Je suis venu te dire que je m’en vais…

26 septembre 2021Lionel Thébaud

« Ne soyez pas troublés, leur dit Jésus.
Vous avez confiance en Dieu, ayez aussi confiance en moi.
Il y a beaucoup de lieux où demeurer dans la maison de mon Père ;
sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer une place ?
Et si je vais vous préparer une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi,
afin que là où je suis, vous soyez également.
Vous connaissez le chemin qui conduit où je vais.C
Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment en connaîtrions-nous le chemin ? »
Jésus lui répondit : « Moi, je suis le chemin,
c’est-à-dire la vérité et la vie.
Personne ne vient au Père autrement que par moi. »

Évangile selon Jean 14.1-6

 

Jésus entre à Jérusalem au moment de la préparation de la fête de la Pâque. Il est accueilli comme un roi glorieux, comme le Messie qui va délivrer la foule de l’oppression de l’empire romain. Jésus dit à la foule qu’il va mourir, et il dit que ceux qui veulent suivre Jésus doivent aller là où il va.

En langage clair, il dit que l’amour que le disciple a pour Dieu doit être plus grand que l’amour qu’il a pour sa propre vie. Le disciple doit suivre le chemin de son maître et marcher dans ses pas, même si ces pas le mènent à la mort. Voilà un message qui n’est pas facile à entendre à une époque où le confort prime sur tout. Mais enfin, je doute que ce message ait été un jour facile à entendre : la foule n’a pas dû apprécier.

Puis, un peu plus tard, lors du repas avec ses disciples, Jésus leur lave les pieds, en leur enseignant comment être des disciples : ils doivent se faire serviteurs, afin d’être comme leur maître. Accueille les petits, fais-toi serviteur des autres, les premiers seront les derniers, etc. C’est la voie du disciple, puisque c’est la voie du Seigneur.

Enfin, Jésus annonce que Judas va le livrer aux autorités romaines, et il dit à Pierre : « tu vas me renier ». Ensuite, il y a notre passage d’aujourd’hui, suivi de la promesse du Saint-Esprit, le moment où Jésus se présente comme étant la vraie vigne et les disciples sont les sarments, la manière dont le monde rejette Jésus et ses disciples, l’œuvre du Saint-Esprit dans le cœur des croyants, puis la prière de Jésus pour ses disciples, où il met l’accent sur leur unité.

Bref, l’évangile développe ici le thème du disciple. Jésus sait qu’il vit là ses derniers instants avec ses amis, et il profite de ces derniers moments pour leur faire un discours d’adieu.



Pendant ce discours d’adieu, où Jésus annonce clairement sa mort, les disciples réagissent mal.

Le texte dit : « Ne soyez pas troublés ». Le terme grec évoque un trouble qui envahit, on pourrait traduire par « que le trouble ne vous envahisse pas » ou « ne vous submerge pas ».

Clairement, Jésus perçoit que leur foi est ébranlée. Comment ça ? Notre Messie va mourir ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Est-il seulement le Messie ?

Bonne question. Bonne question, certes, mais Jésus n’y répond pas directement en disant « oui, c’est bien moi ».

L’annonce du départ de Jésus plonge les disciples dans la détresse et dans la peur, et la manière dont il les rassure est bien étrange. Je déroule le fil lentement.

Comment suivre Jésus ?

Il y a d’abord une question théologique qui est posée ici par l’évangile selon Jean. Que devient la relation du maître et de ses disciples, quand le maître disparaît ?

Je rappelle que toute la séquence est placée sous le signe de ce que signifie être disciple.

La croix, a priori, implique que les disciples ne peuvent plus suivre le maître. Comment suivre quelqu’un qui est mort ? Ça semble en effet bien difficile. On croyait que le Messie allait régner pour toujours. Il est inconcevable qu’il meure.

Mais dans la bouche de Jésus, la croix ne signifie pas la fin du chemin sur lequel le Christ précède son disciple. La croix est présentée comme un départ ouvrant sur un nouveau chemin, qui cette fois-ci n’est plus exposé aux aléas du monde. Un nouveau chemin sur lequel même la mort n’a plus aucun pouvoir.

En fait, Jésus présente sa mort comme un départ, et il annonce qu’il reviendra. Il crée dans le même temps les conditions d’une relation indestructible entre ses disciples et lui. Quoi qu’il arrive, désormais, cette relation ne peut pas être brisée, ni par le péché, bien sûr, ni par la mort. Ce qui nous rappelle ces paroles de l’apôtre Paul écrites en Romains 8 : « Oui, j’ai la certitude que rien ne peut nous séparer de son amour : ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni d’autres autorités ou puissances célestes, ni le présent, ni l’avenir, ni les forces d’en haut, ni celles d’en bas, ni aucune autre chose créée, rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour que Dieu nous a manifesté en Jésus Christ notre Seigneur. »

Déclaration incroyable – nous avons du mal à y croire – mais déclaration incroyablement belle et réconfortante. Une fois que Jésus est mort sur la croix, la relation que nous entretenons avec Dieu est indestructible.

Je le redis autrement : les disciples de Jésus-Christ que nous sommes ne peuvent pas mettre fin à la relation qu’ils entretiennent avec Dieu.

Nous avons parfois l’impression de ne pas ressentir Dieu dans nos vies, mais Jésus nous assure qu’il est là, tout près de nous, même lorsque nous ne le sentons pas. Il nous assure que quand nous nous sentons seul·e·s, ou quand nous marchons dans la vallée de l’ombremort, quand nous traversons le deuil ou la maladie, mais aussi quand nous sommes dans la joie, que nous fêtons la vie et que nous nous émerveillons d’un rien, bref il nous assure que dans tous les moments de notre vie, il se tient tout près de nous, il marche avec nous, en nous, et nous en lui.

Rien ne peut nous séparer de son amour.



Le chemin à suivre.

Quand Jésus dit : « je suis le chemin, la vérité et la vie », on peut trébucher sur ces paroles.

En effet, en présentant le Christ comme la seule expression possible de la vérité, l’évangile selon Jean semble disqualifier toute recherche de la vérité autre que la sienne. Est-ce qu’il invalide les autres religions ? Les quêtes philosophiques ? Le christianisme selon Jean serait-il intolérant ?

Peut-être faut-il revenir au contexte de cette déclaration.

Cette parole n’est pas prononcée devant la foule, mais aux disciples seulement – c’est à eux qu’il s’adresse, c’est-à-dire à ceux qui croient en lui. Elle les concerne donc directement, et ne concerne pas ceux qui ne veulent pas suivre Jésus. Et puis ce n’est pas un Jésus vainqueur et triomphant, ni un Jésus fanfaron qui dit ceci. C’est un Jésus qui sait qu’il va souffrir atrocement avant de mourir d’une manière ignoble.

Donc Jésus dit à ses disciples que sa mort va leur permettre d’avoir une relation vivante et vivifiante avec Dieu. C’est leur chemin de foi, et le seul chemin qui s’offre à eux. Et il leur dit en substance qu’ils ne peuvent pas posséder la vérité : la vérité leur est extérieure, elle ne peut leur être révélée qu’en suivant Jésus-Christ. Être disciple de Jésus-Christ, c’est le suivre.

Surtout, la vérité faite chair n’est pas autre chose que de l’amour pur. Jésus, qui incarne Dieu, est le lieu de la manifestation de la réalité divine. Il révèle un Dieu aimant qui vient pour donner la vie en plénitude.

Voilà quelle est la nature du message de Jésus ici. Devant l’angoisse de ses disciples, il leur apporte cette assurance : vous n’avez rien à craindre car Dieu est avec vous, en vous, et vous êtes en lui. Soit que vous vous égarez, soit que vous mourez, Dieu reste attaché à vous et vous à lui.

C’est la promesse qui est faite par Jésus après l’annonce de sa mort : il promet la venue du Paraclet, c’est-à-dire du Saint-Esprit, décrit ici comme le consolateur. Le Paraclet rend l’absent présent, en assumant les fonctions qui étaient celles de Jésus avant Pâques.

Au final, la mort de Jésus n’est pas une perte, nous dit Jean, mais un gain : les disciples – dont la tristesse est légitime – ne doivent pas succomber à la tristesse, mais découvrir le don qui est lié à cet événement, à savoir « la paix ». Cette paix, c’est la paix avec Dieu, c’est la paix intérieure, c’est la paix dans la communauté, et c’est surtout la certitude que le chaos n’aura pas le dernier mot dans la création.

C’est une promesse, cette paix, qui ne peut prendre véritablement corps que dans la foi. C’est une paix que nous trouvons en nous, quand nous savons que la personne que nous aimons doit nous quitter.

Suivre Jésus, au fond, c’est apprendre à lui faire confiance, et à vivre les paroles qu’il nous a laissées.



Transmettre la confiance.

Je termine ce message par une citation de Marion Muller-Colard, dans sa méditation sur ce passage de l’évangile selon Jean. Je cite :

« Elle est ancestrale, cette angoisse de la séparation. C’est la gueule du loup dans laquelle nous jette notre naissance. Nous l’apprivoisons, puis nos engendrements la remisent. Enfants, nous sommes pris comme les disciples. Adultes, nous devons, comme Jésus, faire l’effort de nous en dépêtrer pour transmettre la confiance. L’application de Jésus, la progression pleine de délicatesse avec laquelle il accompagne les ‘petits enfants’ jusqu’au seuil de la réalité à laquelle ils vont devoir faire face, tout ce tact laisse entendre que Jésus puise loin dans sa propre confiance pour en transmettre l’essence – dans un temps où l’angoisse rôde autour de lui comme autour d’une proie de choix ».

Voilà.

A l’image de Jésus, nous avons à puiser en nous, à l’aide de notre foi personnelle, puiser dans la confiance que nous mettons en Dieu, puiser dans cette relation indestructible qui nous relie à Dieu, pour transmettre l’assurance que rien ne pourra jamais nous séparer de son amour.

Transmettre aux autres cette idée folle que quoi que je dise, quoi que je fasse, Dieu nous a sauvé et que notre foi essaye de vivre d’une manière digne de ce salut.

Transmettre l’idée que la certitude de cet amour de Dieu pour nous est la seule chose qui peut nous aider à dépasser l’angoisse de la mort.

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