Libéré·e·s de l’angoisse

14 mars 2021Lionel Thébaud

Le pharaon, en pleine nuit, convoqua Moïse et Aaron et leur dit :
« Quittez mon pays ! Partez, vous et vos Israélites ;
allez rendre un culte au Seigneur, comme vous l’avez demandé.
Prenez même tout votre bétail, comme vous l’avez dit, et allez-vous-en !
Et puis demandez à votre Dieu de me bénir. »
Les Égyptiens, croyant qu’ils allaient tous mourir, poussèrent les Israélites à quitter rapidement leur pays.
C’est pour cette raison que les Israélites emportèrent leur pâte à pain avant qu’elle ait levé ;
ils tenaient leur pétrin sur l’épaule, enveloppé dans leur manteau.
Les Israélites avaient fait ce que Moïse leur avait dit :
ils avaient demandé aux Égyptiens des objets d’or et d’argent et des vêtements.
Le Seigneur avait amené les Égyptiens à les considérer avec faveur et à leur accorder ce qu’ils demandaient.
C’est ainsi que les Israélites dépouillèrent les Égyptiens.
Ensuite, de la ville de Ramsès, les Israélites se mirent en route pour Soukoth ;
ils étaient environ 600 000 hommes, sans compter leur famille.
Une foule de gens d’origines diverses partirent en même temps qu’eux.
Les moutons, chèvres et bœufs formaient des troupeaux considérables.
Pour cuire la pâte à pain qu’ils avaient emportée d’Égypte,
ils confectionnèrent des galettes plates ;
en effet, ils avaient été expulsés d’Égypte sans attendre que la pâte lève
et sans prendre de provisions de voyage.
Le peuple d’Israël avait séjourné 430 ans en Égypte.
Au bout de ces 430 ans, en ce jour mémorable, le peuple du Seigneur sortit d’Égypte en bon ordre.
De même que le Seigneur veilla cette nuit-là pour faire sortir son peuple d’Égypte,
de même, de génération en génération, les Israélites veillent cette nuit-là,
car elle est pour le Seigneur.

Exode 12.31-42


Le passage ci-dessus a une histoire. Cette histoire remonte a tellement loin qu’on ne sait même pas quand c’était. C’était bien avant le président Mitterrand ; bien avant Louis XIV ; bien avant Martin Luther ; bien avant Charlemagne… C’était bien avant Jésus-Christ ; bien avant Alexandre le Grand ; bien avant celui qu’on a appelé le Bouddha ; bien avant le roi David… C’est une histoire qui parle d’une époque qu’on ne peut pas dater. Oh, bien sûr, des gens ont essayé de poser une date, et situent cette histoire vers 1400 ou 1200 avant Jésus-Christ. Mais les historiens, eux, disent qu’ils ne savent pas, et qu’on ne peut pas savoir. C’est trop compliqué. Alors ce n’est pas moi qui vais vous dire quand ça a eu lieu, ni même si ça a eu lieu. Peu importe. Ce qui nous intéresse, c’est l’histoire qui nous est racontée, parce qu’elle contient de belles vérités à entendre.





Alors voilà, il y a un personnage dans la Bible qui s’appelait Joseph, vous en avez peut-être entendu parler. Il est arrivé il y a très très très longtemps en Égypte, et il a eu des enfants, qui ont eu des enfants, qui ont eu des enfants… Vous savez comment ça se passe hein, les gens aiment bien faire des enfants. Et un jour, Joseph était mort de vieillesse depuis plusieurs générations, le roi de l’Égypte (qu’on appelle le Pharaon) décide que les enfants de Joseph – des Hébreux, qu’on appelait le peuple d’Israël – étaient trop nombreux et qu’ils pouvaient représenter un danger pour la population égyptienne. Là, ça nous montre qu’on a toujours eu peur des étrangers – c’est quand-même bien dommage. Alors le Pharaon fait travailler les Hébreux très durement, en leur faisant faire des travaux incroyables, comme fabriquer des briques, travailler dans les champs, etc., tout ça avec beaucoup de violence. Comme des esclaves. C’était très dur pour les Hébreux. Tellement dur qu’ils priaient Dieu de les délivrer. Et cette histoire nous dit que Dieu a entendu ces prières.

Un garçon est né, on l’a appelé Moïse, je ne vous rappelle pas comment il a été mis dans un coffre en bois posé sur le Nil pour échapper à l’armée qui voulait tuer tous les bébés garçons, je ne vous raconte pas comment il a été adopté par la fille du Pharaon, je ne vous raconte pas son enfance et son éducation, ni comment il a fui l’Égypte une fois adulte, ni comment dans le désert il a rencontré Dieu ainsi que son épouse, ni comment il est retourné devant Pharaon pour lui dire let my People go ! (« laisser partir mon peuple »), ni comment Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, avait envoyé dix catastrophes aux Égyptiens – les dix plaies d’Égypte – pour qu’ils comprennent qu’il devaient laisser les Hébreux libres de partir, non, je ne vous raconterai pas tout cela.



Je vais vous raconter comment Dieu a libéré les Hébreux de leur esclavage en Égypte. C’est une histoire vraiment pas drôle, parce que cette nuit-là tous les fils aînés de l’Égypte meurent, et les pauvres parents égyptiens les voient mourir. Et cette nuit-là, Dieu demande à son peuple de faire un barbecue un peu spécial. Chaque famille devait préparer un agneau ou un chevreau pour le faire rôtir avec des herbes amères et le manger debout, rapidement, et chaque famille devait repeindre les montants des portes avec le sang de l’animal qu’on a fait rôtir. Ne faites pas ça chez vous s’il vous plaît, ça ferait désordre. Donc tous les Hébreux ont fait ça, et grâce à ce signe sur les portes, il n’y a que les fils aînés des Égyptiens qui sont morts – et apparemment ils sont morts parce que les Égyptiens n’ont pas fait le barbecue demandé par Dieu.

Suite à tout ça, donc, Pharaon a laissé partir les Hébreux. Ils ont quitté l’Égypte. Pour aller dans le désert, vers la montagne de Dieu – le mont Sinaï. Mais Pharaon a changé d’avis et a envoyé l’armée pour les rattraper. Les Hébreux se sont retrouvés coincés entre, d’une part, une grande étendue d’eau qu’ils ne pouvaient pas traverser, et d’autre part l’armée égyptienne qui fonçait vers eux. Alors Moïse a prié, et Dieu a ouvert l’eau en deux et a fait souffler un vent fort de manière à ce que les Hébreux puissent passer sur un sol sec. Ça faisait comme une autoroute avec de l’eau de chaque côté. L’armée était bloquée avant l’autoroute parce que Dieu avait envoyé un gros nuage de feu qui faisait comme une colonne, et qui empêchait les soldats de passer. Une fois que les Hébreux sont arrivés de l’autre côté, la colonne de feu a disparu et l’armée s’est engouffrée à toute allure sur l’autoroute. Et là, les eaux se sont refermées et ont englouti les soldats. Encore une histoire pas drôle. Tout ce que je vous dis là, vous le retrouverez dans le livre de l’Exode bien sûr, mais aussi au cinéma, avec le Prince d’Égypte par exemple. Et après, eh bien après on arrive à ce que je vous ai partagé dimanche dernier, à savoir Moïse qui monte sur la montagne et à qui Dieu donne une loi pour que les Hébreux apprennent à vivre libres, ainsi que le résumé de cette loi, qu’on appelle les dix paroles – le Décalogue.





J’ai écrit dans mon précédent billet que Dieu avait libéré les Hébreux de l’Égypte. Égypte, en hébreu, se dit Mitzrayim. Ça vient d’un mot dont le champ lexical parle de l’angoisse. Un des sens de ce mot, c’est d’ailleurs « affliction, angoisse, peine ». Et bien des rabbins commentent ce mot en insistant sur le fait que c’est un pluriel. Chez les Juifs, donc, fêter la Pâque, c’est se souvenir que Dieu a libéré son peuple de ces angoisses qui nous oppriment et qui nous rendent esclaves. Et c’est se souvenir que cette libération a pour but de nous faire vivre autre chose, une vie responsable. C’est une fête qui permet de garder ce souvenir. Alors d’accord, c’est un souvenir pas très joyeux : on parle beaucoup de la mort et de la souffrance, mais c’est pour bien marquer d’une part que nous sommes délivré·e·s de nos angoisses, et c’est aussi pour nous faire entendre que la libération, ce n’est pas facile. On ne quitte pas les difficultés en restant en peignoir dans des chaussons de coton. La liberté, c’est une lutte difficile. Tellement difficile, d’ailleurs, que plus tard, sur le chemin vers le pays promis, les Hébreux vont regretter d’avoir quitté l’Égypte, en disant « haaaaan la vie était plus facile quand nous étions en esclavage ».

La Pâque, c’était une fête très importante pour Jésus. Il fêtait la Pâque avec ses amis, et il se souvenait de la libération de l’esclavage. Les évangiles nous racontent sa dernière Pâque. Et après sa dernière Pâque il s’est fait arrêter, puis il a été mis à mort sur une croix. Encore une histoire pas drôle. On l’a mis dans un tombeau et on a pleuré. Ses amis ne comprenaient pas ce qui s’était passé. Puis il a été ressuscité par Dieu, et depuis les chrétiens et les chrétiennes disent que Jésus, par sa mort et sa résurrection, a libéré les êtres humains de ce qui les pousse à faire le mal – ce qu’on appelle le péché. Ils disent aussi que par sa résurrection, il nous permet de vivre une vie nouvelle, une vie qui n’est plus dominée par la peur ou par l’angoisse, mais par la foi, c’est-à-dire la confiance en un Dieu qui les aime et qui les accompagne. Quand nous prenons la sainte cène, c’est cette libération exercée par Dieu à travers Jésus que nous célébrons. Et Pâques, qui est pour nous la célébration de la résurrection, n’aurait absolument aucun sens si les premières communautés chrétiennes n’avaient pas puisé dans leurs traditions juives.





Alors pour Pâques, que nous préparons… pouvons-nous arriver à faire mémoire de notre libération ? Dieu nous a libérés de notre angoisse de ne pas être aimé·e·s, car il nous reçoit sans condition dans son amour. Vous êtes riches ? Il vous reçoit. Vous êtes pauvres ? Il vous reçoit. Vous êtes beaux, vous êtes belles, vous êtes moches, vous êtes stupides ou futé·e·s, vous êtes scientifiques ou poètes, vous êtes célibataires, en couple, marié·e·s ou en union libre, enfants, adultes, personnes âgées, malades ou en bonne santé, bref quelle que soit votre condition, QUELLE QUE SOIT VOTRE CONDITION il vous reçoit, tel·le·s que vous êtes. Qui que vous soyez et quoi que vous ayez fait, c’est le sens de la grâce, il vous aime et il veut votre bien. Et ça, c’est un gros problème de réglé. Le problème qui reste, c’est de parvenir à lui faire confiance. Parce que ce n’est pas facile de croire qu’il peut vraiment nous aimer. On nous a toujours dit que nous n’étions pas aimables, on nous a toujours fait sentir qu’on ne pouvait être aimé que si nous faisions ceci, que si nous étions comme cela… Et voilà que Dieu nous dit : ça c’est les règles des humains, mais moi je n’ai rien en commun avec ça. Et il nous dit aussi : si vous voulez être mes disciples, vivez selon les règles de mon amour pour vous. « Tous connaîtront que vous êtes mes disciples si vous avez de l’amour les uns pour les autres ».

Préparer Pâques dans notre cœur, c’est voir quelle est l’étendue de ce que Dieu a fait pour nous. Fêter Pâques, c’est d’abord s’émerveiller d’avoir été rendu·e·s libres, c’est accepter ce beau cadeau de la liberté, c’est marcher en nouveauté de vie, et c’est recommencer régulièrement à s’émerveiller, accepter, marcher. C’est faire mémoire. Régulièrement. Préparer Pâques, c’est regarder à l’amour que Dieu a pour nous et lui faire confiance qu’il nous accepte tel·le·s que nous sommes, comme il l’a promis. Préparer Pâques, c’est apprendre à écouter l’annonce de la grâce plus que nos angoisses de ne pas être aimé·e·s.

Je reconnais que l’idée de focaliser sur un personnage qui est mort et qui a souffert sur une croix ne m’emballe pas vraiment. Je reconnais qu’il y a là quelque chose de morbide et de dérangeant, quelque chose dont je n’ai pas envie d’entendre parler. Ça me ramène à des questions que je préfère éviter, comme la mort des autres, ma propre mort, mon incapacité à faire face aux situations que je rencontre, mes échecs, etc. Mais je vois qu’en faisant mémoire de cet événement-là, qui est comme la mort de l’agneau ou du chevreau qui servait au barbecue de la Pâque juive, je fais mémoire de ma propre libération, et de la libération de tous les êtres humains. Et alors je me rappelle que devant le buisson ardent, Dieu a parlé à Moïse en lui disant : « Va et libère mon peuple ». Je me rappelle que Jésus a dit : « faites de toutes les nations des disciples ». Alors aujourd’hui, en préparant Pâques, je me dis qu’il est temps d’annoncer aux hommes et aux femmes qui nous entourent ce beau message de l’amour de Dieu pour nous : Dieu vous a libéré·e·s !


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