En route pour la joie !

2 mai 2021Lionel Thébaud

Si vous êtes attentif.ve.s, vous aurez remarqué que mon activité sur internet est réduite en ce moment. Pas de panique, c’est normal, je prends mes marques dans le ministère pastoral. Je sais, personne ne panique. C’est juste une expression ! Nez en moins je veille.

Aujourd’hui, dimanche 2 mai 2021, le pasteur de l’Église Protestante Unie de Chartres (mézigue) et une conseillère presbytérale de cette même paroisse (Isabelle Fournier) vous partagent le fruit de leurs réflexions sur ce que peut signifier, sous la plume de l’apôtre Paul, la « tristesse selon le monde » et la « tristesse selon Dieu ». Ce que ça peut signifier sous sa plume, mais aussi pour nous, aujourd’hui. Comme nous parlons de tristesse, il était opportun d’intituler ce texte « En route pour la joie », et je fais forcément référence à ce morceau de Noir Désir que j’insère ci-dessous. Pour les amateurs et les amatrices. Les autres pourront simplement ne pas cliquer sur visionner et poursuivre tranquillement leur lecture.





Isabelle

1. Quelques éléments de contexte

Alors qu’il poursuit sa route vers Ephèse, Paul apprend que son premier écrit – la première lettre aux Corinthiens – n’a pas convaincu ceux-ci, qu’il n’a pas eu l’effet escompté et que des fautes graves ont été commises au sein de la communauté de Corinthe. L’apôtre décide alors d’écrire une autre lettre dite de réprimande. Lettre de réprimande  qui, pour certains biblistes, a disparu alors que pour d’autres, elle aurait été incorporée aux chapitres 10 à 13 de la deuxième lettre aux Corinthiens – le ton est très sévère et différent des autres chapitres.

Tite, le compagnon de route de Paul, est envoyé à Corinthe pour leur faire part des réprimandes écrites de Paul, et remettre l’assemblée sur le bon chemin pour former une église fidèle au Christ. Paul montre une affection sincère pour les membres de l’Église de Corinthe au chapitre 2, verset 4, il confesse : « C’est avec une grande détresse, le cœur serré, avec beaucoup de larmes que je vous ai écrit, non pas pour vous attrister mais pour que vous connaissiez l’amour débordant que j’ai pour vous. » Il s’inquiète donc beaucoup des réactions à cette lettre de réprimande. Retrouvant Tite quelques temps après en Macédoine, l’apôtre  est rempli d’encouragements par les bonnes nouvelles que lui apporte son ami. En effet, Tite lui confie la confession des Corinthiens face à ses reproches, à ses réprimandes et le changement radical que cela a provoqué. La joie de Paul est à la hauteur de la confiance, de l’amour qu’il leur porte.

Voici donc le texte de la Bible.


Même si je vous ai attristés par ma lettre,
je ne le regrette pas.
Même si je l’ai regretté
— car je vois que cette lettre vous a attristés momentanément —
maintenant je me réjouis,
non pas de ce que vous ayez été attristés,
mais de ce que votre tristesse vous a portés à un changement radical ;
car vous avez été attristés selon Dieu, si bien que vous n’avez subi de notre part aucun dommage.
En effet, la tristesse selon Dieu produit un changement radical qui mène au salut et que l’on ne regrette pas,
tandis que la tristesse du monde produit la mort.
Voyez donc ce que cette même tristesse selon Dieu a produit en vous : quel empressement !
Bien plus, quelle défense, quelle indignation, quelle crainte,
quelle vive affection, quelle passion jalouse, quelle juste punition !
Vous avez montré à tous égards que vous étiez purs dans cette affaire.
Si donc je vous ai écrit, ce n’était ni à cause de l’offenseur, ni à cause de l’offensé,
mais pour rendre manifeste à vos propres yeux, devant Dieu, votre empressement pour nous.
C’est pourquoi nous avons été encouragés.
Outre cet encouragement, nous avons été beaucoup plus réjouis encore par la joie de Tite,
dont l’esprit a été tranquillisé par vous tous.
Si devant lui j’ai montré quelque fierté à votre sujet,
je n’ai pas eu lieu d’en avoir honte ;
comme nous vous avons toujours parlé selon la vérité,
ce dont nous étions fiers en présence de Tite est aussi apparu comme la vérité ;
et sa tendresse pour vous n’en est que plus grande,
au souvenir de votre obéissance à tous,
car vous l’avez accueilli avec crainte et tremblement.
16Je me réjouis de pouvoir vous faire confiance en tout.

2 Corinthiens 7.8-16 (version Nouvelle Bible Segond)


2. La tristesse dans le monde actuel

Avez-vous remarqué à la lecture de ce passage, le nombre d’émotions évoquées ? La tristesse et la joie en premier, nous en reparlerons. Mais aussi le regret,  la réjouissance, l’affection, la passion, la fierté, la tendresse et la crainte. Oserions-nous aujourd’hui lors d’un dîner entre amis ( je sais c’est un peu loin! ) exprimer autant d’émotions, de ressentis devant des personnes même proches ou surtout des proches ! En 2021, il n’ est pas de bon ton de se dévoiler de la sorte. Cela n’a rien de nouveau !

Il y a plus de 30 ans, en 1988, Carrefour – le supermarché – a sorti un slogan publicitaire : Avec carrefour, je positive ! Un nouveau mot est pour cela inventé : Positiver/voir tout en positif ! « Chaque jour, nous sommes là pour apporter du positif à votre vie » prétend le commerçant.

Positiver… C’était une nouvelle tendance pour la société de consommation des années 80, je ne pense pas qu’elle ait disparue aujourd’hui. Ce n’était donc pas un effet de mode. Positiver, c’est mettre du positif dans toutes les parties de son existence : toujours chercher ce qui nous apporte de la joie, de la réjouissance, du bonheur – même s’il est de courte durée ! N’oubliez pas ! Il s’agit là de consommation – et poussons le raisonnement plus loin : plein d’élans et d’enthousiasmes, nous devons – selon le monde du 21ème siècle – être plus performants, plus compétitifs, toujours en pleine forme et de bonne humeur.

Vous allez me dire : « Ce n’est pas la vraie vie ça ! » Je suis d’ accord avec vous ! Dieu nous a créé avec toutes les émotions possibles. Des émotions perceptibles par chacun de nous, même s’il est – encore une fois – « politiquement correct » d’en cacher certaines. D’ailleurs pourquoi toujours paraître dans la performance et l’enthousiasme ? Pourquoi est-ce que nous ne voulons pas montrer nos craintes, nos peurs ou nos tristesses ?

Un enfant quitte ses grands-parents : « Ne sois pas triste, tu vas retrouver Lise et Anna tes amies d’école ! » Alors que nous devrions lui avouer : « Moi aussi, ta grand-mère,  je suis triste de te quitter. C’est normal, tu as le droit d’être triste aussi ». Eh oui, nous devrions avouer et reconnaître que nous sommes des hommes et des femmes sensibles, sensibles physiquement et moralement. La tristesse vient souvent de la culpabilité, sentiment inhérent à notre nature humaine. Chacun de nous pourra exprimer son sentiment de culpabilité lié à un acte, un fait de sa vie passée.

Mais Le livre de l’Ecclésiaste, au chapitre 3, nous le rappelle : « Il y a un moment pour tout, un temps pour chaque chose sous le ciel : (…) un temps pour pleurer, un temps pour rire… un temps pour se lamenter, un temps pour danser. » Et l’apôtre Paul dit aux Romains au chapitre 12 : « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent. » Paul n ‘a donc pas peur – comme je vous le disais plus haut – de parler de tristesse et de joie aux Corinthiens. Il considère d’ailleurs la tristesse selon deux visions  différentes : tristesse selon Dieu et tristesse selon le monde. Nous avons retenu ce verset 10 qui nous a intrigué, interrogé : « La tristesse selon Dieu produit un changement radical qui mène au salut et que l’on ne regrette pas, tandis que la tristesse du monde produit la mort. »





Lionel

3. Tristesse du monde Vs tristesse selon Dieu

Dans le contexte de la lettre aux Corinthiens, il semble bien que pour Paul, l’expression « tristesse du monde » fasse référence au sentiment de culpabilité. En effet, dans la marche du monde, il y a des lois. Des lois civiles, des lois morales, et des normes que la société nous impose. Ces lois sont souvent pertinentes, mais il y a quelque chose qui pose problème, c’est qu’elles dépendent forcément des circonstances.

Au moment où nous discutions de ça avec Isabelle, nous étions dans le Narthex, et j’ai vu une voiture rouler dans la rue Saint Thomas en sens interdit. La loi – et c’est normal – sanctionne la personne qui roule en sens interdit. C’est trop dangereux. Mais la personne n’a sans doute pas fait exprès de prendre la rue à l’envers. Ça vous est peut-être déjà arrivé d’être perdu·e au volant, alors que vous cherchiez votre chemin dans une ville inconnue, et vous avez raté un feu, ou un sens interdit, ou même vous roulez à 40 au lieu du 30 réglementaire. Je trouve que si la loi a une utilité indispensable, il lui manque quelque chose : nos motivations ne sont pas pesées. (Ici, vous remarquerez à quel point j’oublie de mesurer mes propos, puisque j’oublie d’évoquer le travail des juristes qui passent beaucoup de temps à démontrer que les accusé·e·s ont des circonstances atténuantes, par exemple. Il n’est vraiment que pour les infractions que nos motivations ne sont pas pesées. Elles sont évaluées lorsqu’il s’agit des délits et des crimes. Je remercie Christian Mercier pour ces précisions qui permettent de nuancer un peu mes propos caricaturaux).

Quelles que soient les raisons qui font que vous avez enfreint la loi, vous êtes coupable. Si on ne se fait pas prendre, on se sent coupable de ne pas avoir fait plus attention, et si on se fait prendre, on a, en plus du sentiment de culpabilité, la sanction qui ne laisse rien passer : la contravention. Nous savons que cette loi est nécessaire pour organiser la vie en société, mais nous regrettons qu’elle ne puisse pas être plus juste et plus adaptée à la réalité de ce que nous vivons. Les règles morales sont souvent moins pertinentes que la loi, mais tout aussi culpabilisantes, sinon plus.

Que produit cette culpabilité, générée par la loi, ou par la règle morale ? Elle nous enferme dans une attitude soit de repli (je suis bloqué dans le « j’aurais-pas-dû-faire-ça »), soit de provocation (je suis bloqué dans le « je-me-fous-de-la-loi »). Dans le premier cas, c’est comme si une partie de nous mourait. Dans le deuxième cas, on se fiche pas mal que les autres meurent. Parce que quand on se fout de la loi, on se fiche pas mal des conséquences pour les autres, il n’y a que moi qui compte. C’est pourquoi Paul dit que c’est une tristesse qui conduit à la mort. Cette culpabilité, c’est souvent ce qui va nous conduire au désespoir, voire à la dépression. Et avec la loi, il est bien difficile de ne pas se sentir coupable. Par exemple, si vous êtes une femme et que vous n’avez pas d’enfant, vous vous sentez coupable, dans une société qui vous dit que pour être femme, il faut avoir des enfants. Et je trouve que ce sentiment de culpabilité n’est pas justifié.

Voilà ce que nous avons compris, Isabelle et moi, quand Paul parle de la tristesse du monde. Alors que la tristesse selon Dieu, c’est autre chose. La tristesse selon Dieu, c’est la prise de conscience que nous ne sommes pas ajusté·e·s. C’est la reconnaissance de nos limites, mais cette prise de conscience ne nous écrase pas et ne nous enferme pas dans un tombeau. Elle nous rend tristes, mais elle ne nous bloque pas. Au contraire, elle nous libère. Paul écrit à l’assemblée de Corinthe pour lui dire : « vous avez laissé cet homme faire le mal, donc vous êtes responsables avec lui de la situation. Le mal que cet homme a fait à l’autre, vous en êtes complices ». L’Église de Corinthe a pris conscience de son injustice, et elle est entrée dans une démarche de réparation. Au lieu d’être bloquée, l’assemblée s’est mise en mouvement pour faire disparaître le mal qui a été commis. Pour réparer. Pour mettre en œuvre un vrai pardon. La lourde pierre qui bloquait l’entrée du tombeau a été roulée. C’est la résurrection. Ce n’est pas le désespoir, et ce n’est pas la culpabilité. C’est l’occasion de voir la vie se transformer et devenir une source de bénédiction. Et oui, c’est vrai, ça passe par une phase de tristesse, que nous appelons souvent la « conviction de péché », dans notre jargon.

4. En route pour la joie

Paul nous dit que la tristesse selon Dieu, au final, nous procure de la joie. La vraie joie, nous dit l’apôtre, ce n’est pas de faire comme si la tristesse n’existait pas. La vraie joie, c’est de vivre une conversion, c’est-à-dire une tristesse qui nous stimule à vivre le Royaume. Quand je me rends compte que j’ai blessé quelqu’un, ça m’attriste. Je ne peux pas faire comme si je ne l’avais pas blessé. Ça m’attriste parfois jusqu’à m’empêcher de dormir. Mais quand je décide d’aller vers l’autre, quand je décide de m’ouvrir à lui et de lui demander pardon, alors ça libère quelque chose de nouveau dans la relation. Je cherche à réparer ce qui a été brisé, et il y a là une joie nouvelle qui s’installe. La honte est remplacée par une confiance plus grande. Une relation plus intense.

Parce qu’en effet, la conviction de péché, c’est quelque chose qui nous libère d’un poids et qui nous rend capable de dépasser nos limites. Au passage ce n’est pas le pasteur, ni même les frères et sœurs dans la foi qui nous font prendre conscience de nos péchés. C’est le Saint-Esprit, et lui seul. Et par ricochet, les autres sont témoins de cette joie, et cela produit de la joie chez eux aussi ! Paul voit les fruits de la repentance et ça le réjouit. Notez que ce n’est pas la repentance qui lui donne de la joie, mais les fruits de la repentance. Ne pas confondre. Les Corinthiens avaient envie de faire la volonté de Dieu, et la volonté de Dieu, c’est de réparer ce qui est brisé. C’est d’aimer son prochain comme soi-même. Voilà la route vers la joie.

La tristesse peut être le point de départ de cette route. On peut reconnaître que nous ne parvenons pas à bien faire les choses, et que parfois nous nous trompons : nous croyons bien faire et nous déchirons. Dans sa lettre aux Romains, Paul écrit : « moi qui veut faire le bien, je suis seulement capable de faire le mal ». C’est un drame et c’est une tristesse. Mais ce qui le libère, c’est ce qu’il dit ensuite : « Il n’y a maintenant plus aucune condamnation pour ceux qui sont unis à Jésus-Christ ». Parce que Jésus a fait le job. Et que nous ne sommes plus sous la loi de la performance et de la rentabilité. Nous n’avons pas une obligation de résultat. Il nous reste juste à faire les choses du mieux que nous pouvons, au moment où nous les faisons, avec une bonne conscience.

Voilà, le chemin de la joie ! Alors quand nous sommes tristes, regardons à la libération que nous a donné Jésus, et à sa puissance de résurrection. La tristesse n’est pas quelque chose de négatif. La route de la joie, c’est la route de la libération. Dieu n’a pas prévu que vous restiez enfermé dans la tombe. Il veut pour vous une vie vivante, et vivifiante, pour que vous soyez en mesure de bénir. Alors en route pour la joie !



Comments (1)

  • Ulmann

    2 mai 2021 at 19:31

    Merci pour cette belle lecture de Paul qui nous apprend à transformer le plomb de la tristesse en or de la joie.
    Fraternellement
    jmu

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