Au nom du père (Ride upon the Storm)

26 octobre 2020Lionel Thébaud

Ah, les vacances ! Se reposer, lire, et regarder des séries !

En ce mois d’octobre, j’ai regardé Au nom du père, série danoise diffusée sur Arte en 2018. C’est l’histoire d’une famille danoise, des tempêtes qu’elle traverse et des transformations qu’elle vit, au cœur de son engagement dans l’Église luthérienne, puisque les personnages, qui semblent fixes au début, évoluent au fil des épisodes et leur complexité est très bien mise en scène. Dans cet article, je ne dévoile rien de l’histoire racontée dans cette série. Aussi, vous pouvez joyeusement lire cet article jusqu’au bout, même si vous n’avez pas encore regardé ce chef-d’œuvre ! Mais d’abord, voici la bande-annonce de la première saison :



C’est une série plutôt dense, qui traite de beaucoup de sujets profonds et contemporains : le deuil, la foi (ou l’absence de foi), la politique, l’interreligieux, la solidarité, l’aide aux personnes démunies, la mort médicalement assistée, l’amour – évidemment !, le business, la vocation pastorale, les dépendances, la folie, j’en passe et des meilleures. J’ai eu peur de voir tout ceci « géré » rapidement et brutalement, parce que j’ai l’habitude, hélas, de voir ces sujets traités en mode « question / réponse », comme si la vie était dénuée de toute complexité. Or, cette série est une œuvre vraiment humaine, et si on peut y trouver ici et là quelques clichés, ils ne sont là qu’en clin d’œil, juste pour nous rappeler que les choses sont éminemment plus complexes que ce qu’on aimerait bien qu’elles soient. Car en effet, la vie est tout sauf simple. Et l’humain… c’est de l’humain : beau et divers, torturé et plein de grâce, ou – comme le dirait Luther – pêcheur et pardonné. En bref : la grâce à l’œuvre dans les méandres de la condition humaine. Et c’est bien de la grâce qu’il s’agit, tout au long de cette aventure familiale, à chaque tournant, dans chaque situation : les personnages évoluent à leur rythme, avec ce qu’ils sont, et ils sont peu à peu transformés. Ils ne deviennent pas des personnages surhumains, ce ne sont pas des saints au sens catholique du terme, mais bien au sens protestant : des personnes qui essayent d’être meilleures, sans toutefois y parvenir, tout le temps. Des gens qui prennent conscience que l’attitude juste est impossible, mais qui ont la force et la grâce d’essayer de faire mieux, malgré le sentiment de culpabilité qui leur colle sans cesse à la peau.

Car la culpabilité est quelque chose qui me semble le mieux nous caractériser, nous, les êtres humains (mais peut-être existe-t-il des personnes qui échappent à ce sentiment). Nous sommes conscients que ce que nous faisons n’est pas (assez) bien, voire que nous faisons des choses mauvaises. Nous avons ainsi du mal à tourner la page sans rouvrir nos blessures et nous trouver impardonnables. C’est notamment devant la mort d’un être cher que ce sentiment se manifeste de la manière la plus intense. Tous nos manquements nous reviennent à la figure, et il n’y a plus personne pour que nous puissions résoudre ce problème, plus personne à qui nous pourrions accorder notre pardon ou demander pardon. La séparation produite par la mort met un terme à la possibilité de réparer. On se demande parfois comment continuer de vivre une fois la personne disparue. Plus la mort est violente, plus le sentiment de culpabilité est violent.

La série vient fouiller les âmes des personnages, pour chercher d’où vient cette culpabilité. Sans y parvenir, bien évidemment : apporter une réponse ferme et définitive, universelle, serait escroquer quiconque regarde la série. Car en effet, chacun·e doit chercher sa propre réponse, sans nécessairement la trouver. C’est le cheminement qui compte, ou – pour reprendre un élément de sagesse bouddhiste – c’est le chemin qui est important, pas la destination. D’ailleurs, tout ce que nous faisons semble motivé par cette culpabilité – et la peur qui lui colle à la chair : comment atténuer cette souffrance ? Nous avons tous et toutes nos « petits trucs », qui conduisent souvent à la dépendance : alcool, drogue, sexe, pouvoir, colère, dépression, folie… avec des degrés plus ou moins forts, en fonction des personnalités. La spiritualité peut être une de ces réponses que nous trouvons pour calmer la douleur. En vérité, les causes de la culpabilité sont multiples. Les systèmes de pensée, tels que les religions, les psychologies ou les philosophies, par exemple, vont émettre des hypothèses qui sont très souvent dogmatiques et réductrices. Je ne voudrais pas trop caricaturer, mais dans les systèmes religieux, la culpabilité peut prendre sa source dans la question du péché, dans la question de l’attachement aux choses terrestres, dans la non-satisfaction aux caprices des dieux… La série montre bien qu’une réponse personnelle doit sortir de ces dogmes (même si on peut s’appuyer dessus pour avancer sur notre propre route). En effet, quels qu’ils soient, nos personnages se battent au corps à corps avec leurs croyances. On peut se dire que celles-ci les aident, dans la mesure où ils parviennent à les dépasser. Comme dans cet épisode biblique où Jacob se bat avec l’ange (qui n’est pas un ange, mais un homme, comme lui), sur le chemin, lorsqu’il s’apprête à retrouver le frère qu’il a trahi.

Les coups que prennent nos personnages vont-ils les anéantir ? Les malheurs qui leur arrivent vont faire craquer leur carapace, mais jusqu’où ? La vie les fait changer, mais quelle est la profondeur de ce « naturel », dont on dit qu’il revient au galop ? Qu’est-ce qui tient, dans le temps, des changements qui s’opèrent en nous ?

Au nom du père, d’une part, a parfois la qualité artistique que l’on retrouve dans les clips musicaux ou dans certains films : des plans incroyablement beaux, un jeu de couleurs, une poésie… on a réussi à transmettre des émotions fortes avec une esthétique à la fois sobre et intense. Toute protestante, oserai-je dire. Côté musique, sauf à de rares moments, les sons collent parfaitement à l’atmosphère. Enfin, autre qualité technique : la saison 2 ne gâche rien de la première. Au contraire, elle en renforce la puissance. Quand la saison 1 s’est finie, je me suis dit que tout pouvait s’arrêter là. J’ai peur des suites, qui me déçoivent trop souvent. J’appréhendais cette deuxième saison, mais je n’ai pas été déçu, au contraire.

Une série à découvrir, à voir, à revoir, sans aucun doute. Et maintenant que les vacances se terminent pour moi, je suis heureux de me rendre compte qu’Au nom du père m’a aidé, un peu, à me ressourcer. Ce dont j’avais besoin.

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