Agneau de Dieu
Dans le judaïsme ancien, un agneau devait être sacrifié et mangé par les Israélites en souvenir de la Pâque, qui rappelait comment Dieu avait libéré les esclaves de l’Égypte. L’agneau, pour le peuple pastoral des origines d’Israël, c’est la victime innocente. C’est le symbole du don total en sacrifice d’adoration offert à Dieu. C’est l’agneau de Dieu.
Le chapitre 12 de l’Exode institue pour les Hébreux la manière dont ils devront commémorer la libération d’Égypte.
La Bible nous enseigne à respecter la vie. Et pour nous aider, elle pose quelques contraintes, quelques limites. Elle souhaite nous communiquer le caractère sacré de tout ce qui vit. Dans le cadre de cette fête, voici comment ça s’exprime.
Comment tuer un agneau
D’abord, on doit aller dans le troupeau pour choisir l’animal qui devra être tué. Aller choisir un agneau parmi les êtres vivants, c’est entrer en relation avec lui. Ça veut dire le choisir, lui plutôt qu’un autre, et assumer de tuer l’agneau que nous avons désigné. Je me dis que d’entrer dans le troupeau, de chercher les bébés – parce que c’est un bébé qu’il faut tuer – de le toucher et de le mettre à part, c’est déjà un acte difficile. C’est une limite de qualité qui nous est posée : on ne prend pas n’importe quelle bête, on prend un bébé mâle, et il ne doit pas avoir de défaut – c’est-à-dire on ne va pas se séparer d’une bête parce qu’elle est handicapée ou malade. Non, on choisit un animal qui a de la valeur à nos yeux. Dur… dur…
Il y a aussi une limite de quantité, rappelez-vous : « Si une famille est trop petite pour consommer toute une bête, on s’entendra avec une famille voisine, selon le nombre de personnes qu’elle compte ; puis on choisira la bête selon ce que chacun peut manger ». Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre quoi.
On ajoute à ça le fait que tout doit être cuit ensemble – quand les abats cuisent avec le reste ça donne un goût terrible – et que tout doit être consommé. Si tout n’est pas consommé, on ne garde rien au frigo : on le brûle. Les consignes sont très claires : on ne mange pas l’agneau pour notre plaisir. On ne le consomme pas pour faire la fête et délirer sous le coup des délices exquis. On le consomme pour se rappeler quelle douleur, quelle souffrance, quelle amertume et quel prix a coûté la libération d’Égypte. Quand Dieu a massacré les fils des Égyptiens, ça n’a pas été facile pour lui. Il l’a fait parce qu’il n’existait aucune autre manière de parvenir à libérer son peuple. Mais pour autant, ce n’est pas une partie de plaisir, c’est de la souffrance pure. La Bible prend la question de la valeur de la vie très au sérieux.
Enfin, l’animal choisi, cet animal qui est condamné, l’agneau est égorgé « dans l’ensemble de la communauté ». C’est-à-dire que tout le monde participe à sa mise à mort. Et tout le monde voit l’animal se débattre, hurler, souffrir, et tout le monde voit le mec prendre le sang dans ses mains et en badigeonner les portes. Ce n’est pas le petit repas paisible auquel notre tradition nous a habituée.
Jésus, l’agneau de Dieu
La tradition chrétienne verra dans l’abattage rituel de l’agneau l’image du Christ dont le sang sert au salut des êtres vivants.
La souffrance atroce que l’Agneau de Dieu a dû supporter est très bien mise en évidence en Esaïe 53, notamment avec ce verset 7 : « Il s’est laissé maltraiter et humilier, sans rien dire, comme un agneau que l’on mène à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent, il n’a pas ouvert la bouche. » Et c’est significatif, parce que Jésus a dû souffrir une souffrance atroce sur la croix. L’image est vraiment saisissante, cette image de l’agneau qu’on égorge.
Dans nos récits chrétiens, le premier à appeler Jésus « agneau de Dieu », c’est l’évangile selon Jean, qui fait dire à Jean le Baptiseur : « Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ». Une manière anticipée de raconter comment la communauté johannique va relire la mort de Jésus à la croix.
Et l’apôtre Jean en remet non pas une couche, mais plusieurs, dans le livre de l’Apocalypse, où le Christ ressuscité est à 29 reprises appelé « l’Agneau ». Il est représenté sous les traits d’un agneau égorgé, mais vivant et glorieux. Il mène le combat et libère le peuple de Dieu avec la force d’un lion.
Ce n’est pas une image inventée par l’auteur de l’Apocalypse, mais c’est une image tirée de la littérature apocalyptique, notamment du livre d’Hénoch, un livre apocryphe de l’Ancien testament écrit entre le 3è et le 1er siècle avant notre ère. Ce livre d’Hénoch, que la plupart des chrétiens ne connaissent pas, a quand-même inspiré des textes du Nouveau Testament : la lettre de Jude y fait référence, la deuxième lettre de Pierre aussi, peut-être la lettre aux Hébreux, et on voit comment ce livre et les idées qu’il véhicule, notamment sur la fin des temps et la punition éternelle des infidèles qui seront jetés dans l’étang de feu, ont influencé l’écriture des évangiles. L’image d’un agneau égorgé qui dirige le monde à venir est très développée dans ces écrits. Dans l’Apocalypse de Jean, le troupeau des fidèles est dirigé par un animal fantastique, un agneau, qui est le maître de l’histoire et qui invite les humains à le suivre, jusqu’au jour de ses noces.
Jésus, donc, quand il est désigné comme un agneau, revêt plusieurs images différentes : on a le symbolisme de l’agneau pascal (exode 12 parle d’un agneau ou d’un chevreau, et Deutéronome 16 parle d’un mouton ou d’un bœuf… mais la tradition a préféré l’agneau), le récit du sacrifice d’Abraham (avec l’ambiguïté du texte entre l’agneau et le bélier, au moment où Abraham va vouloir sacrifier Isaac sur l’autel), la description du serviteur souffrant (Es 53 mais aussi Jérémie 11), ou encore l’agneau ou le bélier des apocalypses juives (notamment Hénoch), instrument puissant du jugement de Dieu.
Vous voyez que cette image de l’agneau est riche de sens, et qu’elle est vraiment symbolique. C’est un symbole intéressant, l’agneau, pour désigner le Christ, mais il faut toujours faire attention à ne pas prolonger ces symboles trop loin, parce qu’alors on en vient à faire n’importe quoi avec eux. On peut même en venir à leur faire dire le contraire de ce pour quoi ils ont été choisis. Et de vous à moi, c’est ce qui se passe avec la manière dont les chrétiens célèbrent Pâques.
La tradition chrétienne de l’agneau pascal
Quand je regarde ce qu’on dit, sur internet, sur la tradition chrétienne de manger de l’agneau à Pâques, voici en gros ce que j’y lis : on nous parle du lien avec la Pâque juive, et du sang qui protège de l’ange de la mort. On y parle aussi de Jean qui appelle Jésus l’agneau de Dieu. Jusque là tout va bien. Mais d’un coup, sans prévenir, on nous dit : « Victime innocente, sa mort est l’ultime sacrifice pour sauver tous les hommes et il est ainsi identifié à l’agneau immolé dans la religion juive. D’où la tradition, dans tous les pays chrétiens, de manger de l’agneau le jour de Pâques et qui perdure depuis des siècles. »
Quand je lis ça comme ça, ou quand je l’entends, ça ne me remue pas plus que ça, je trouve ça logique. Mais c’est parce que je ne réfléchis pas. C’est parce qu’on me présente quelque chose comme allant de soi, dans une société qui a l’habitude de faire ça comme ça, mais en vérité, on est là face à un illogisme incroyable.
Jésus est l’agneau de Dieu. Il est mort d’une façon atroce. Et pour nous souvenir de la manière dont cet être innocent est mort et ressuscité, pour nous souvenir que la puissance de la vie l’emporte sur la puissance de la mort, on va prendre des êtres innocents, on va les tuer, et on va les manger. Vous trouvez ça logique, vous ?
Pâques est une célébration de la vie. Il est donc vraiment curieux que, pour fêter la vie, nous ayons fait de la mise à mort des agneaux un marqueur religieux. Chaque année, à Pâques, ce sont des centaines de milliers d’agneaux qui sont privés de vie pour que les humains puissent satisfaire leur gloutonnerie.
Si dans la symbolique chrétienne, l’agneau représente le Christ en tant que victime innocente, alors tuer des agneaux à cette occasion pour les manger est un paradoxe qui reviendrait à rejouer la crucifixion et la mort de Jésus. Mais sans rejouer la résurrection !
La réalité derrière la tradition
L’année dernière, pour le jeudi saint, nous avions organisé un repas avec de l’agneau, dans notre paroisse. Un conseiller presbytéral m’avait interpellé en disant : « jamais je n’ai vu qu’on mangeait de l’agneau le jeudi saint ». Ce à quoi j’ai répondu : « c’est pourtant le repas pascal traditionnel dans la Bible ». Et c’est vrai.
Mais sa remarque m’a fait réfléchir, non pas en terme de tradition (que suivre ? La tradition de la Pâque judéo-chrétienne ou tradition du carême chrétien ? Question qui ne revêt pas chez moi une grande importance, puisqu’elle relève vraiment de la préférence personnelle), mais mon regard portait surtout sur le sens de nos actes.
Si le repas participe de notre imaginaire théologique, et si je mange comme je crois, alors j’ai un problème dans le fait de manger de l’agneau – ou quelque autre animal – pour fêter la fête de la vie et de la résurrection. J’ai plutôt l’impression que ce que nous fêtons, là, de cette manière-là, c’est la mort et la souffrance de l’innocent. Or, toute la bible nous dit, sans cesse : « tu ne feras pas couler le sang innocent ».
Et je me dis, si nous voulons manger de cette viande, prenons nos responsabilités. Faisons l’abattage nous-même. Goûtons combien la vie est précieuse et cessons de payer quelqu’un pour faire le sale boulot à notre place. J’imagine que quand on tue soi-même un animal, on sent que la vie est quelque chose de précieux, et quand on doit tuer nous-même, c’est tellement pénible et violent qu’on mange moins de viande. Forcément. Sauf quand c’est notre métier, bien sûr, parce que là on doit se blinder pour supporter l’insupportable, et banaliser cette violence. Les études montrent que beaucoup des personnes qui travaillent dans les abattoirs prennent des produits pour tenir le coup devant cette violence quotidienne. Parce que c’est très dur, psychologiquement. Parce que la mort est leur métier.
Nous payons des gens pour qu’ils tuent à notre place, et pour qu’ils souffrent à notre place. Quand-même. Nous qui portons un message de vie.
Prière pour l’Église
Je désire du fond de mon cœur qu’au lieu de perpétuer une tradition mortifère, l’Église puisse un jour s’engager dans une vraie libération, dans une véritable proclamation du royaume, en paroles et en actes.
Je prie pour qu’elle fasse voir au monde que le projet de Dieu, l’espérance telle que la Bible la présente, c’est ce temps qui doit advenir où tuer ne serait plus nécessaire. Où le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau.
Ce temps qui doit marquer les temps de la fin, où la communauté des fidèles mettra en œuvre de manière concrète l’esprit des Écritures, et mettra en œuvre tout ce qu’elle peut pour annoncer concrètement le Royaume de Dieu avant qu’il n’advienne. Et il paraît, selon nos écritures chrétiennes, que les temps de la fin sont apparus il y a 2000 ans, quand Jésus a marché sur cette terre.
Lui, l’agneau de Dieu.
Qui nous a montré le chemin sur lequel nous avons tant de mal à marcher.
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