Le cœur de Jonas

26 janvier 2021Lionel Thébaud

Il est arrivé qu’un jour, Dieu parle à un homme qui s’appelait Jonas. Il lui dit :


Lève-toi, Jonas, pars pour Ninive, la grande ville.
Prononce des menaces contre elle, car sa méchanceté est arrivée jusqu’à moi.


Qu’aurais-tu fait, toi, si Dieu t’avait demandé d’aller à Paris pour dire : « Vous les Parisiens, vous êtes méchants, et Dieu a prévu de vous punir si vous continuez » ? Ben moi j’aurais fait comme Jonas, je crois. Il faut dire que Ninive, en fait, ce n’était pas comme Paris. Ninive, c’était la capitale du pays des ennemis : les Assyriens du 7è siècle avant Jésus-Christ, passée entre les mains des Babyloniens et des Perses plus tard. Ces ennemis étaient détestés. Ils opprimaient les hébreux. Aller à Ninive, c’était risquer sa vie. Alors Jonas s’enfuit, il prend la direction opposée – un peu comme si toi, au lieu d’aller à Paris, tu allais à Bordeaux. Jonas a donc pris la mer à Jaffa, pour s’enfuir loin de sa destination. Il veut aller à Tarsis. On ne sait pas où ça se trouve, Tarsis, mais on est sûr que c’était très très loin de là où vivait Jonas. Alors voilà Jonas dans son bateau, tranquille, pensant pouvoir fuir loin de Dieu. Il s’endort. Mais une tempête se lève et secoue le bateau. Les marins sont complètement affolés. Ils réveillent Jonas et lui demandent de prier son dieu, comme les autres marins prient leur dieu. Jonas dit alors que ça ne sert à rien de prier : si la tempête est là, c’est parce que Jonas fuit la mission qui lui a été confiée. Il dit : « le seul moyen pour que la tempête se calme, c’est que vous me jetiez à l’eau ». Après avoir essayé de se sauver, les marins finissent par faire ce que Jonas leur a dit : ils le jettent à l’eau, en priant le dieu de Jonas. Et la tempête se calme.



Jonas s’enfonce dans l’eau, mais avant qu’il aie le temps de se noyer, Dieu envoie un grand poisson qui avale Jonas. Jonas reste pendant 3 jours et 3 nuit dans le ventre du poisson. Ça lui laisse le temps de méditer… Là, dans le ventre du poisson, Jonas prie son dieu. Au bout de 3 jours, le poisson vomit Jonas sur la plage. Ça doit être une expérience très sympathique. Dieu parle alors de nouveau à Jonas, en lui ordonnant d’aller à Ninive faire son boulot. Jonas se sent un peu obligé d’y aller. Alors sans prendre de douche, il va à Ninive et il marche dans la ville en criant :


Encore 40 jours et la ville de Ninive sera détruite !


Les habitants de Ninive, en entendant les paroles de Jonas, sont touchés dans leurs cœurs. Ils reconnaissent qu’ils se sont mal comportés et commencent à prier le dieu de Jonas. Même, ils décident de ne plus manger, pour montrer à Dieu combien ils regrettent d’avoir mal agi. Dieu, voyant qu’ils ont décidé de ne plus mal agir, décide de ne pas détruire Ninive. Quand Jonas voit que Dieu renonce à envoyer le malheur sur Ninive, il se met en colère. Il dit : « ben voilà, je le savais ! Toi, Dieu, tu menaces, et quand les gens reconnaissent leurs torts, tu leur pardonnes ! Mais moi je voulais qu’ils soient détruits ! Du coup, je suis tellement déçu que je voudrais mourir, tiens ! » Un vrai gamin, ce Jonas. Alors Dieu lui demande :


As-tu raison de te mettre en colère ?


Jonas part sur une colline pour voir la ville de Ninive. Il se construit une cabane. Et il attend que Dieu détruise Ninive – il a le cœur dur ce Jonas. Alors Dieu fait pousser une plante, plus haute que Jonas, pour lui faire un peu d’ombre. Ça lui fait du bien à Jonas : la chaleur du jour est moins insupportable. Jonas se dit : « Dieu m’aime, donc il va détruire Ninive. Dieu est avec moi ». Mais avant que le jour se lève, Dieu fait mourir la plante. Il veut sans doute que Jonas comprenne quelque chose. En plus, Dieu fait souffler un vent très sec et très chaud. Le soleil tape sur la tête de Jonas, qui manque de s’évanouir. Alors Jonas dit encore « Je veux mourir ! » Dieu lui demande : « As-tu raison d’être en colère au sujet de cette plante ? » Jonas répond : « Ben oui ! J’ai de bonnes raisons d’être en colère au point de vouloir mourir ! » Alors le Seigneur dit : « Écoute Jonas, cette plante, ce n’est pas toi qui l’a fait pousser, c’est moi. Elle ne t’a demandé aucun travail. Elle a grandit en une nuit et elle a disparu la nuit suivante. Et tu en as pitié. Et tu voudrais que moi, je n’aie pas pitié de Ninive, dans laquelle vivent des hommes, des femmes et même des animaux, qui ne savent même pas ce qui est bon ou mauvais pour eux ? »

Le livre de Jonas ne comporte que 4 chapitres. C’est très court. Vraiment, je t’encourage à le lire, ça ne te prendra pas longtemps. Tu peux le lire dans ta vieille Bible (ou dans ta Bible neuve !), en français ou dans la langue que tu préfères, ou bien en cliquant sur ce lien (version Nouvelle Français Courant) :



lire.la-bible.net


Voilà une histoire que j’aime beaucoup. Je comprends que ce soit l’une des histoires les plus racontées de la Bible. C’est une jolie parabole, très profonde, sur ce que Dieu désire vraiment. Oui, c’est une parabole : l’histoire du poisson dans le ventre duquel est resté Jonas n’est pas à entendre comme quelque chose qui est réellement arrivé, bien évidemment. Et puis quand le texte de la Bible dit que la ville de Ninive avait 120 000 habitants… l’archéologie nous montre qu’au maximum, elle a abrité 75 000 personnes. Enfin, si tout un peuple s’était converti au dieu des Hébreux, je suis certain que ça aurait laissé des traces. L’histoire de Jonas, c’est un conte qu’il faut lire comme une parabole. Il y a une leçon à en tirer, et c’est ce qui fait l’intérêt de ce petit livre.

D’abord, je remarque que dans cette histoire, tout le monde est retourné. Tout le monde change de comportement. Premièrement, Jonas, le personnage principal : il doit aller à Ninive, mais il n’y va pas. Puis un peu forcé par Dieu, il y va quand-même. Deuxièmement, les marins : ils prient leurs dieux, puis ils essayent de sauver Jonas parce qu’ils ne veulent pas le jeter à l’eau (notez que ce sont des païens qui essayent de sauver un Hébreu, alors que le prophète hébreu ne veut pas sauver les païens!), puis ils finissent par jeter Jonas à l’eau, et ils prient le dieu des Hébreux. Troisièmement, les habitants de Ninive, qui reconnaissent avoir mal agi, changent de comportement et prient le dieu des Hébreux. Enfin, je dirais, le plus improbable pour les gens qui croient sincèrement que Dieu ne change pas, Dieu lui-même change d’avis : au lieu de détruire Ninive et ses habitants, il change de projet. Tout le monde est retourné. Tout le monde change de comportement. Mais il y a un seul personnage dont le cœur n’est pas touché, c’est Jonas.



C’est rigolo, parce que Jonas est qualifié de prophète dans nos traditions. Le prophète, c’est – dit-on – quelqu’un qui fréquente Dieu, il est dans une relation intime avec Dieu, et comme il prononce des paroles qui viennent de Dieu, on se dit qu’il a souvent raison ! Et là, on se rend compte que ce n’est pas vrai. Jonas a tort du début à la fin. Même sa prophétie lui donne tort : Ninive ne sera pas détruite. Le cœur de Jonas est endurci. Il faut dire que les habitants de Ninive représentent l’oppresseur : les Ninivites appartiennent à un empire qui est venu détruire Jérusalem, détruire le temple, et emmener les élites en déportation à en Assyrie ou en Perse. Qu’y a-t-il de plus normal que de détester ceux qui nous oppriment ? Mais Dieu nous invite à dépasser notre haine pour voir ce qu’il y a d’humain chez l’autre. Et la pédagogie de Dieu me semble incroyable, et très pertinente. Regardons-ça d’un peu plus près.

D’abord, Dieu appelle Jonas à menacer les Ninivites : il faut annoncer la destruction de la ville. En lisant ça on se dit : « Dieu veut détruire les Ninivites parce qu’ils sont méchants ». C’est logique : si on est méchant, on mérite la mort. Le problème, c’est que tous et toutes, nous sommes méchants. Regardez bien, au fond : nous nous comportons mal. Nous voulons faire justice nous-mêmes, nous cherchons à nous venger, et lorsque quelqu’un nous insulte nous voulons le taper. Donc si Dieu tue les méchants, il va forcément nous tuer. Tous et toutes. Au départ de cette histoire, donc, nous croyons que Dieu veut tuer les Ninivites. Et quand Jonas proclame la menace de Dieu, les gens changent de comportement et Dieu abandonne les menaces. Jonas se rend compte que Dieu n’a jamais voulu tuer les méchants. Il est déçu, terriblement déçu, parce que lui, il voulait que ses ennemis meurent. Alors que Dieu, lui, veut juste que ces gens se rendent compte du mal qu’ils font, et qu’ils essayent de faire mieux. La menace n’est qu’un moyen utilisé par Dieu pour que les gens reviennent de leurs mauvaises voies, mais Dieu ne veut pas massacrer les gens. En revanche, certains des hommes qui ont écrit la Bible étaient persuadés que Dieu déchaînait sa colère sur les gens quand ils se comportaient mal. C’est pourquoi on a les histoires de l’arche de Noé, de Sodome et Gomorrhe, etc.

Dieu essaye de faire comprendre à Jonas qu’il aime profondément chaque être humain, et que Jonas doit dépasser les sentiment qui l’habitent. Il essaye de faire comprendre à Jonas que si les êtres humains se comportent mal, c’est parce qu’ils ne savent pas faire la différence entre le bien et le mal. S’ils se comportent mal, c’est parce qu’ils font les mauvais choix. Dieu ne peut pas leur en vouloir pour ça. Quel message de grâce ! Quelle libération ! On est loin là du dieu vengeur auquel on nous a habitué. Et quelquefois nous entendons des gens prêcher un dieu vengeur à partir du livre de Jonas ! Mais quelle erreur… Et quel dieu ce serait, s’il détruisait des milliers de personnes, alors que dans le lot il y a des enfants et des gens qui n’ont peut-être rien fait de mal, ou rien de bien grave ? Franchement, quelle sorte de Dieu habite dans ton cœur ?

Le dieu qui parle à Jonas est un dieu de patience et de compassion. C’est un dieu d’amour. C’est un dieu qui ne veut pas que nous fassions le mal, bien sûr, mais c’est un dieu qui comprend pourquoi nous le faisons. Et c’est un dieu qui prend le temps de nous expliquer – comme il explique à Jonas – que son amour est illimité. C’est un dieu qui invite nos cœurs à changer pour que nous cessions de juger les autres.


Comments (1)

  • Jean-Michel Ulmann

    26 janvier 2021 at 10:25

    Forte et convaincante lecture de ce conte.
    Merci Lionel
    Amitiés
    jmu

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Article précédent

La maladie de la page blanche

18 janvier 2021

Article suivant

Le blog de lecture "Allez, je lis"

27 janvier 2021