Agapé – l’amour-charité
Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La charité est patiente, elle est pleine de bonté; la charité n’est point envieuse; la charité ne se vante point, elle ne s’enfle point d’orgueil, elle ne fait rien de malhonnête, elle ne cherche point son intérêt, elle ne s’irrite point, elle ne soupçonne point le mal, elle ne se réjouit point de l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité; elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout.
(Saint Paul, 1ère lettre aux Corinthiens, chapitre 13, versets 1 à 7)
Cette citation nous vient de la Bible. Certaines personnes l’appellent « l’hymne à l’amour ». Et en effet, nos traductions contemporaines remplacent ici le mot charité par le mot amour. Ce qui fait sens, puisque le mot charité évoque aujourd’hui une attitude condescendante : la personne qui s’estime supérieure fait la charité à la personne qu’elle estime inférieure. Ce mot, dans l’histoire du christianisme, a perdu sa belle vitalité.
Le Nouveau Testament a été écrit en grec, même si des doutes subsistent, pour certaines des parties qui le composent, quant à des documents antérieurs qui auraient été écrits en araméen, voire en hébreu (ce qui semble moins probable). Il existe quatre mots , dans la Bible grecque, pour exprimer l’amour : ἀγάπη (agapé, l’amour désintéressé), ἔρως (éros, lié au désir physique), φιλία (philia, l’amitié), στοργή (storgé, l’amour filial).
Dans le passage ci-dessus, c’est le mot agapé qui est utilisé. C’est un terme qui évoque le partage, la solidarité, le soin que l’on prend les un·e·s envers les autres. Il ne s’agit pas vraiment d’un sentiment, il s’agit d’une action. Une action qui naît de l’amour de l’on ressent pour les êtres humains. Ce texte nous ouvre une voie qui mène à l’espérance. En effet, l’apôtre Paul nous amène à considérer ce qui est vraiment important, ce qui est essentiel.
Aussi, quand je parlerai de charité, entendez qu’il s’agit ici simplement de se rendre disponible pour venir en aide à son prochain, de manière désintéressée. Il s’agit, à proprement parler, d’une démonstration d’amour, de l’amour manifesté.
Ce texte évoque pour moi ce que nous sommes encouragé·e·s à faire aux autres. Bien sûr, parfois nous passons à-côté de la vie vivante et vivifiante, en nous préoccupant plus de nous-mêmes que des autres. Parfois nous vivons comme si l’amour n’était pas la chose la plus importante au monde. Et parfois les circonstances de la vie font que nous ne pouvons pas faire ce que notre cœur nous dicte de faire. On me dit parfois que personne n’agit de manière désintéressée. C’est vrai – du moins en grande partie. Mais là n’est pas le sujet. Le sujet, ce n’est pas ce que nous arrivons à faire, mais ce vers quoi nous voulons arriver. Ce n’est pas nos résultats, mais nos intentions.
Et puisque nous sommes limité·e·s, comme nous venons de le voir (nous ne faisons pas le bien que nous voudrions, et nous faisons le mal que nous voudrions ne pas faire), eh bien ce texte me parle aussi de ce que Dieu a fait, et fait encore par amour pour nous. De cet amour qui est, comme on dit, plus fort que la mort. Dieu nous aime comme ça, d’un amour éternel, d’un amour inconditionnel, d’un amour si fort que rien ne peut le dépasser. Dieu nous aime tel·le·s que nous sommes. Dieu traverse nos mauvais moments avec nous. Il est là. Tout près de nous. Il nous soutient. C’est de cette manière qu’il fait preuve de charité envers nous. C’est par charité que Jésus a donné sa vie.
Quand je lis ce que Paul dit de la charité, qu’elle ne soupçonne pas le mal, qu’elle excuse tout, qu’elle supporte tout… je lis que Paul cherche à nous mettre en présence du pardon de Dieu et de son amour pour nous. Pardon et amour qui nous ont été montrés par Jésus-Christ et que nous sommes invité·e·s à redistribuer. Oui, parce que Dieu nous invite à aimer de la même manière que lui. Son pardon et son amour nous donnent l’assurance que Dieu nous accueille, et qu’il nous accueillera après cette vie.
Nous pouvons dès aujourd’hui entrer dans la vie vivante et vivifiante, ce que la Bible appelle « la vie éternelle ».
Paul – encore lui – écrit :
J’ai la certitude que rien ne peut nous séparer de son amour : ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni d’autres autorités ou puissances célestes, ni le présent, ni l’avenir, ni les forces d’en haut, ni celles d’en bas, ni aucune autre chose créée, rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour que Dieu nous a manifesté en Jésus Christ notre Seigneur.
(Saint Paul, lettre aux Romains, chapitre 8, versets 38 et 39)
Rien de ce que nous faisons, rien de ce que nous ne faisons pas… rien ne peut nous éloigner de l’amour que Dieu a pour nous. Et ce qu’il a fait pour nous dans sa charité, ce qu’il fait encore aujourd’hui (chaque jour?), reste pour nous. Pour toujours. C’est ce que Paul écrit encore dans 1 Corinthiens 13.8 : La charité est éternelle. Les actes d’amour de Dieu sont donnés pour l’éternité. Nos actes d’amour ne seront jamais effacés. Quand bien-même nous les aurions oubliés, leurs effets resteront gravés dans notre être.
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Comments (2)
Richard Bennahmias
6 août 2020 at 12:11
Il me semble qu’ἀγάπη désigne plutôt un amour qui donne, ἔρως un amour qui prend et φιλία un amour marqué par la réciprocité. Du coup, je situerais la solidarité plutôt du coté de la φιλία, parce qu’en dépit des glissements de sens dont il fait l’objet, la solidarité désigne d’abord un interdépendance de fait : les différentes pièces qui constituent un objet sont solidaires et la solidité de l’objet dépend de la solidité de la pièce la plus fragile.
Toute la question est ensuite de l’effet sur le récepteur quant à la possibilité d’amour désintéressé, du sentiment de dette susceptible d’être produit par l’ἀγάπη. Tu en parles un peu.
Si l’ἀγάπη est éternel, c’est tout simplement parce qu’il désigne le dynamisme créateur de Dieu.
Lionel Thébaud
6 août 2020 at 15:10
Je trouve qu’une des limites de l’étude des langues, c’est l’enfermement des mots dans des catégories auxquelles ils échappent. Pour ma part, je n’ai pas échappé à cet enfermement, je le vois bien grâce à ton commentaire, Richard. En effet, j’ai mis l’accent sur ce qui me parlait, dans ce mot AGAPE, en oubliant un peu que le mot est plus large que ce que l’on en dit.
Je m’en suis rendu compte en lisant « EROS [est] un amour qui prend », et j’ai réagi, en mon for intérieur, en me disant : « mais non, ce n’est pas que ça, loin de là! » Car EROS parle de tout ce qui est de l’ordre des sensations liées à la matière : le vent et la chaleur sur la peau, la saveur de la pastèque ou encore le plaisir de dormir. Il est de ce que l’on prend, mais aussi de ce qu’on nous donne. Les termes évoqués ont des zones d’interpénétration et il est difficile de vraiment les circonscrire à ce que nous voulons, nous, y mettre.
Ce que j’ai trouvé – mais non pas dans les dictionnaires, ce n’est pas ce que j’ai voulu faire – c’est que dans le texte, l’AGAPE me semblait être plutôt de l’ordre de l’acte concret, du partage, et donc de l’expression de la solidarité. Non pas en terme d’interdépendance comme tu le dis, et qui (peut-être) correspondrait mieux à la PHILIA (bien que je ne vois aucune interdépendance quand on l’utilise dans philosophie ou philatélie…), mais plutôt en effet en terme de partage : je décide de partager mes biens ou mon temps ou autre chose, mû par l’amour (et non pas mû par l’obligation morale, par exemple, ou par le désir de me faire bien voir).
C’est avec ces considérations en tête, non développées dans mon article (mais je ne cherche pas à dire le « tout »), que j’ai schématisé ainsi : PHILIA = sentiment, AGAPE = acte concret, EROS = plaisir. Très schématique, très faux, aussi, si l’on cherche à emprisonner les mots, mais qui me semble assez juste si l’on accepte de faire jouer ces notions entre elles et d’en éprouver les limites.
Merci en tout cas pour ton commentaire qui commence de prolonger ma réflexion à ce sujet!