Qu’est-ce qui rend le récit de la Bible plus crédible qu’un autre? D. I.

19 mars 2021Lionel Thébaud

Encore une question difficile. Sans doute plus difficile que les précédentes auxquelles j’ai donné des pistes de réflexion. Je rappelle donc que je ne crois pas avoir la réponse définitive aux questions que tu te poses. Donc attention à ne pas lire mes mots comme des mots assassins qui ferment et enferment, ni comme des mots qui essayent de tout dire des expériences faites par notre « être intérieur ». Ce ne sont que des mots qui essayent de dire l’état de mon expérience spirituelle aujourd’hui. Rien de plus. Et j’espère que ces mots t’aideront à cheminer dans ce qui fait ta relation avec Dieu.

Je ne parlerai pas ici de la question de la « crédibilité du texte biblique ». C’est une question trop difficile pour quelqu’un qui, comme moi, fonde sa vie et sa pensée sur ce texte, tout en reconnaissant que la Bible comporte beaucoup d’erreurs et d’inexactitudes historiques, scientifiques et géographiques. Mais surtout, il est difficile de s’exprimer à ce sujet en tant que pasteur. En effet, ma vocation m’invite à faire entendre une parole qui touche au cœur de l’Évangile – à savoir que Dieu nous aime de manière inconditionnelle, qu’il veut nous le faire savoir, et qu’il désire que nous apprenions à aimer les autres comme il nous aime. Long chemin d’acceptation de soi et de l’autre. C’est cela, pour moi, le message central des textes bibliques. Or, il y a autour des questions de foi des choses qui sont importantes, même si elles ne sont pas centrales. C’est le cas de la reconnaissance de l’égale dignité des femmes et des hommes dans les ministères de l’Église, ainsi que dans la société. C’est le cas de la « préférence de Dieu pour les pauvres », comme on dit. Et c’est le cas de la « crédibilité du texte biblique ». En tant que pasteur, j’ai mes opinions, mes convictions, et j’avoue ne pas les taire. Cependant je fais très attention à la manière dont j’en parle, car je veux que mes opinions (importantes mais non centrales) ne viennent pas empêcher le message de la Bible de toucher les cœurs des personnes à qui je m’adresse. Et écrire sur cette « crédibilité » pourrait fermer les oreilles de certaines personnes à ce qui fait l’essence de la foi chrétienne. Pour moi, ces considérations sont secondes, et le message d’amour de Dieu envers l’humanité est vraiment ce qui fonde la foi. Le reste est une affaire de sensibilité, d’opinion, de culture… c’est important, mais les divergences sont très fortes, et il vaut mieux en discuter posément plutôt que de s’exclure mutuellement à ce sujet. La foi chrétienne – au nom de l’Amour – ne devrait jamais être sectaire. Ainsi, j’invite toute personne qui me lit à « examiner toutes choses » et à « retenir ce qui est bon ».





Maintenant que ceci est clarifié, je vais avancer pas à pas en donnant des indices liés à la question de la « crédibilité », sans toutefois développer ce sujet. Je veux d’abord préciser ici un point qui me semble important. C’est au sujet des termes employés. Je n’utilise pas l’expression « le texte biblique ». Je tiens à marquer – et à faire remarquer – que les textes de la Bible sont vraiment divers et variés : écrits par des auteurs différents, à des époques différents, et de géographies différentes. La Bible contient en elle-même une diversité dont il est impossible, me semble-t-il, d’en faire une unité absolue, comme si Dieu avait lui-même écrit un manuel ou un ouvrage cohérent. On y trouve tellement de contradictions que l’on est obligé de remettre les textes dans leurs contextes pour tenter de comprendre quel était leur but au moment où ils ont été écrits. Certains mouvements spirituels assurent de développer une « théologie biblique », comme si la Bible ne contenait qu’une seule parole – une vérité dernière – sur tel ou tel sujet. De ce que j’en ai expérimenté, il est impossible de parvenir à unifier toutes les questions que nous nous posons au sujet de la foi à partir de la Bible. Au risque de me répéter : chaque auteur, chaque époque et chaque territoire, bien qu’ayant des éléments communs, ont interprété à leur manière l’expérience qu’ils ont fait de la révélation divine. Pour caricaturer, peut-on concilier un texte qui présente Dieu comme une divinité qu’il faut craindre avec terreur, avec un texte qui présente Dieu comme une entité pleine d’amour que l’on doit aimer sans le craindre (car l’amour parfait bannit la crainte) ? Peut-on concilier un texte qui dit qu’il faut aimer l’étranger (car vous avez été étrangers) avec un texte qui dit qu’il faut chasser (voire mettre à mort) les étrangers ? Peut-on concilier un texte qui dit « tu ne tueras point » avec un texte qui indique que les méchants doivent être éliminés de la surface de la terre ? Il me semble que c’est impossible, et c’est pourquoi je veux mettre en lumière que la Bible (donc le texte biblique) contient des textes divergents, qu’elle est d’une grande diversité, et qu’elle m’apparaît comme les couleurs de l’arc-en-ciel : des couleurs principales, certes, dans un même arc, certes, mais avec plein de nuances à peine perceptibles pour quiconque ne fait que regarder en passant. Je parlerai donc des textes bibliques, pour souligner ces faits.

A mon avis, quand on reconnaît que les textes bibliques ne sont pas des ouvrages historiques, ou scientifiques, ou même journalistiques… quand on reconnaît qu’ils ne sont pas objectifs, qu’ils se répètent ou se contredisent… quand on reconnaît qu’ils sont dépendants de courants culturels, théologique ou politiques divers… alors on fait honneur à ces textes. Il me semble que quand on imagine que la Bible ne contient pas d’erreur ni d’inexactitude, quand on prétend qu’elle seule décrit les faits tels qu’ils se sont passés, on lui fait porter un poids qu’elle ne porte pas elle-même, et on l’élève au statut d’idole. Elle devient intouchable, incriticable, et on est tenté de la lire « à la lettre ». Or, justement, Paul nous le rappelle : « la lettre tue, mais l’esprit vivifie ». Il nous faut chercher à comprendre l’esprit de ces textes, pour que notre foi se développe (au lieu de s’étriquer). Considérer les textes ainsi, c’est ouvrir sa palette de couleurs et permettre à notre être intérieur de réaliser un bel ouvrage.





Alors oui, pris de manière scientifique, les textes bibliques ne sont pas différents de tous les autres textes du même genre, c’est-à-dire des écrits religieux de l’Antiquité. On ne peut pas comparer la Bible aux œuvres de Daniel Pennac par exemple, mais on peut les comparer aux grands récits mythologiques et poétiques tels que L’épopée de Gilgamesh, Enuma Elish, L’Iliade et L’Odyssée, par exemple. On peut aussi les comparer à des écrits de Flavius Josèphe, par certains côtés, dans sa manière de raconter les événements de son temps, avec le parti pris qui est le sien, et son empreinte culturelle. On constate d’ailleurs assez facilement les emprunts multiples des textes bibliques aux récits qui composent l’environnement culturel des Hébreux et des communautés chrétiennes, emprunts qui sont retravaillés et remodelés pour donner les récits de la Bible.

Mais dans la dynamique de ma foi, les textes bibliques ne sont pas comme les autres textes. Ils ont une résonance particulière. Il me parlent d’une expérience spirituelle qui me touche profondément, ce que ne font pas chez moi d’autres textes : ni les textes du bouddhisme, ni les textes de l’islam, ni les textes de l’antiquité gréco-romaine, ni aucun autre texte au fond. La Bible a sur ma vie un impact bien particulier. Mon histoire personnelle a rencontré les histoires de ces textes-là. Les textes bibliques ont donné du sens à mon existence. Par conséquent, pour moi, le statut de cet ouvrage littéraire n’est absolument pas le même que n’importe quel autre texte antique. Je n’évoque même pas le fait que la Bible, au-delà de son impact sur ma vie, a un impact civilisationnel énorme, et qu’à ce titre elle me permet aussi de comprendre un peu mieux la civilisation dans laquelle j’ai atterri.





Les textes bibliques participent à la construction de la foi qui m’est tombée dessus il y a presque 25 ans. J’imagine que si j’étais né au Qatar, au Laos ou en Tasmanie mon orientation spirituelle aurait été différente. Encore que, ce n’est pas certain, puisqu’on rencontre des personnes originales un peu partout dans le monde. Au fond, sans doute que la Bible tient un langage qui correspond à la couleur de mon âme. Je n’en sais rien. Toujours est-il que c’est elle qui me donne du sens. Et ce sens-là, tu l’as compris, n’est pas littéral. J’ai mes lunettes, qui ont été forgées par mon histoire personnelle, et ma vue change avec le temps. C’est naturellement avec ces lunettes que je suis capable de lire la Bible. Et de fait, je suis très critique à l’égard de ce texte. Mais ma critique me sert à affûter le message spirituel qui me pousse vers l’autre, pour lui partager l’amour que je suis persuadé avoir reçu de Dieu.

Aussi, pour finalement tenter de répondre à ta question… je dirai que rien ne rend le texte biblique plus crédible qu’un autre. Pas de manière objective, je veux dire. J’ai lu des tas de livres ou d’articles qui défendaient la supériorité des textes bibliques sur les autres textes, et ils ne m’ont jamais convaincus. Tous les militants des autres mouvements (spirituels, religieux, politiques…) peuvent de la même manière être persuadés que leurs textes sont les seuls véritables, les meilleurs, etc. Cela ne résout rien et nous pousse à nous entre-déchirer. Je me dis que si, pour défendre la Bible, je dois déshumaniser l’autre, alors je n’ai rien compris au message biblique. Et surtout, j’aurais l’impression de donner plus d’importance à un livre qu’aux humains qui m’entourent. Or, j’en suis persuadé, Dieu nous presse à devenir plus humain·e·s, et à construire la paix dans nos relations. Si j’aime mon prochain comme moi-même, et si, comme le demande Jésus, je cherche à faire aux autre ce que je voudrais qu’ils me fassent, alors je ne vais pas chercher à imposer aux autres mes convictions. Je ne vais pas les enfermer dans ma petite boîte mentale de « gentils/méchants », ou de « sauvés/perdus ». Je vais les regarder comme des gens qui, comme moi, essayent de se dépatouiller avec les circonstances de la vie, des gens de bonne volonté qui font du mieux qu’ils peuvent pour donner un sens à cette vie, et si j’ai sur mon cheminement des outils (ou des interprétations) qui peuvent les aider à y voir plus clair, ou au moins à réfléchir autrement à leur condition, alors je vais les leur partager – mais en restant attentif au fait que c’est eux qui décident pour leur vie, avec leur histoire personnelle, et que si j’étais à leur place je ferai sans doute les même choix qu’eux. Sans jugement. Si les outils que je leur propose ne leur correspondent pas, je dois l’accepter, tout simplement : leur vie n’est pas ma vie.





Dans mon expérience, Dieu n’est pas une invention. Il est le fondement de l’être de tout ce qui vit. En revanche, notre langage est limité, pour décrire l’expérience que nous faisons de ce qu’est l’être, et de la manière dont on y accède. C’est pourquoi les textes bibliques décrivent comment l’expérience du divin est reçue dans une histoire particulière – celle du peuple hébreu. Mais comment peut-on exprimer avec des mots ce qui est tellement fort et tellement beau qu’aucun mot ne peut le décrire ? Nous, êtres humains, ne connaissons qu’un seul moyen : raconter des histoires qui, à la manière des symboles, en disent plus que ce qu’elles racontent. Prenons les paraboles de Jésus. Il ne viendrait à l’idée de personne aujourd’hui de les lire de manière littérale : la femme qui cherche sa pièce perdue est une image de quelque chose de plus profond, tout comme la parabole du semeur et même l’histoire du fils prodigue. On n’a même pas besoin de prétendre que ces histoires se sont réellement passées dans la vraie vie, en fait on s’en fiche pas mal. C’est le sens de ces histoires, la manière dont elles nous font écho dans notre propre vie, qui est l’important. Je suis persuadé que tous les textes bibliques sont de la même nature que ces paraboles. Cela devient plus clair à mesure que l’on étudie l’historicité des faits racontés dans la Bible.

Par conséquent, la foi m’est tombée dessus à un moment de mon histoire personnelle. Lors de ma rencontre avec les textes bibliques, elle a reçu du sens, tel que je ne l’ai pas vécu avec les textes d’autres traditions. J’ai reconnu que ces textes avaient une valeur essentiellement métaphorique pour la construction de ma foi, et j’ai reconnu que pour d’autres personnes, d’autres textes pouvaient avoir cette valeur. Je ne peux donc pas défendre la crédibilité de ces textes vis-à-vis des autres textes. En revanche, je peux approfondir la question de la crédibilité que ces textes ont pour moi, ainsi que pour la communauté de foi à laquelle je me rattache. Tout en gardant une nécessaire ouverture face aux diverses interprétations qui peuvent en être faites.

Aussi, je conclus – en espérant apporter ce qui peut t’aider à cheminer – en te demandant : et toi, ces textes te touchent-ils ? Font-ils sens chez toi ? Si oui, comment peux-tu apprendre à les lire en tenant à la fois la question de la réalité (la passionnante question de l’écriture des Écritures) et la question de la vérité (ce que ces Écritures révèlent à ton être intérieur) ? Si non, quels autres textes (ou quels médias) rempliraient mieux ce rôle pour ta propre vie ? Dans tous les cas, étudier ces textes participe d’un double mouvement : une étude personnelle, seul·e face aux textes, et une étude en relation avec d’autres, qui nous sorte de nos enfermements. Les études théologiques sont une bonne manière de faire cet aller-retour, mais pas le seul : discuter de nos lectures avec d’autres personnes, dans des groupes, en paroisse… sont autant de manière de nous faire entendre d’autres échos de ce que les textes bibliques produisent chez les êtres humains. Aussi, je ne peux que t’encourager à continuer dans ta démarche, de poser des questions et de cheminer, à ton rythme. Et si un jour le désir de suivre un cursus de théologie émergeait concrètement, alors je serai le premier à t’encourager ! Car ces études sont une aventure formidable.

J’espère avoir saisi le cœur de ta question et ne pas trop m’être égaré. Amitiés.




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