Comment je suis devenu pasteur (1)
Pasteur n’est pas une activité professionnelle comme les autres. Vous me direz, chaque profession a ses particularités. C’est vrai. Mais aujourd’hui je souhaite essayer de répondre à cette question que l’on m’a posée récemment : « Comment êtes-vous devenu pasteur ? Vous n’en parlez pas sur votre blog, pourtant je suis sûre que ça intéresserait des gens ». Et je me suis dit que c’était vrai : il ne s’agit pas tant de parler de moi que d’aider, si possible, des personnes qui se poseraient la question d’une reconversion professionnelle, et qui croiraient sentir vibrer l’appel.
Aïe.
Aïe, aïe, aïe.
Je commence par un gros mot.
Et puisque je suis au début de mon article, je me dois de commencer par le début.
L’appel
Ce que l’on appelle « l’appel » (à haute voix c’est rigolo : appellelapel, , appel-appel, appelle la pelle) m’a souvent semblé très obscur et impossible à expliquer. Aujourd’hui encore, cette notion me semble difficile à faire comprendre, alors même que j’ai le sentiment de le vivre pleinement. Alors pour essayer – car ce n’est pas parce que je n’ai pas les mots pour le dire que je vais m’empêcher de chercher à le dire – je vais passer par mon expérience personnelle. Et peut-être par quelques métaphores. J’espère que ça rendra mes propos un peu moins sibyllins (la sibylle était, dans la Grèce antique, une femme qui avait un pouvoir de divination et qui s’exprimait de manière énigmatique).
Pour parler de mon « appel », je dois évoquer ma conversion. Mais je vais le faire rapidement, sans m’étendre sur les détails, car il faut (je me le dois à moi-même) que je garde intime ce qui est de l’ordre de l’intime. Et je dois vous prévenir que ce que je vais raconter n’est pas la vérité, mais simplement la manière dont je relis aujourd’hui l’expérience spirituelle que j’ai faite à un moment donné. Tout y est vrai, mais tout y est relu avec les lunettes de ma personnalité d’aujourd’hui.
Une conversion
J’avais 19 ans et j’étais à une toute petite fête privée. Alors que nous étions sortis marcher dans les rues, quelque chose s’est passé, que je ne pourrai pas décrire ici. En tout cas, j’ai eu le sentiment très net que Dieu, que j’avais laissé tomber quand j’avais 15 ans, me disait qu’il m’aimait et que je n’étais jamais sorti de son cœur. Comme si, au fond, sans le savoir, je n’avais jamais quitté la maison, moi qui croyais avoir atteint le point de non retour. J’avais beau me dire que je ne voulais pas, que c’était trop tard, que ce que j’avais fait était trop lourd de conséquence… cet amour me submergeait et j’entendais dans mon cœur que tout ce que j’avais dit ou fait ne pouvait pas diminuer l’amour que Dieu avait pour moi. Qu’il m’accueillait sans condition, tel que j’étais.
Et c’est lors de cette expérience que j’ai eu la certitude que je serai pasteur.
Vivre l’Église
Seulement voilà.
Ma grand-mère était pentecôtiste, et la relation qu’elle entretenait avec son église locale était très compliquée. Néanmoins, suite à mon expérience spirituelle, je me suis persuadé que c’est seulement dans ces églises-là que ma foi pourrait s’épanouir. Bien évidemment, on ne saurait négliger l’influence que peut avoir, dans les choix que nous faisons, le désir de plaire à une grand-mère qui ne nous a jamais montré d’affection. J’ai donc choisi de me rendre dans une église pentecôtiste et je m’y suis beaucoup investi. J’y suis resté 7 années.
Une église charismatique
Le mouvement charismatique met l’accent sur le Saint-Esprit en tant que celui qui donne aux chrétien·ne·s des « pouvoirs », tels que la capacité de guérir les malades, de prophétiser, de discerner les enjeux d’une situation, de parler d’autres langues que celles apprises (mais sans comprendre ce que l’on dit), d’entrer en transe, d’opérer des miracles, ainsi que d’autres facultés spéciales. On appelle cela les « dons du Saint-Esprit », ou « charismes ».
Il existe plusieurs mouvances charismatiques, mais il semble tout de même que la majorité de ces communautés (en tout cas en protestantisme) adoptent une lecture littérale des textes bibliques, avec une théologie plutôt fondamentaliste, et insistent plus ou moins lourdement pour que tous les fidèles donnent au moins 10 % de leurs revenus à leur communauté, entre autres particularités. Les charismatiques sont généralement des gens très pieux, qui vivent leur foi avec une grande ferveur, mais où les dynamiques de soumission à l’autorité sont très fortes, pouvant aller jusqu’à l’emprise et à l’abus spirituel. Les études incluant les sciences sont découragées car elles sont perçues comme éloignant de la foi. Enfin, les fidèles ont tendance à être moralistes et regardent les autres avec jugement.
Je rappelle que toutes les communautés charismatiques ne correspondent pas trait pour trait à ce que je décris trop rapidement ici. Je dois préciser que j’ai noté, ces dernières années, une tendance nette dans ces communautés à valoriser la réflexion théologique et à s’écarter un peu d’une lecture fondamentaliste stricte, en s’ouvrant notamment aux domaines scientifiques.
Aussi, dans mon contexte d’alors, quand j’ai vu ce qu’était un pasteur, j’ai mis mon « appel » de côté, considérant que je m’étais trompé. Je me suis dit : « Si c’est ça, alors jamais je ne serai pasteur ». Parce que je ne voyais que de la manipulation et un encouragement à tout rejeter dans un monde imaginaire.
Dé-vivre l’Église
Cependant, je n’ai jamais cessé de lire et d’étudier la Bible. C’est quelque chose qui a inscrit en moi un amour profond des Écritures. La déformation fondamentaliste qui était la mienne faisait que, face à un texte, je ne percevais pas les horreurs ou les contradictions qui s’y trouvaient. La logique que j’avais assimilée c’est : « la Bible est la Parole de Dieu, elle ne peut pas se contredire et tout ce qui y est écrit est exact et véridique ». Je ne comprends pas le sens d’un passage ? C’est simple : je ne suis pas assez intelligent pour comprendre. Dieu est Dieu, donc je débranche mon cerveau et j’accepte de ne pas comprendre.
Cette attitude peut être légitime parfois, car il faut bien reconnaître que dans la vie, on ne peut pas tout comprendre. Mais dans ce cadre, réfléchir sérieusement et honnêtement devient l’expression d’un manque de foi. Et c’est un vrai problème. Parce dans l’état psychologique où j’étais, je me sentais réellement inférieur aux autres et j’estimais que leur ancienneté dans la foi rendait nulles mes expériences, même si parfois leurs paroles me semblaient étranges. Par conséquent, j’acceptais leurs idées comme étant bien plus proches de la vérité que tout ce que je pouvais penser moi-même.
Le résultat de cette dynamique, c’est que je ne savais plus qui j’étais. Tout ce qui venait de moi était mauvais, m’avait-on rabâché. Mes pensées, mon histoire, mes réflexes, mes émotions, mes sentiments, tout, tout, absolument tout était aux prises avec le mal. Je devais « crucifier le vieil homme » et « naître de nouveau ». Au bout de quelques années, j’avais réussi à ne plus être moi. Mais je ne savais pas du tout ce que je devais devenir. Je ne savais plus qui j’étais. Et j’ai fini par me demander : « Dieu est-il pervers ? Mon histoire n’a-t-elle aucune valeur pour Dieu ? Si tel est le cas, pourquoi venir nous dire qu’il nous aime ? Pourquoi vouloir nous sauver ? » Tout ceci me paraissait insensé.
Délire
Le temps avançant, je me sentais de moins en moins à ma place dans cette église, qui en plus de favoriser un environnement malsain, encourageait à rechercher des manifestations « surnaturelles ». Je me suis bien entendu laissé entraîner à prier avec les autres pour que nos plombages dentaires soient transformés en or (véridique !), mais revenu au calme, il ne me semblait pas que c’était là un message qui correspondait au texte biblique. Ni même à la relation qui s’était établie entre Dieu et moi. Ni à la conception que j’avais de l’amour du prochain.
Puisque je me sentais de moins en moins bien dans cette église, j’ai changé de crémerie. Je suis allé – pendant 7 nouvelles années – dans une communauté beaucoup plus familiale qui peu a peu s’est focalisée, elle aussi, sur la recherche des miracles et autres joyeusetés. Moins fondamentaliste que la première, cette église glissait cependant vers des pratiques spirituelles qui ne correspondaient pas à ma sensibilité, où j’ai pu voir des pasteurs raconter des trucs incroyables (« oh, quand on prie il y a de la poussière d’or qui tombe du plafond », et autres absurdités) pour, je cite, « stimuler la foi des croyants ». Je ne crois pas que le mensonge, ni même les exagérations, puissent stimuler la foi.
Au contraire.
Les effets sur le long terme me semblent catastrophiques pour le cheminement spirituel. En effet, le rejet quasi-systématique de la science, dès lors qu’elle ne correspond pas à nos croyances, et l’argument automatique qui est de dire : « il y a du mystère dans l’organisation de notre univers » nous invite au final à accepter tout et n’importe quoi comme étant de l’ordre du possible, et à déconnecter notre cerveau. Ajoutez à cela un discours qui vise à réduire à néant votre histoire (« vous êtes une nouvelle créature, votre passé n’a aucune espèce d’importance »), vous avez le cocktail qu’il faut pour que les personnes les plus sensibles et les plus scrupuleuses se mettent à vivre une vie de torture, en se niant elles-mêmes, sans cesse. J’ai eu la chance de quitter cette dynamique, et j’ai eu le sentiment très net d’avoir subi un lavage de cerveau. Dangereux, vous ne trouvez pas ?
Partir… et revenir
C’est ainsi qu’au bout de 14 années de souffrance, j’ai décidé de quitter toute Église. Ce fut un choix très douloureux aussi, puisque j’étais convaincu – et cela me semble juste – qu’on ne peut pas bien vivre sa foi sans être investi dans une communauté. En même temps, je trouvais que les injonctions à me conformer à des croyances et à des pratiques qui sonnaient creux (au mieux) à l’intérieur de mon être, ou qui venaient déchirer (au pire) le sens que Dieu avait donné à ma vie produisaient en moi une sorte de dissonance spirituelle à laquelle je ne voyais aucune issue. Sortir de l’Église était salutaire pour ma foi.
On était alors en 2010. Avec d’autres personnes, nous nous sommes mis d’accord pour nous retrouver de manière assez régulière autour d’un texte biblique, simplement pour en discuter et pour partager ce que nous en comprenions, sans prétendre que quelqu’un ait la vérité dernière. Je me suis retrouvé à animer ces rencontres, et il n’est pas vraiment certain que je soie parvenu à réaliser mes objectifs, car je découvrais la pertinence des apports scientifiques dans ma compréhension des textes de la Bible. Et puisque ces apports se démarquaient des dogmes ou des croyances bien établi·e·s dans les milieux que je fréquentais, il va de soi que la discussion, elle, n’allait pas de soi. Refuser de détenir la vérité est très difficile. Ceci dit, c’était une période très intense et très intéressante dans mon cheminement personnel.
Etudier
En 2015, j’ai entrepris une licence de théologie, à la faculté protestante de théologie de Strasbourg. Puisque je travaillais (mon parcours professionnel fera l’objet d’un deuxième épisode…), j’ai effectué ces études à distance. Et lors de cette première année d’études, il fallait réaliser un stage dans une structure protestante. Je me suis dit : « Je suis protestant, mais je ne connais rien du protestantisme historique. C’est donc dans une paroisse réformée que je voudrais faire mon stage ».
D’abord, en frappant à la porte du pasteur Hervé Stücker (à l’époque ministre de la paroisse de Quimper, aujourd’hui à Saint-Brieuc), j’ai été face à une personne bienveillante et encourageante. Il m’a accueilli favorablement, et alors même que personne dans la communauté ne me connaissait, on m’a de suite fait confiance et demandé d’exercer quelques responsabilités, si je le souhaitais. Ensuite, ce stage devait durer deux ou trois semaines. Or, il m’était impossible d’une part de poser ce temps-là en congés (parce que mes congés devaient me servir à me reposer!), et d’autre part j’aime beaucoup m’investir dans mes formations, ce qui signifie que ce temps de stage me paraissait de toute façon trop court pour découvrir la structure que j’étudiais. Aussi j’ai négocié avec la faculté et avec la paroisse et nous avons étalé le stage sur toute l’année universitaire.
C’était comme si un tapis rouge s’était déroulé devant moi.
Découvrir
J’ai par conséquent pu m’imprégner d’une culture religieuse qui m’était inconnue. Découvrir l’Église Protestante Unie de France m’a fait beaucoup de bien, car moi, qui ne cherchais pas d’Église (j’en avais terminé avec ça) et qui n’en désirais plus, je suis comme qui dirait tombé amoureux d’elle. En effet, pour la première fois de ma vie, j’ai rencontré une organisation qui me permettait de me sentir moi-même, sans chercher à ce que je sois autre que ce que je suis. « Toi, Lionel, tel que tu es, tu peux entrer, tu peux sortir, tu peux ne rien faire, tu peux servir, tout comme tu veux, dans ce lieu ». C’était incroyable. J’ai pu dire, à la fin de mon stage, que j’avais vécu une double résurrection. D’abord, l’appel au ministère pastoral a été ressuscité, puis ma vision de l’Église. J’ai donc continué mes études avec cette nouvelle motivation.
Ma licence terminée, je me suis inscrit en master à l’Institut Protestant de Théologie, à Paris. C’est là que je suis vraiment entré dans le cursus qui m’a permis de devenir pasteur. Mais ça devrait faire l’objet d’un troisième épisode… après ma rétrospective professionnelle.
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Comments (8)
David Steward
11 juillet 2021 at 20:43
Sympa comme témoignage, ça donne envie de lire la suite. Ça m’amuse sue tu parles d’Hervé, avec lequel j’ai fait ma théologie.
Aujourd’hui ai pensé à toi, etant de passage a Chartres au concert d’orgues à la Cathédrale.
Amitié
David
Christian Apel
11 juillet 2021 at 21:20
Je trouve toujours passionnant de connaître le cheminement des collègues. Le tien est beacoup moins linéaire que le mien , donc plus intéressant. Peut-être devrais – je rédiger le mien ?
Amitiés
Christian
Denise Niedhammer
12 juillet 2021 at 00:58
Je suis très touchée par ce témoignage qui correspond, toutes proportions gardées, à un parcours qui me rappelle le mien.
Le mien était politique ; à 20 ans, je participais à un festival mondial de la jeunesse communiste à Moscou et défilais avec
ferveur devant les corps de Lénine et Staline ……j’étais endoctrinée et totalement convaincue ! Prise de conscience….déception…
grand vide intérieur….. grande colère suivie fort heureusement d’un relatif apaisement !
Lionel , que j’ai rencontré à Quimper, dans l’église protestante, a trouvé sa voie et j’en suis ravie pour lui. Bonne chance !
Claire Poujol
12 juillet 2021 at 08:55
Bonjour Lionel merci pour ton beau témoignage ! Sois beni. Dieu est heureusement plus grand que son Eglise ! Et que les ‘betises’ que l’on y voit et entend.
Virginie Korakis
12 juillet 2021 at 10:01
J’ai bien hâte de lire la suite😊
marc antoine
15 juillet 2021 at 13:55
c’est toujours un plaisir de te lire, je suis accro… la suite!!! merci pour ce beau témoinage.
Danielle Sartron
2 juillet 2023 at 18:21
Bonjour,
Depuis notre rencontre lors des obsèques de Pierre Letourneur, je suis avec intérêt les articles de ce blog. Et j’ose aujourd’hui poser une question : sur la 3ème photo de cet article, je reconnais mon frère ! Est-ce que par hasard vos routes se sont croisées ? Il habite la région bordelaise … et s’appelle Marc Letourneur.
Si c’est vrai, comme on dit : « le monde est petit » !
En cette veille de vacances ( à quelques jours près! ) je vous souhaite un bel été et de bons préparatifs de mariage.
Bien fraternellement,
Danielle, cousine de Nicole Letourneur
Lionel Thébaud
2 juillet 2023 at 18:27
Bonjour et merci pour votre commentaire !
Je n’ai pas connu votre frère. Je suis même très surpris de votre question, car cette photo (comme quasiment toutes les photos que j’utilise sur le blog) sont tirées d’une banque d’images libres. Donc le fait que votre frère – si c’est bien lui – soit dessus et vraiment un pur hasard !
Merci pour votre soutien et pour vos souhaits. Ils me sont chers et m’accompagnent. Quant à Nicole, elle rayonne aujourd’hui dans notre paroisse, pour le plaisir de tous.
Fraternellement,