Bénir, bénir… ça change quoi ?

3 octobre 2021Lionel Thébaud

Pour parler de la bénédiction, je vous emmène dans le premier texte qui, dans la Bible, utilise le mot « bénir ». Nous sommes dans le livre de la Genèse, au chapitre 1, et au verset 22. Ça parle de la création des êtres vivants de la mer et des oiseaux.

Pour rappel, chez les Hébreux la mer est le symbole de tous les dangers et de toutes les angoisses : il y a des choses qui grouillent sous l’eau et qui peuvent nous réduire à néant. La mer est souvent le symbole de la mort dans nos textes. Bref, Dieu créée tous ces êtres vivants, petits et grands, et il est écrit : « Dieu les bénit en disant : ‘Que tout ce qui vit dans l’eau soit fécond, devienne nombreux et peuple les mers ; et que les oiseaux deviennent nombreux sur la terre’ ».


Genèse 1.

La première bénédiction biblique est une parole donnée par Dieu à des animaux marins et aériens. C’est étonnant.

Bénir, ici, c’est prononcer une parole qui vise un accomplissement, une parole divine qui projette dans le futur. Mais bénir, c’est aussi « dire du bien ». Et le premier chapitre de la Genèse marque la bénédiction sans forcément utiliser le verbe « bénir », à chaque fois que Dieu dit, au fil des étapes de la création, « Et il vit que c’était une bonne chose ».



Cette parole de bénédiction intervient quasiment à chaque acte créateur. Remarquons donc rapidement quelques petites choses.

Il n’y a aucune bénédiction le deuxième jour : c’est le seul jour qui n’est pas accompagné de la répétition « Dieu vit que c’était une bonne chose ». Étonnant.

En revanche, le troisième jour voit deux fois cette bénédiction. C’est étonnant ça aussi.

Autre chose étonnante, c’est que cette répétition arrive lorsque Dieu créée les animaux sauvages, domestiques et les bestioles, mais pas quand il crée l’être humain. Alors qu’on aurait pu s’y attendre.

Enfin, regardant toute sa création une fois finie, il dit que c’était une très bonne chose. Dieu, dans ce récit, dit du bien de tout ce qu’il a créé (mais il ne dit pas spécifiquement ça ni de la voûte céleste, ni de l’être humain).

Pour ce qui est du verbe bénir à proprement parler, Dieu ne bénit que des êtres vivants (les animaux du ciel et de la mer, ainsi que les êtres humains, mais pas les autres animaux, et ça c’est étonnant), sans oublier le jour du shabbat, qui est béni lui aussi. Les astres, les eaux, la terre, la végétation… toutes ces choses ne sont pas bénies de manière particulière. Commencer par le livre des commencements pour évoquer la bénédiction me semblait donc intéressant.



Dans la Bible hébraïque.

Mais plus globalement, voici ce qu’on peut dire de la bénédiction dans la Bible hébraïque.

Le terme « bénédiction », ou le verbe « bénir », parle généralement de ce que Dieu fait en permanence, d’une manière douce et constante, pour maintenir le cycle des saisons. Le cycle des saisons, donc.

C’est le soleil qui réapparaît chaque matin, c’est la pluie qui arrose les cultures, c’est les arbres qui donnent leurs fruits en leur saison, etc. La bénédiction est généralement décrite comme la réalisation de l’ordre naturel, et ça fait le lien avec le récit des commencements. Ces bénédictions sont le signe que Dieu respecte ses engagements envers l’être humain. Signe de l’alliance.

Il conviendrait que nous fassions tout pour faire en sorte que ces cycles ne soient pas perturbés.



Les relations humaines.

Cependant, on voit aussi que les bénédictions évoquent l’état des relations humaines.

Par exemple, 2 Samuel 2.5 dit : « Soyez bénis, vous qui avez montré de la bienveillance ». On souhaite que la personne qui a donné de soi pour aider quelqu’un reçoive du bien. En langage plus actuel, bien qu’un peu dépassé aujourd’hui, on dirait « Dieu vous le rendra ».

Nous trouvons aussi les bénédictions d’un père à ses fils, qui sont très spécifiques comme dans le cas des bénédictions que Jacob a prononcées sur son lit de mort, et qui peuvent avoir un caractère prophétique – c’est-à-dire qu’elles comportent une ouverture sur une histoire qui n’est pas encore réalisée.

Mais surtout, la bénédiction témoigne de la confiance que nous plaçons en Dieu : il s’agit d’une relation de parole, à l’initiative de Dieu, dont les humains sont destinataires et responsables pour mettre ces bénédictions à profit pour les autres.

Ceci étant dit, il faut d’abord se rappeler que le premier destinataire, dans les textes, de la bénédiction, c’est… Dieu ! J’ai souvent entendu dire « on ne peut pas bénir Dieu, parce que c’est Dieu qui bénit », mais enfin, c’est un cri sans cesse renouvelé de bénir l’Éternel.

Cette bénédiction, c’est une forme de gratitude : nous sommes reconnaissants pour notre vie, et nous bénissons Dieu pour la vie qu’il nous donne. D’ailleurs, dans la traduction grecque du premier testament, le verbe bénir a été traduit par « louer », « honorer » et « célébrer ». Rendre grâce (eucharisteo) en serait d’ailleurs un dérivé. La gratitude est bien en toile de fond de la question de la bénédiction.



Imago Dei

L’être humain, dans le texte de la Genèse, a une particularité. Cette particularité n’est pas précisée pour les autres animaux. Peut-être que les autres animaux possèdent la même particularité, mais cela n’intéressait pas le rédacteur du premier chapitre de la Genèse.

C’est que l’être humain est « à l’image de Dieu ».

On a beaucoup glosé sur ce que ça pouvait signifier, mais pour le dire rapidement, si Dieu est celui qui bénit, alors l’être humain est appelé à bénir, à son tour. C’est quelque chose qui – selon ce texte – est dans la nature de l’humain. Il a pour mission d’être le transmetteur de la bénédiction.

Cette bénédiction, d’ailleurs a le goût du gratuit : tout ce que Dieu a créé est là pour que nous puissions en profiter. Jésus n’a-t-il pas dit qu’il y avait du soleil et de la pluie aussi bien sur les personnes bonnes que sur les personnes mauvaises ? Mais le désir de bénédiction que Dieu a pour nous est un désir qui nous engage.

En effet, la bénédiction, au final, n’est pas quelque chose à donner, ou à recevoir – en tout cas pas uniquement. La bénédiction c’est avant tout une relation, dans laquelle des personnes prennent conscience de leur vraie valeur et de leur vraie nature. Des personnes qui s’encouragent à être qui elles sont, à faire ce qu’elles ont à cœur de faire.

La bénédiction est, avant tout, encouragement mutuel. La bénédiction est donc une responsabilité.

Quand nous donnons aux autres – et je pense particulièrement : quand nous donnons aux plus pauvres ou aux plus « petits » – est-ce que nous avons pour ambition d’encourager l’autre et de le sortir de sa condition de défavorisé, ou bien est-ce que nous voulons faire peser sur lui le poids de la redevabilité ? Quand nous élevons nos enfants, est-ce que nous voulons qu’ils nous obéissent et qu’ils nous soient soumis, ou bien est-ce que nous désirons supporter les désagréments de leurs choix pour les aider à en faire des femmes et des hommes libres et agissant en plein conscience de leurs actes ?

Quand on réfléchit à nos actions sous l’angle de la bénédiction, il se peut que nous ayons à reconnaître que nos motivations ne sont pas toujours placées au bon endroit. Bénir, c’est encourager l’autre à vivre sa vie.

Nous avons vu que Dieu, en créant le monde, l’a placé tout entier sous le signe de la bénédiction. Du moins dans le premier récit de la création que nous trouvons dans Genèse 1. Dieu bénit son œuvre après avoir mis de l’ordre dans le chaos.

L’ordre ici n’est pas le contrôle : Dieu laisse sa création vivre le cours de sa vie. Mais mettre de l’ordre signifie ouvrir une brèche pour permettre à la vie de vivre, créer les conditions de la vie vivante, organiser un espace où les êtres vivants pourront être au bénéfice d’une grâce commune, distribuée à tous et à toutes. Et le projet de vie de Dieu pour le monde, c’est que chaque être béni bénisse à son tour, pour que tout le monde en profite pareillement.

Pour profiter de la pluie qui tombe, il faut pouvoir s’abriter dans la chaleur d’un foyer. Pour être reconnaissant d’avoir un travail, il faut avoir du temps pour se reposer. Pour accueillir Dieu comme un père aimant, il faut peut-être bien avoir fait l’expérience d’un père qui essaye de se mettre à l’écoute.

Bref, plus nous chercherons à bénir les autres, plus les autres auront envie de bénir à leur tour. Je me demande pourquoi les sondages disent que nous croyons de moins en moins en Dieu. Peut-être n’avons-nous pas su bénir.



Les bons conseils de Paul.

À cause du don que Dieu m’a accordé dans sa bonté,
je le dis à chacun de vous :
ne vous prenez pas pour plus que vous n’êtes,
mais ayez une idée juste de vous-même,
chacun selon la part de foi que Dieu lui a donnée.
Nous avons un seul corps,
mais il a plusieurs parties qui ont toutes des fonctions différentes.
De même, bien que nous soyons nombreux, nous formons un seul corps
en union avec le Christ
et nous sommes tous unis les uns aux autres
comme les parties d’un même corps.
Nous avons des dons différents à utiliser
selon ce que Dieu a accordé gratuitement à chacun :
L’un de nous a-t-il le don de transmettre des messages reçus de la part de Dieu ?
Qu’il le fasse selon la foi.
Un autre a-t-il le don de servir ? Qu’il serve.
Quelqu’un a-t-il le don d’enseigner ? Qu’il enseigne.
Quelqu’un a-t-il le don d’encourager les autres ? Qu’il les encourage.
Que celui qui donne ses biens le fasse avec une entière générosité.
Que celui qui dirige le fasse avec soin.
Que celui qui aide les malheureux le fasse avec joie.
Que l’amour soit sincère. Détestez le mal, attachez-vous au bien :
Comme les membres d’une même famille, aimez-vous d’une affection profonde ;
mettez un point d’honneur à vous respecter les uns les autres.
Ayez un esprit plein d’ardeur. Ici et maintenant soyez prêts à servir.
Servez le Seigneur avec un cœur plein d’ardeur.
Réjouissez-vous à cause de votre espérance.
Soyez patients dans la détresse.
Priez avec fidélité.
Venez en aide à vos frères et vos sœurs dans le besoin.
Pratiquez sans cesse l’hospitalité.
Demandez la bénédiction de Dieu pour ceux qui vous persécutent ;
demandez-lui de les bénir et non de les maudire.
Réjouissez-vous avec les personnes qui sont dans la joie, pleurez avec celles qui pleurent.
Vivez en bon accord les uns avec les autres.
N’ayez pas la folie des grandeurs,
mais laissez-vous attirer par ce qui est humble.
Ne vous prenez pas pour des sages.
Ne rendez à personne le mal pour le mal.
Efforcez-vous de faire le bien aux yeux de tous.
S’il est possible, et dans la mesure où cela dépend de vous, vivez en paix avec tous.
Très chers amis, ne vous vengez pas vous-mêmes,
mais laissez agir la colère de Dieu, car l’Écriture déclare :
« C’est moi qui tirerai vengeance, c’est moi qui paierai de retour », dit le Seigneur.
Et aussi : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ;
s’il a soif, donne-lui à boire ;
car, en agissant ainsi, ce sera comme si tu amassais des charbons ardents sur sa tête. »
Ne te laisse pas vaincre par le mal.
Sois au contraire vainqueur du mal par le bien.

Lettre de Paul aux Romains, chapitre 12, versets 3 à 21.


Paul, dans sa lettre aux Romains, nous dit de faire du bien aux autres, même à ceux qui nous font du mal. Pas par sadomasochisme ni par esprit de sacrifice, mais parce qu’il en va de notre vocation d’êtres humains.

Ce passage commence par « à cause du don que Dieu m’a accordé ». Si Paul se permet d’encourager ses auditeurs à donner et à bénir, c’est parce que lui-même a reçu quelque chose de Dieu. Et il le partage.

Il rappelle que nous formons un même corps, et donc non seulement quand un membre du corps est soulagé, c’est tout le corps qui est soulagé, mais en plus quand un membre reçoit quelque chose de la part de Dieu, c’est tout le corps qui en profite. Par conséquent, si mes yeux ont des lunettes, mon corps se cognera moins souvent aux murs et aux portes. Si mes pieds ont des chaussures confortables, tout mon corps souffrira moins de problèmes d’articulation et de dos. Si j’ai un bon oreiller, tout mon corps bénéficiera d’un meilleur repos. Etc. Il en est de même dans nos relations. Quand l’un de vos problèmes trouve une solution, je me sens béni.

Ce que nous avons reçu nous a été donné pour que tous en aient le bénéfice, d’une manière ou d’une autre. Et après avoir décliné plusieurs applications pratiques (le service, l’enseignement, l’encouragement, la générosité, la présidence, l’entraide), Paul nous rappelle que tout ceci n’a de valeur que si c’est fait dans l’amour sincère. Dans le respect mutuel. Dans la volonté d’améliorer la vie de l’autre, jamais de la réduire.

Alors oui, le monde souffre. Oui, parfois, on trouve que le monde est dégueulasse. Que la vie est dure et qu’elle n’est faite que de souffrance.

Mais la réponse de Dieu à tout ceci, c’est la bénédiction.

Le mal rôde sur terre, mais Dieu était présent dans le Crucifié. Ce Crucifié, au moment de mourir, a dit « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Bénédiction.

Dieu ne rend pas la pareille à quelqu’un. Il ne condamne pas, il bénit. Et nous, qui sommes habité·e·s de Dieu, nous faisons pareil. Nous ne condamnons pas, mais nous bénissons. Nous voyons avec les yeux de l’espérance et nous accompagnons les autres sur le chemin de leur réalisation parfaite. Nous ne les éduquons pas, mais nous leur dégageons la voie. Nous rappelons à l’autre qu’il appartient à Dieu en dépit de tout.

Nous sommes une bénédiction pour les autres.

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