
La valeur
Deuxièmement, valide signifie « qui est valable ». Et là cette définition pose beaucoup de problèmes, car il me semble évident, à moi, que tous les êtres vivants sont valables, parce qu’ils sont voulus par Dieu, et que Dieu les aime. Les êtres vivants tirent leur validité de Dieu, et pas d’un jugement normatif, ni même d’un jugement lié à la productivité, à l’utilité ou à la compétitivité.
Donc premièrement, la question de la santé est complexe et nous ne pouvons pas nous y fier telle quelle pour définir qui est valide et qui ne l’est pas et deuxièmement, tous les êtres humains sont valides en ce sens qu’ils sont aimés de Dieu.
J’espère que sur ces deux points nous tomberons d’accord.
Des versets bien adaptés
Quand on préparait les JO, les communautés chrétiennes ont voulu s’investir dans l’accompagnement de cet événement, en proposant des aumôneries aux athlètes. Et on a cherché dans la Bible tout un tas de versets et de passages qui venaient encourager la pratique sportive pour stimuler les athlètes. Je vous donne 3 exemples de ces versets, histoire que vous voyiez bien comment on utilise nos Écritures dans les églises chrétiennes.
Là, les chrétiens et les chrétiennes sont contents,parce que des exemples bibliques nous montrent que nous devons, au nom de notre foi, soutenir la compétition sportive. C’est chouette, non ? Ça nous rend légitimes.
Une précision nécessaire
Avant d’aller plus loin, et parce qu’on sent que le mordant de l’ironie pointe le bout de son nez, je précise ici tout de suite que je ne condamne pas les pratiques sportives ni même la compétition en soi.
Mais je vous invite à regarder ce que l’esprit de compétition, poussé à son paroxysme, produit en nous et dans notre société. Et à comparer les fruits de la compétition à l’arbre que Dieu a planté dans nos vies. Après, vous, vous en ferez ce que vous voudrez. Mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.
Le sport comme une métaphore
Selon la tradition, c’est l’apôtre Paul qui a écrit ces quelques lignes que nous venons de lire. Mais Paul n’était pas tant que ça passionné par la compétition sportive. Ce qui passionnait Paul, c’était d’annoncer l’évangile. Et si Paul utilise des images sportives, ce n’est pas pour valider le sport. C’est pour toucher un public qui met le sport au rang de devoir de citoyen : les grecs.
Il utilise donc le sport comme une métaphore de la vie chrétienne. Le problème, c’est que nous, aujourd’hui, nous faisons l’inverse. Nous utilisons la vie chrétienne comme une métaphore du sport. Et ça ne marche pas.
Parce que pour Paul, il s’agit bien de gagner la course, mais c’est une course contre soi-même, pas contre les autres. Et contre soi-même, chez Paul, ça veut dire contre nos mauvais penchants, qui nous éloignent de la vie divine qui coule en nous.
Si vous relisez attentivement les métaphores sportives de Paul, vous voyez d’une part que jamais il n’encourage à battre les autres dans quelque domaine que ce soit (c’est toujours contre notre moi attaché au péché), et en plus la course à gagner c’est la vie divine, la vie éternelle, la couronne du salut. Rien à voir avec la compétition sportive, au fond.
L’honnêteté exige de ne pas faire croire que la Bible valorise la compétitivité, et que quand on est chrétien, on doit être meilleur que les autres. C’est absurde.
La parabole de l’athlète
Essayons de comprendre ce que signifie la parabole de l’athlète.
Voici ce qui est écrit dans le passage de la deuxième lettre à Timothée (lire les versets 1 à 13) : « Un athlète qui participe à une compétition ne gagne le prix que s’il lutte selon les règles. » Pour faire simple, disons que c’est Paul qui a écrit ce texte (même si les choses sont un poil plus complexes).
Paul, donc, dit ça en prenant l’exemple du soldat qui ne cherche rien d’autre qu’obéir aux commandements de son supérieur, et l’exemple du paysan qui s’est chargé d’un travail pénible. Paul lui-même d’ailleurs dit qu’il souffre terriblement des injustices du monde pour la gloire de Christ. En terminant avec cet hymne :
« Si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui ; si nous restons fermes, nous régnerons aussi avec lui ; si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera ; si nous sommes infidèles, il demeure fidèle, car il ne peut pas se mettre en contradiction avec lui-même ».
La « vie chrétienne normale »
Paul décrit ici la vie chrétienne, qui est faite de frustrations, de souffrances et d’injustices subies.
Cette vie chrétienne qui est faite de renoncements à notre volonté personnelle pour permettre aux autres d’avoir part à la grâce et à la gloire de Dieu. Ce que je possède, je le donne à ceux qui en ont besoin, car la grâce de Dieu me suffit. Car j’ai confiance en Dieu, qui pourvoira à mes besoins véritables.
Je n’ai pas besoin d’être meilleur que les autres, on n’est pas dans une compétition à la sainteté et on ne joue pas à celui qui obéit le mieux aux ordres de Dieu.
Mes actions ont des conséquences pour les autres, donc je ne suis pas seul face à Dieu. Mais pour ce qui est de ma validité, je suis seul face à Dieu.
Je ne fais pas les choses pour que les autres me voient, mais parce que Dieu l’exige. Non pas pour être le meilleur, mais parce que Dieu l’exige. Je ne fais pas rien non plus, parce que Dieu exige que je fasse des choses.
Et c’est dans cette dynamique-là que je suis comme un athlète, qui entraîne son corps à l’épreuve.
Moi, Paul…
Et bien moi, Paul, j’entraîne mon être à l’épreuve. Je jeûne régulièrement pour avoir besoin de moins manger, et permettre ainsi de donner plus à ceux qui n’ont rien. Ma vie, je la mets en jeu en annonçant l’évangile de la libération des opprimés, du salut par la grâce au moyen de la foi, pour que la conscience des gens ne soit plus emprisonnée dans les carcans de la culpabilité. Je montre l’exemple en m’engageant concrètement aux côté de celles et ceux qui souffrent, je quitte mon confort pour venir en aide aux autres, de manière à ce que les gens qui me voient soient stimulés et en fasse autant.
Pour la gloire de Dieu.
Voilà le message de Paul. Voilà le message de l’Évangile, le message de la Bible, pour ce qui concerne la question des relations, mais aussi de la compétition.
S’il y a une compétition, elle se situe dans l’exercice de notre abaissement personnel au profit de celles et ceux qui sont moins valides que nous. Celles et ceux qui sont considéré·e·s comme non conformes. Comme inaptes. Incapables. Inadaptés. Anormaux. L’Église selon Paul n’est pas un club de gens biens sous tous rapports. C’est une guilde de gens déclassés qui ont trouvé qu’ils avaient de la valeur aux yeux de Dieu, n’en déplaise à la marche du monde.
Un projet de société
Ce que les chrétien·ne·s montrent au monde, ce n’est pas le dépassement de soi pour arriver à ses fins, c’est l’abaissement de soi pour parvenir au mieux-vivre des autres.
Le projet de société des chrétien·ne·s, ce n’est pas une attention excessive portée à soi, ou à la performance, ou à l’esthétique, ou au culte du corps, par exemple.
Le projet de société des chrétien·ne·s c’est d’assumer nos limites, nos difficultés, nos faiblesses, d’assumer que nous sommes ce que nous sommes, et avec ça de donner le meilleur de nous-mêmes non pas pour réussir, mais pour les autres.
Dans le sport, ce type d’attitude existe, mais ça reste marginal. A chaque fois c’est salué, comme quand un athlète arrête sa course pour aider un autre athlète qui est tombé. Mais c’est marginal.
L’idéologie du sport, c’est de donner sa vie pour gagner deux dixièmes de secondes. Et peu importent les conséquences sur soi ou sur les autres.
Se couper en quatre
Il y a un exemple que j’ai en tête, que je trouve très parlant, c’est celui de Matthew Dawson. C’est un joueur de Hockey australien qui a été gravement blessé, mais sa blessure ne guérissant pas assez vite, il ne pouvait pas participer aux JO.
Qu’a-t-il fait ?
C’est simple : il s’est amputé d’une phalange pour pouvoir participer aux JO.
Simple, et efficace. Courageux, même. On voit le problème que j’ai soulevé plus tôt sur ce que signifie « être valide ». Mais surtout, il y a un problème de fond, une conséquence grave qu’un tel acte génère dans notre société.
Quel exemple ça montre ? Qu’il vaut mieux s’amputer pour tenter de gagner une médaille plutôt que de prendre le temps de guérir d’une blessure ? Quelle image ça donne des personnes qui sont blessées et qui ont besoin de temps pour s’en remettre ? Que ce sont des faibles ? Qu’ils sont inadaptés à notre société ?
Un jour, un homme a dit : « À quoi bon gagner le monde entier, si on se perd soi-même ou si on va à sa perte ? » Ce type d’exemple nourrit notre imaginaire social, et d’un point de vue chrétien, ça me semble terriblement malsain.
L’organisateur des Jeux Divins
Nous devons rester vigilants pour ne pas faire de nos textes des prétextes à suivre les mauvais penchants de notre cœur.
Encore une fois, je n’ai rien contre le jeu et la compétition en soi. Mais une société qui se fonde sur la compétition est une société qui ne tolère les non-valides qu’à la marge, et qui les exclut de ce qui fait vraiment la vie. C’est une société qui – en tolérant les handicaps – les installe confortablement à la marge de la vraie vie, et signale que les Jeux paralympiques n’ont pas vraiment leur place dans le véritable événement, qui est un événement à l’image de celles et ceux qui se croient valides.
Et valables.
Pourtant, « Un athlète qui participe à une compétition ne gagne le prix que s’il lutte selon les règles. »
La vérité cachée dans ce texte, c’est que dans la compétition qui est organisée par Dieu, nous recevrons tous et toutes la couronne de gloire. Si toutefois nous luttons selon les règles de l’amour du prochain et donc de la solidarité.
Si nous courons en respectant les règles fixées par le grand organisateur.
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